Le chef de l’Etat affirmait 23 août 2019 qu’il s’opposerait à la ratification de l’accord de libre- échange signé le 29 juin de la même année entre la Commission européenne et les pays du Mercosur, suite à la multiplication des incendies en Amazonie. Désormais il manœuvre en coulisse pour faire ratifier cet accord. Ce faisant, il tourne le dos à la souveraineté alimentaire de la France et à la nécessité de lutter de manière cohérente contre le réchauffement climatique en cours.
Dans l’Humanité d’hier, 18 février, on apprenait que 48 députés, membres de différents groupes, avaient, à l’initiative du communiste André Chassaigne, tenu de conférence de presse commune la veille pour demander que les éleveurs des zones de montagne « conservent au moins le niveau actuel des aides de la politique agricole commune (PAC) », dans le cadre de la réforme à venir dont débattent actuellement les ministres de l’Agriculture des 27 pays membre de l’Union européenne. Avec la diminution annoncée du budget de la PAC pour les années de 2023 à 2027, les Indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pourraient être réduites, ce qui ferait reculer l’élevage à l’herbe dans les zones de prairies naturelles qui ont la double particularité de stocker du carbone et de ne pas être assez fertiles pour produire de manière rentable des plantes annuelles comme les céréales. Voilà qui donne une idée de l’absurdité qui peu régner au sein du collège des commissaires à Bruxelles.
On sait que cette commission a signé un accord de libre-échange le 29 juin 2019 avec les pays du Mercosur. Il doit permettre à ces pays d’exporter en Europe et sans droits de douanes quelques 99.000 tonnes annuelles supplémentaires de viande bovine et 100.000 tonnes de viandes volailles de plus, sans compter les exportations de tourteaux de soja pour nourrir le bétail européen. Réduire en même temps dans les pays membres de l’Union l’ICHN qui permet de maintenir vaille que vaille l’élevage à l’herbe dans les zones difficiles revient à tirer une balle dans le pied des paysans qui produisent de la viande et de lait dans ces régions , qui plus est , sous signes de qualité dans bien des cas.
Bruxelles propose de produire moins pour importer plus
On sait aussi que la Commission européenne demeure mandatée par la France et les autres pays membres de l’Union européenne pour négocier des accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle Zélande. Or ces deux pays veulent aussi vendre plus de viande et de produits laitiers en Europe. Pourtant la Nouvelle Zélande bénéficie déjà d’un contingent annuel d’exportation de viande ovine de quelques 230.000 tonnes en Europe. Ce contingent est maintenu depuis la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne alors que ce pays était le principal importateur de viande ovine néo-zélandaise.
On sait aussi que dans son « Pacte vert pour l’Europe » la Commission européenne propose de mettre 10 millions d’hectares de terres agricoles en jachère dans les pays membres pour, soit disant, favoriser la biodiversité. Mais comme cela se traduira par le recul de l’élevage à l’herbe dans les zones difficiles, cette politique favorisera la friche et le recul de la biodiversité en même temps. Pour ne prendre qu’un exemple, là où les vaches ne vont plus aux alpages en été, la vie du tétras lyre, un oiseau emblématique des Alpes, se trouve mise en danger car les poussins ne trouvent plus les protéines animales dont ils ont besoin durant leurs premières semaines de vie. Ces protéines sont des larves d’insectes qui ne se trouvent que dans les bouses de vache sur les parcours herbagers quand elles rejoignent les alpages vers la fin de la couvaison au printemps !
Trop de grain et pas assez d’herbe dans l’auge du bétail européen
Si nous voulons que le bilan carbone de la production de viande diminue en Europe, il faut une politique agricole qui favorise l’élevage à l’herbe et réduise la part des céréales et des graines protéagineuses dans l’alimentation des herbivores ruminants comme les bovins, les ovins et les caprins. Or, les derniers chiffres connus avant la sortie du Royaume Uni de l‘Union nous indiquaient que l’Europe utilisait chaque année 220 millions de tonnes de céréales et d’oléo-protéagineux pour nourrir le bétail. Détail supplémentaire, 70% des oléo-protéagineux étaient importés de pays tiers, essentiellement des pays du Mercosur. Dans cette Union européenne, il y avait 74 millions d’hectares de prairies temporaires dont 17 millions d’hectares de parcours et landes. Ce sont toutes ces superficies qui seraient moins aidées par une baisse de l’ICHN. Parallèlement, 30% du cheptel européen se trouve concentré sur 11% de la surface agricole utile (SAU) dans les pays membres de l’Union européenne. C’est notamment le cas des Pays Bas qui importent beaucoup de nourriture du bétail et exportent beaucoup de viande et de produits laitiers avec un bilan carbone désastreux.
C’est au regard de ce type de bilan qu’il faut analyser les accords de libre-échange que la Commission Européenne ne cesse de négocier avec l’accord d’Emmanuel Macron. En prenant connaissance du contenu de l’accord de libre-échange signé le 29juin 2019 entre la Commission européenne et les pays du Mercosur dont fait partie le Brésil, il avait déclaré : «Cet accord est bon à ce stade ». Ce n’était pas l’avis de paysans français qui craignaient une chute des prix au départ des fermes en raison d’importations supplémentaires de viandes bovines et de volailles à tarifs douaniers réduits en provenance du Brésil présidé par Jair Bolsonaro.
Les prises de positions manœuvrières du présent français
Dans les semaines qui suivirent la signature de cet accord, on constata une multiplication des incendies en Amazonie. Ils étaient initiés par les firmes brésiliennes de l’agrobusiness afin de défricher de nouvelles terres pour accroître les exportations vers l’Europe. Du coup, le président Macron déclara le 23 août 2019 vouloir s’opposer à cet accord « en l’état ». Depuis, il n’en parle plus. Mais Franck Riester, le très discret ministre-délégué en charge du Commerce extérieur, affirme désormais qu’il refuse d’admettre que dix années de négociations commerciales entre l’Europe et le Mercosur « n’aient servi à rien ». Cela revient à plaider en faveur de la ratification par la France de l’accord UE-Mercosur. Sans doute dit-il cela à la demande du président Macron pour tester l’opinion des Français sur le sujet.
Un récent communiqué de la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA- dont nous avons déjà fait état dans un précédent article - indique que les éleveurs de cette fédération «n’ont pas été rassurés par Franck Riester, lors de la réunion du Comité de suivi de la politique commerciale du jeudi 4 février (…) Interrogé par de nombreux participants sur la manière dont la France comptait concrétiser la prise en compte de ses exigences et leur application par le pays du Mercosur», le ministre délégué au Commerce extérieur « n’a fourni aucun début de réponse».
La même FNB a fait une révélation encore plus surprenante : « de l’aveu même de Franck Riester, la France pourrait perdre son « droit de veto » lors du vote de l’accord Mercosur au Conseil européen, sans réaction de la part du Gouvernement ». Alors que la Commission européenne avait confirmé la nature juridique « mixte » de l’accord d’association avec le Mercosur, cette procédure serait abandonnée. Du coup, la France serait privée de son droit de veto comme du droit de faire ratifier l’accord par le Parlement !
Ainsi donc, tout indique que le président de la République manœuvre en en coulisse, mais en totale concertation avec la Commission européenne, pour revenir sur sa promesse de ne pas ratifier un accord commercial dangereux pour notre souveraineté alimentaire comme pour le climat de ce XXIème siècle. Dans ce cas précis, le «et en même temps » du président Macron consisterait donc à pousser l’Europe à modifier la procédure de ratification pour priver la France et son droit de veto et permettre au chef de l’Etat de sauver la face par ce biais !
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