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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 06:17

 

Les tractations du secteur eau-propreté entre Veolia, Suez et Engie ont soulevé l’indignation. La direction du groupe Engie a une stratégie de cession par morceaux, phase ultime de la financiarisation des services publics historiques. L’ensemble du secteur public, notamment EDF, est touché par le même phénomène compromettant la transition énergétique.

*Éric Buttazzoni est syndicaliste CGT du secteur de l’énergie et ancien salarié d’Engie.

Aujourd’hui, la transition énergétique est plus que jamais à l’ordre du jour, mais l’évolution du secteur qui nous occupe ne va pas dans le bon sens. N’y a-t-il pas mieux à faire que de ne voir en ces groupes que des sources de revenus financiers ? N’y a-t-il pas au contraire besoin de les mobiliser au mieux dans une nouvelle politique publique ?

EDF, GDF ET SUEZ, RAPPELS HISTORIQUES

Jusqu’à 2004, EDF et GDF étaient des établissements publics assurant l’ensemble des activités liées l’une à l’électricité, l’autre au gaz. Dans les premières années du siècle, les deux groupes ont connu à la fois l’arrivée de la concurrence avec l’ouverture des marches via les directives européennes et la transformation en sociétés par actions avec ouverture du capital, voire pour GDF la privatisation. Suez de son côté était un groupe à la fois d’énergie (Electrabel au Benelux), de services à l’énergie (Cofely, Ineo, Axima, Endel...), d’eau (la Lyonnaise) et de propreté (SITA).

Après le rachat de GDF par Suez, en 2008, le nouveau groupe GDF Suez, devenu depuis Engie, avait ainsi cinq grandes activités : la production d’électricité, les activités gazières, les services à l’énergie (chaufferies, système de chaud et de froid dans les bâtiments, réseaux électriques et vidéo...), l’eau et la propreté. Ces deux dernières activités étaient liées dans un sous-groupe, Suez Environnement, qui a obtenu de prendre le nom de Suez en 2015. C’est la participation d’Engie dans ce sous-groupe qui a été vendue à Veolia en octobre 2020.

UNE TRANSFORMATION EN SOCIÉTÉS ANONYMES : LE PRÉALABLE NÉCESSAIRE À LA FINANCIARISATION

Jusque dans les années 1990, EDF et GDF étaient gérés sur le principe de la facturation au prix de revient, prix qui comprenait les besoins de renouvellement des installations et de leur développement. Le résultat devait être nul : ni perte car cela aurait été de la mauvaise gestion, ni gain car cela aurait signifié que les usagers avaient trop payé.

Dans les années 1990, les formules déterminant les tarifs ont été revues afin que le bénéfice devienne positif, créant ainsi une rentabilité financière permettant leur entrée en Bourse (qui a eu lieu en 2005). Cette évolution, ce sont les usagers qui en ont payé le prix, directement via le tarif, mais aussi via la dégradation du service public.

Officiellement, cette entrée en Bourse était nécessaire pour apporter des fonds aux entreprises. C’est totalement faux, puisque celles-ci avaient toujours autofinancé leur développement, y compris dans la phase de reconstruction de l’après-guerre, y compris dans les périodes de changement technologique (passage au gaz naturel pour GDF, programme nucléaire pour EDF). La réalité était plus prosaïque : l’État est considéré, lors du passage en sociétés par actions, comme actionnaire à 100 %, alors qu’il n’a pas financé EDF ni GDF, contrairement aux usagers qui en ont financé l’intégralité. Ce tour de passe-passe permet à l’État d’empocher les dividendes et de vendre, au moins partiellement, « ses » sociétés.

LES VACHES À LAIT DES ACTIONNAIRES

À partir de 2005, EDF et GDF commencent à verser des dividendes, principalement à l’État. Concernant GDF, la question des dividendes change d’échelle à partir de son rachat par Suez. Le groupe va verser en dividendes des sommes de l’ordre de 100 % de son bénéfice. Mais quand pour différentes raisons ce bénéfice va baisser dans les années 2010, il va en maintenir un niveau très élevé et sans commune mesure avec le résultat. Sur les dix premières années de GDF Suez, le groupe aura versé 41 milliards de dividendes pour 16 milliards de résultats.

Cette rémunération existe aussi côté EDF, même si elle est moins importante par rapport au résultat (entre 50 et 65 % du résultat selon les années). Pour la verser, les maisons mères (EDF SA et Engie SA) doivent pressurer leurs filiales afin de faire remonter un maximum de résultat. Ainsi, toute la chaîne industrielle est vidée, année après année, au détriment de l’emploi, des investissements, des conditions de travail et de la qualité du service public.

