Principale richesse du territoire, l’exploitation du minerai indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires a laissé la place aux nouvelles routes de la drogue. Ce pays parmi les plus pauvres au monde, qui votait dimanche pour désigner le successeur du président sortant Mahamadou Issoufou, connaît une véritable descente aux enfers.
Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, votait dimanche pour désigner le successeur de Mahamadou Issoufou. Officiellement, le scrutin ne risque pas d’être remis en question par la communauté internationale, France en tête, soucieuse de confirmer la victoire annoncée de Mohamed Bazoum, dauphin désigné d’Issoufou. Tout juste le vote a-t-il été endeuillé par l’assassinat de quelques membres de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), tués dans l’attaque de leur véhicule ou par l’explosion d’une mine dans la région de Tillabéri (ouest), proche du Mali.
Des embuscades attribuées à Boko Haram et aux différentes factions djihadistes, à l’instar de l’ersatz africain de l’« État islamique », qui sévissent dans la région. Mais, pour comprendre la descente aux enfers sécuritaire du Niger et de l’ensemble de la zone sahélienne, qui se pare aujourd’hui du drapeau d’un islam salafiste importé de la péninsule Arabique, il faut remonter à l’indépendance du pays en 1958.
Des mines cruciales pour la France
Enclavé et ponctué d’immenses zones désertiques, le Niger n’a alors qu’une principale monnaie d’échange sur le marché international : ses considérables réserves d’uranium, minerai essentiel à une industrie civile et militaire alors en plein boom, le nucléaire. Pour la France, le pays revêt une importance stratégique cruciale. Paris ayant besoin des mines nigériennes pour faire tourner ses centrales et fabriquer les ogives atomiques nécessaires à son rang de grande puissance siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies.
Grâce au combustible extrait dans le Sahel, et conformément au plan défini par le premier ministre français Pierre Messmer en 1974, le Niger devient la pierre angulaire de la politique d’indépendance énergétique de la France, qui passe par le faible coût de l’uranium sur les marchés internationaux, tandis que la volatilité du prix des hydrocarbures, pétrole en tête, provoque un authentique séisme géopolitique. C’est la fin de l’or noir bon marché, et les économies capitalistes découvrent leur vulnérabilité face au précieux liquide qui irrigue les veines de l’économie mondiale.
Les routes de la contrebande
Les pays émergents, Inde et Chine en tête, développent avec un appétit frénétique leur propre infrastructure nucléaire, à peine refroidis par la catastrophe industrielle de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986, en attendant celle de Fukushima, au Japon en 2011. La France, qui bénéficiait de tarifs préférentiels de l’uranium extrait des mines au Niger, voit le gouvernement de Niamey renégocier ses contrats. La demande internationale explose, et les populations touareg du nord, là où se situent les immenses gisements d’Arlit ou d’Imouraren, font parler les armes pour exiger la part d’une rente intégralement captée par le gouvernement central.
Nous sommes au milieu de la décennie 2000, et la géopolitique mondiale a basculé avec les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Les groupes armés touareg, qui essaiment dans le nord du Niger et enlèvent sporadiquement soldats de l’armée régulière comme salariés du groupe français Areva, demeurent largement sous la coupe du colonel Kadhafi en Libye, avant que sa chute en 2011 ne les précipite définitivement dans les bras des pétromonarchies du Golfe. Tandis que les routes de la contrebande au Sahel commencent à être inondées par la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, laquelle pénètre sur le continent africain grâce à la Guinée-Bissau, un État failli dont la situation géographique – une constellation de petites îles dans son littoral – favorise la discrétion des livraisons de poudre blanche.
En dépit de la présence militaire française, garantie par l’opération « Serval » en 2013 (devenue « Barkhane » en 2015), et celle des États-Unis, via la principale base de drones implantée dans le Sahel, le Niger a vu une partie de son appareil d’État contaminé par un grand banditisme repeint aux couleurs du djihad. De quelques dizaines de kilos saisis à la fin des années 1980, la cocaïne ou l’héroïne interceptée au Niger bat chaque année des records, comme en témoigne une unique saisie opérée dans la nuit du 9 au 10 mars 2019. En plus des 800 kilos de cocaïne dissimulés dans un camion immatriculé au Sénégal, la police bissau-guinéenne met aux arrêts quatre suspects, dont Mohamed Sidy Ahmed, qui jouit du titre de conseiller spécial du président de l’Assemblée nationale du Niger.
