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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 07:52
La loi sur les séparatismes tourne-t-elle le dos à l'esprit de la loi de 1905? Contributions au débat de Patrick Le Hyaric, Jean-Paul Scot et Valentine Zuber (L'Humanité, 11 février 2021)
Oui, ils s’attaquent à la laïcité
 
La loi dite « séparatisme » et intitulée « Loi confortant les principes républicains » est en passe d’être votée par l‘Assemblée nationale. Elle signe un basculement des principes qui jusqu’ici régissaient la relation entre la puissance publique et les cultes. Elle renoue avec une conception concordataire que la Loi de séparation des Églises et de l'État avait battue en brèche définissant ainsi le caractère laïque de la République.

Cette conception concordataire signifie que la loi en question vise à mettre les cultes sous tutelle de l'État et invente une laïcité applicable aux individus. Elle revient ainsi sur la séparation ferme entre les cultes et la puissance publique instituée en 1905.
 
L‘affaire est complexe en ce que cette loi prétend combattre un véritable fléau, l’intégrisme religieux et ses conséquences qui peuvent aller jusqu’au meurtre et au terrorisme. Celui-ci a déjà durement frappé notre peuple, tout comme d’autres. Cette loi a d’ailleurs été présentée comme une réponse à l’horrible assassinat du professeur Samuel Paty. Pour tout intégrisme religieux, elle ne cible en réalité que celui émanant de l’islam, comme l‘indique l’exposé des motifs, laissant en outre aux cultes la possibilité d’accroitre leurs financements par des dispositions fiscales avantageuses applicables à leur patrimoine immobilier.
 
Cette loi n’est pas laïque car, en prétendant s’en prendre à l’intégrisme, elle donne une place nouvelle aux cultes « républicanisés » dans la vie de la nation. Ceci est conforme à la ligne suivie par M. Macron qui regrettait devant la conférence évêques, comme Nicolas Sarkozy en son temps, que le lien fut « abimé » entre l'État et l’Église, dans la droite ligne de sa campagne présidentielle de 2017 où il célébrait le culte mystique à Jeanne d’Arc, avant de se rendre au Puy du Fou en compagnie d’un opposant farouche à la laïcité, Philippe de Villers.
 
Evitons tout mauvais procès : la lutte contre le terrorisme doit évidemment figurer parmi les priorités de toute action gouvernementale. Cette lutte est une affaire délicate qui a fait l’objet de 28 textes de loi en 30 ans, soit une moyenne d’une loi par an, avec les résultats que l’on connait…
 
Les ressorts du terrorisme, essentiellement djihadiste, sont divers et tortueux. Ils ne sauraient être neutralisés par le contrôle accru du culte musulman qui n’est souvent qu’un prétexte au passage à l’acte et fait l’objet d’une observation pacifique par l’écrasante majorité de ses adeptes.
 
La France a fait des efforts colossaux pour accroitre ses capacités de surveillance des filières terroristes, non sans résultats. Mais la menace rode toujours car la proie est difficile à saisir. Le terrorisme islamique n’est qu’une expression hideuse du désordre mondial et des impasses psychiques et sociales vers lesquelles conduisent nos sociétés. Il faut bien sûr le combattre par le renseignement et la police mais aussi et surtout, en éradiquer les causes par une redéfinition profonde de la République, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, aux antipodes de celle que promeuvent inlassablement et verbeusement messieurs Darmanin et Macron et l’extrême droite: inégalitaire, impérialiste, sécuritaire.
 
La lutte contre l’obscurantisme religieux qui s’exprime notamment à travers l’islam, mais aussi, chose tue, dans les mouvements évangéliques, relève de l’absolue nécessité.
 
Là encore, est-ce par un renforcement considérable des pouvoirs administratifs que nous y parviendrons ? Et à quel prix ? Le pouvoir utilise de fait ces menaces pour rogner les libertés, sans offrir de nouveaux moyens aux institutions publiques pour remplir leurs missions.
 
Pour parvenir à ses fins, le gouvernement a imposé dans le débat le mot « séparatisme ». Mot très efficace pour exciter l’opinion mais bien encombrant dès qu’il s’agit de le graver dans la loi. C’est ainsi qu’il n’apparait dans aucun de ses articles, même pas dans celui qui prétend, à l’article 4, instaurer un « délit de séparatisme », expression vendue à la presse !
 