POUR GAGNER PLUS, DÉMANTELER

Mais, cela ne suffit apparemment pas, et l’État voudrait récupérer plus d’argent plus vite. Pour cela, une seule solution : vendre la poule aux œufs d’or. La justification est toute trouvée : l’idéologie libérale du gouvernement actuel – et des précédents – considère que les services publics ne sont pas du ressort de l’État. Ainsi, de proche en proche, on en arrive à la vente par morceaux.

Pèse sur EDF un projet nommé « Hercule », encore en discussion, dont la finalité est de couper EDF en deux. De façon simplifiée : le nucléaire resterait dans une société contrôlée par l’État, le reste (distribution, commercialisation, énergies renouvelables, services à l’énergie) serait placé dans une société dont le capital serait à vendre. Cela permettrait à l’État de continuer à toucher ses dividendes, de récupérer des fonds ou, en tout cas, de ne pas avoir à participer au financement d’EDF.

Quant à Engie, la logique libérale est simple : il y a un énergéticien de trop en France (comprendre Engie) et l’État veut se désengager. La solution – soufflée parles banquiers d’affaires – consisterait à vendre par morceaux pour tirer le meilleur prix. Aujourd’hui, l’eau et la propreté (Suez) sont vendues au concurrent Veolia, demain (2021) la plus grande partie des services à l’énergie subirait le même sort, tout cela avec des risques importants pour l’emploi. Ensuite, on peut penser que ce qui restera – une partie de l’ex-GDF et les énergies renouvelables – pourrait être aussi la proie d’offres d’achat : Total est intéressé parla commercialisation du gaz et les énergies renouvelables; les fonds de pension sont intéressés par les infrastructures gazières.

ET LE SERVICE PUBLIC ? ET LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

La particularité de toutes ces activités, c’est qu’elles sont complémentaires et constituent des éléments importants de la transition écologique : production d’électricité et de gaz décarbonés, efficacité énergétique autour des usages (services à l’énergie), utilisation de l’eau et son lien avec l’énergie (récupération de chaleur, biogaz issu des stations d’épuration, utilisation de l’eau dans la production d’hydrogène et, plus généralement, toute la gestion des ressources en eau...), propreté et récupérations (tri, énergie par incinération...), toutes ces techniques sont liées. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun doute sur la nécessité d’accélérer cette transition. Le gouvernement actuel en a fait un élément clé de son plan de « relance ».

N’est-ce pas justement l’occasion de mobiliser les outils que l’État a sous la main, notamment EDF, dont il détient la majorité du capital, et Engie, dont il détient un tiers des droits de vote ? Ce serait l’inverse de la gestion financière de court terme que valide, voire impulse, le gouvernement. L’État peut le faire, c’est le « programme » qu’il faut changer.

Pour faire travailler au mieux ces entreprises, il s’agit maintenant de bâtir une politique publique de la transition écologique et un grand service public pour la mettre en œuvre, comme ont été créées à la Libération EDF et GDF pour reconstruire les grandes infrastructures énergétiques.

CONSTRUIRE UN SERVICE PUBLIC DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Ainsi, comme l’écrit la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie dans sa lettre aux élus : «Le projet de Programme progressiste de l’énergie, porté par la FNME-CGT, examine l’ensemble des volets de l’approvisionnement, la production jusqu’à la commercialisation de l’énergie, ainsi que la création d’un service public de l’efficacité et de la performance énergétique pour obtenir le contrôle d’un secteur crucial pour nos économies et la vie au quotidien de la population. En main publique et en contrôle public, nous pourrons réussir le monde d’après la crise sanitaire en bâtissant une énergie pour toutes et tous dans le sens des emplois et de l’industrie conformément aux enjeux environnementaux de demain. »

Et la coordination CGT d’Engie propose les axes suivants pour un autre projet que celui du gouvernement et de la direction du groupe : il s’agit de « conserver l’intégralité des activités et reprendre le contrôle de Suez pour jouer au maximum les complémentarités, de relancer l’investissement dans de nouveaux projets industriels, de stopper la distribution de dividendes dans une période où l’urgence climatique demande un engagement important et rapide et juger les projets au regard des enjeux de service public et non sur le critère d’une rentabilité à deux chiffres.

Pour cela, il convient de maintenir, voire remonter la part de l’État dans le capital pour privilégier une gestion de long terme avec des enjeux sociaux et sociétaux, de lancer la négociation urgente d’un nouveau contrat de service public avec débat public autour des objectifs à assigner à Engie (idem pour les autres énergéticiens) et des moyens à mettre en œuvre ».

Avec Engie, y compris Suez, et EDF, le pays dispose actuellement de deux points d’appui solides pour accélérer la transition énergétique. Encore faut-il les conserver, les développer et les orienter dans la bonne direction.

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