Déstabilisation du Sahel
« La drogue avait pour destination Gao », une des principales métropoles du nord du Mali libérée par l’armée française en 2013, commente alors le directeur adjoint de la police judiciaire de la Guinée-Bissau, offrant une démonstration supplémentaire que l’une des principales causes de la déstabilisation du Sahel, soit l’explosion du trafic de drogue, n’a guère été entravée par l’intervention militaire française. Le vainqueur attendu de l’élection présidentielle Mohamed Bazoum, ex-ministre de l’Intérieur, a sans surprise fait de la sécurité et de la lutte contre les nouvelles routes des stupéfiants la pierre angulaire de son futur mandat, avec l’éducation et la démographie, dans un pays où l’explosion des naissances va provoquer la hausse de population la plus vertigineuse du continent africain. Un défi d’autant plus crucial qu’une partie de la drogue, dont le très accessible Tramadol (environ 2 euros le comprimé), inonde désormais le marché local.
Le dauphin désigné de Mahamadou Issoufou, le chef d’État sortant, est donné vainqueur du second tour de l’élection présidentielle. Au cœur d’une zone sahélienne instable, il sera confronté à des défis sociaux et sécuritaires colossaux.
Dans une histoire émaillée de coups d’État depuis l’indépendance, pour la première fois depuis trente ans, un président nigérien passera sans heurts le témoin à son successeur. Il faut dire que Mahamadou Issoufou a choisi comme dauphin un fidèle parmi les fidèles : mardi soir, la Commission électorale nationale indépendante a donné Mohamed Bazoum vainqueur du second tour de l’élection présidentielle, avec 55,75 % des voix, selon des résultats provisoires qui doivent encore être confirmés par la Cour constitutionnelle. Avant même cette annonce, l’opposition avait déjà dénoncé un « hold-up électoral », exigeant que soit suspendue la publication des résultats. Mercredi 24 février, depuis son fief de Zinder, dans le sud-est, son candidat, Mahamane Ousmane, a revendiqué la victoire, assurant que la compilation des procès-verbaux en sa possession lui donnait « 50,3 % des voix ». L’opposition, qui dénonce des fraudes et des menaces sur ses délégués, assure avoir constaté, dans certaines circonscriptions, des taux de participation dépassant les 100 %, « avec un score de 99 % en faveur du candidat du pouvoir ».
Menace constante des groupes islamistes armés
Bazoum, lui, se réjouit de la victoire de la « continuité », loue la « sagesse » de son adversaire et souhaite que tous deux regardent « dans la même direction ». Pilier de l’appareil du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (qu’il a fondé avec Issoufou), ce professeur de philosophie, issu de la minorité arabe, ancien marxiste converti à la social-démocratie, a joué en coulisses, ces dix dernières années, un rôle clé au cœur du pouvoir comme dans les relations avec les puissances étrangères. Comme ministre de l’Intérieur, puis comme ministre d’État après la réélection d’Issoufou en 2016, il s’est trouvé en première ligne de l’inextricable défi sécuritaire posé dans ce pays en proie à l’activisme des groupes islamistes armés, depuis les innombrables produits dérivés d’al-Qaida au Maghreb islamique jusqu’à la secte nigériane Boko Haram, qui n’ont cessé d’étendre, ces dernières années, l’aire de leurs attaques. Bazoum prend la tête du Niger au pire moment, alors que l’échec du déploiement militaire français dans le Sahel est manifeste, avec l’enlisement de l’opération « Barkhane » et l’impossible passage de relais aux armées de la région, dépassées par l’insaisissable guérilla djihadiste – des « métastases du cancer terroriste », dit-il.
42 % de la population vit dans l’extrême pauvreté
Dans le onzième pays le plus pauvre du monde, où le géant français Orano (ex-Areva) exploite depuis un demi-siècle des gisements d’uranium en dictant ses conditions, le nouveau président jure de faire des infrastructures, de l’éducation, de l’accès aux soins, de la protection sociale et du contrôle des naissances ses priorités. Il parie, pour financer de telles politiques, sur la rente promise par la montée en puissance de l’exploitation pétrolière, avec le début prévu des exportations d’hydrocarbures en 2022. Une ressource qui pourrait encore aiguiser d’obscurs appétits, dans le sillage des scandales politico-financiers qui ont secoué l’ère Issoufou.
Le nouveau chef d’État, dont le nom n’est pas cité dans les affaires de détournements de fonds publics ayant éclaboussé les mandats de son prédécesseur, promet « des audits » dans les institutions publiques pour mettre un terme aux « pratiques de corruption qui décrédibilisent la démocratie ». Dans une zone instable, avec 24 % des jeunes au chômage et près de 42 % de la population vivant dans l’extrême pauvreté, Bazoum, au pouvoir, devra, très vite, dégager d’autres horizons que celui de la « continuité ».
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