Il n’est utilisé qu’une seule fois dans un exposé des motifs d’un bavardage assourdissant, un curieux plaidoyer en faveur de l’action du gouvernement qui s’y proclame, en citant le président de la République, gardien de l’héritage républicain. Un tel verbiage n’a rien à faire dans un texte législatif. Cette nouveauté indique déjà les soubassements idéologiques de l’entreprise gouvernementale qui cherche à se légitimer par le poids des seuls mots. Celui de « séparatisme » n’avait donc pour seule fonction que de détourner les regards vers le contexte et non vers le texte.
 
Car le texte en lui-même est avant toute chose une compilation de mesures déjà existantes, ou concernant des délits graves mais résiduels dans la société française, déjà condamnés par la loi, comme l’octroi de certificats de virginité ou la polygamie. On en sauvera les mesures permettant un contrôle accru des comptes des associations cultuelles, tant il est vrai que des puissances comme la Turquie n’hésitent pas à influer, à grand renfort d’argent et des fins géopolitiques, sur la pratique des citoyens français de confession musulmane.
 
Le délit de séparatisme du fameux article 4, censé protéger les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions est particulièrement flou et aura le plus grand mal à être prouvé. Dans la largesse de son énoncé qui met sur un pied d’égalité « menaces », « violences » ou « tout autre acte d’intimidation », il condamne très lourdement (cinq ans d’emprisonnement) toute contestation « des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». N’y a-t-il pas meilleur moyen de faire vivre les missions de service public et de sécuriser les agents, qui du reste le sont déjà par la loi ?
 
Cet article est assorti d’une mesure scandaleuse qui rétablit la double peine en permettant l’expulsion des étrangers concernés par ce délit. Il permet en outre aux autorités hiérarchiques de se décharger de leurs responsabilités sur la police et la justice, quand il faudrait au contraire les renforcer en moyens humains et financiers.
 
Le « contrat d’engagement républicain » institué par l’article 6 a fait tousser les bancs les plus lucides de la représentation nationale, à juste titre. Il fait partie de ces « trouvailles » qui, sous couvert de défense des principes républicains, sont particulièrement dangereuses. Il exige par exemple des associations de s’abstenir de « prosélytisme abusif ». On se demande ce que le législateur entend par là… Nombre de religions fondent leur existence sur leur caractère prosélyte. Qui pourra défini le caractère « abusif » de celui-ci ? Personne. A moins d’un contrôle de tous les instants sur le monde associatif.
 
Il prétend aggraver les peines et condamner les associations et leurs dirigeants qui laisseraient des propos haineux prononcés en leur sein. Pourtant, des associations qui décideraient de prôner la haine ou de violer la loi peuvent être légalement dissoutes, selon l’article 212-1 du Code de la Sécurité Intérieure. Pourquoi donc ce « contrat » d’association qui ampute la loi de 1901 et fait peser le soupçon sur l’ensemble du monde associatif ?
 
Ajoutons que les associations qui ne sollicitent aucun fonds public n’auront pas à s’engager dans ce contrat. Cela leur vaudra-t-il l’opprobre et le soupçon de ne pas respecter les « valeurs républicaines »?
 
Il est très étrange que la République veuille contractualiser ses « valeurs ». Quelles sont-elles et comment la loi s’en saisirait ? Pour notre part, nous accusons le gouvernement de contrevenir sans cesse et à la liberté et à l’égalité et à la fraternité. Cela le rendrait-il illégal ?
 
Le fond idéologique de cette loi réside dans la volonté d’asséner que la République dans laquelle nous vivons est un régime immuablement parfait auquel les citoyens devraient allégeance sous peine de poursuites. Elle ne permettra en rien de déjouer les entreprises sectaires ou intégristes mais renforcera à coups sûrs une vision étriquée et excluante de la République par laquelle fleurissent l’extrême droite et tous les obscurantismes. Cette conception restrictive de la République l’ampute du principe de responsabilité pour placer les citoyens sous contrôle de l’autorité administrative, à rebours des principes législatifs de 1901 et 1905.
 
Comme l’a si bien résumé le député communiste Pierre Dharréville, le gouvernement prétend que sa loi « frappe juste », alors que « juste, il frappe ». Cette loi complète les dispositifs législatifs amorcés sous le quinquennat de François Hollande et considérablement amplifiés sous la présidence de M. Macron, qui confèrent à l’État, placé au service des intérêts capitalistes, des pouvoirs considérables sur la société, par le biais des autorités administratives, dont les préfets.
 
Et, le pouvoir profite de cette loi pour recycler le très contesté article 24 de la Loi de sécurité globale qui vient de se métamorphoser en article 18 de la loi séparatisme ce mercredi 10 février.
 
Il y a fort à parier que les maux qu’il prétend combattre en sortiront renforcés. Du discours des Mureaux prononcé par M. Macron ne subsistent que les aspects répressifs. Aucune mesure sociale n’est jugée utile par ce gouvernement pour recoudre la République. C’est dire la vision qu’il en a...
La loi sur les « séparatismes » tourne-t-elle le dos à l’esprit de la loi de 1905 ?
Jeudi 11 Février 2021

 L’examen du projet de loi confortant les principes républicains se poursuit. Il est le siège d’âpres débats.

 

Les innovations sont liberticides

Jean-Paul Scot, historien et auteur

Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » entend, en son titre II, « garantir le libre exercice du culte », mais ses articles visent surtout à contrôler les cultes et à préserver l’ordre public « face à l’islamisme radical ». Le projet modifie les articles de la loi de 1905 sur les associations cultuelles, leur financement et la police des cultes. La loi de séparation des Églises et de l’État n’avait jamais subi de retouches aussi graves depuis la loi du 25 décembre 1942, ce cadeau de Noël du régime de Vichy à l’Église catholique. Désormais, les associations qui voudront se déclarer cultuelles selon la loi de 1905 devront être confirmées par les préfets si elles veulent bénéficier de ses avantages fiscaux. Pour cela, elles devront prouver que leur activité est strictement cultuelle et signer un « contrat d’engagement républicain », comme toutes les associations en loi 1901 sollicitant une subvention. Cette autorisation devra être renouvelée tous les cinq ans et sera annulable à tout moment. L’État se fait ainsi juge de ce qui est ou n’est pas cultuel et rompt avec sa neutralité en matière religieuse proclamée en 1905.

Le projet de loi paraît inviter les 90 % des associations musulmanes de type mixte, assurant leur culte et d’autres activités comme le permet la loi de 1901, à devenir des organisations cultuelles type 1905. Pour bénéficier des remises d’impôt sur le foncier, les dons et legs et le denier du culte, elles devront présenter chaque année l’état de leur patrimoine, les comptes séparés de leurs activités cultuelles et des autres, et la liste de leurs donateurs bénéficiaires de réduction d’impôt. Ainsi que leurs « avantages et ressources provenant de l’étranger ». Le nécessaire contrôle du financement étranger est la véritable obsession de ceux qui croient pouvoir ainsi « réduire la capacité d’influence et de mainmise d’acteurs étrangers sur les associations et leurs lieux de culte ».

Le projet de loi prévoit encore de « mieux subvenir aux besoins des cultes » de toutes les associations type 1905. Elles pourront désormais « posséder des immeubles acquis à titre gratuit (par donation) afin de pouvoir en tirer des revenus ». Ainsi est repris un projet du temps de Nicolas Sarkozy visant à accroître le patrimoine immobilier de rapport et les bâtiments scolaires des diverses Églises. La loi de 1905 est ainsi doublement dénaturée : l’État accroît le financement indirect des cultes et les cultuelles ne sont plus à but non lucratif.

Le projet de loi entend enfin « moderniser » la police des cultes de 1905. Étaient déjà lourdement pénalisés toute atteinte à la liberté de pratiquer ou non un culte, tout trouble dans un lieu de culte, « toute provocation à résister à l’exécution des lois » et même tout appel à « sédition, révolte ou guerre civile ». Mais les innovations sont liberticides. Dissoudre une association déclarée pour les propos ou les infractions d’un ou plusieurs de ses membres, au nom de la responsabilité collective de ses dirigeants, est plus que discutable en droit. La fermeture administrative d’un lieu de culte pour sanctionner ou prévenir des incitations à la haine ou à la violence, voire au terrorisme, proférées par certains assistants revient à une punition collective et à la négation du droit des fidèles à la liberté de culte garantie par la République. Depuis 1905, aucune église, aucun temple n’ont été fermés pour infraction grave, mais combien de mosquées !

Plutôt que d’assurer la liberté de conscience et de garantir la liberté de culte, le projet gouvernemental renforce le contrôle étatique sur les cultes. Ce n’est pas ainsi que l’on peut lutter contre l’islamisme radical qui se nourrit des « séparatismes » que nous avons créés nous-mêmes, comme l’a reconnu Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux. Bien au contraire !

La primauté d’une «Philosophie d’État»

Valentine Zuber,historienne et directrice d’études à l’École pratique des hautes études

La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, sacralisée de nos jours, représente un jalon essentiel dans l’histoire tumultueuse de la laïcité française. Fondée sur ses deux premiers articles, l’un garantissant le respect par l’État de la liberté de conscience, de religion et de conviction de tous, l’autre dénonçant tout système de reconnaissance et de subvention du religieux par l’État, la laïcité française relevait d’un projet politique libéral et équilibré. La suite de la loi était composée d’articles chargés de préciser les modalités relevant de la seule police des cultes. Ces dispositions, au contraire des deux premiers articles, ont été actualisées au cours du temps. Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », en discussion à l’Assemblée, semble au premier abord devoir s’inscrire dans cette volonté de procéder à une simple mise à jour. Il y a d’abord une date, et celle-ci n’a certainement pas été choisie par hasard. La première publication du projet actuel a été dévoilée de manière très symbolique le 9 décembre dernier, soit le jour du 115 e anniversaire de la loi de 1905.

Dans l’habillage, la continuité se veut explicite à travers tout un vocabulaire hérité de cette loi, et les appellations des différentes parties en témoignent : la garantie du respect des principes républicains (titre Ier) et celle du libre exercice des cultes (titre II). C’est donc plutôt dans l’exposé des motifs et dans le contenu des articles effectivement proposés que le projet semble pourtant devoir s’écarter à plusieurs égards de son modèle historique.

C’est ce qui ressort d’une lecture attentive de ce texte, qui a déjà fait l’objet d’un nombre record d’amendements, mais aussi de recours émanant de la société civile, représentée tant par les représentants des différents cultes que par les grandes associations vouées à la défense des libertés publiques. Car la majorité des dispositions prévues dans ce projet, en exigeant toujours plus d’allégeance à l’État et en durcissant les peines prévues en cas de non-respect de ces principes, infléchissent nécessairement l’esprit de la politique républicaine traditionnelle à l’égard des différentes expressions religieuses ou convictionnelles. En conditionnant toute autorisation d’ouverture ou de renouvellement des associations (qu’elles soient cultuelles ou non) au respect d’un « contrat républicain » unilatéral et contraignant, la loi semble vouloir désormais ignorer la spécificité du domaine d’exercice du religieux.

L’adhésion à une croyance religieuse n’engage en effet pas seulement des citoyens au sens restreint du terme, mais des personnes croyantes à des degrés divers, qui peuvent porter des valeurs particulières qui toutes peuvent contribuer à l’enrichissement du débat démocratique. En cherchant à restreindre l’ordre public au respect des seules valeurs républicaines, c’est tout le champ des libertés individuelles et collectives qui risque de se voir réduit de manière drastique. Tout retour à une philosophie gallicane ou bonapartiste à travers l’imposition d’une régulation étatique de type autoritaire à l’égard des cultes menace ainsi notre idéal « séparatiste » depuis 1905, à savoir la distinction fondamentale des deux domaines, celui de l’État et celui des opinions particulières. Et en cherchant à imposer la primauté d’une véritable philosophie d’État sur les diverses convictions ou croyances, on risque bien d’attenter à l’équilibre fragile de notre démocratie républicaine plus que centenaire. 

Icon Education Dernier ouvrage paru : la Laïcité en débat. Au-delà des idées reçues, le Cavalier bleu, 2020.

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