Cette conception concordataire signifie que la loi en question vise à mettre les cultes sous tutelle de l'État et invente une laïcité applicable aux individus. Elle revient ainsi sur la séparation ferme entre les cultes et la puissance publique instituée en 1905.
L’examen du projet de loi confortant les principes républicains se poursuit. Il est le siège d’âpres débats.
Les innovations sont liberticides
Jean-Paul Scot, historien et auteur
Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » entend, en son titre II, « garantir le libre exercice du culte », mais ses articles visent surtout à contrôler les cultes et à préserver l’ordre public « face à l’islamisme radical ». Le projet modifie les articles de la loi de 1905 sur les associations cultuelles, leur financement et la police des cultes. La loi de séparation des Églises et de l’État n’avait jamais subi de retouches aussi graves depuis la loi du 25 décembre 1942, ce cadeau de Noël du régime de Vichy à l’Église catholique. Désormais, les associations qui voudront se déclarer cultuelles selon la loi de 1905 devront être confirmées par les préfets si elles veulent bénéficier de ses avantages fiscaux. Pour cela, elles devront prouver que leur activité est strictement cultuelle et signer un « contrat d’engagement républicain », comme toutes les associations en loi 1901 sollicitant une subvention. Cette autorisation devra être renouvelée tous les cinq ans et sera annulable à tout moment. L’État se fait ainsi juge de ce qui est ou n’est pas cultuel et rompt avec sa neutralité en matière religieuse proclamée en 1905.
Le projet de loi paraît inviter les 90 % des associations musulmanes de type mixte, assurant leur culte et d’autres activités comme le permet la loi de 1901, à devenir des organisations cultuelles type 1905. Pour bénéficier des remises d’impôt sur le foncier, les dons et legs et le denier du culte, elles devront présenter chaque année l’état de leur patrimoine, les comptes séparés de leurs activités cultuelles et des autres, et la liste de leurs donateurs bénéficiaires de réduction d’impôt. Ainsi que leurs « avantages et ressources provenant de l’étranger ». Le nécessaire contrôle du financement étranger est la véritable obsession de ceux qui croient pouvoir ainsi « réduire la capacité d’influence et de mainmise d’acteurs étrangers sur les associations et leurs lieux de culte ».
Le projet de loi prévoit encore de « mieux subvenir aux besoins des cultes » de toutes les associations type 1905. Elles pourront désormais « posséder des immeubles acquis à titre gratuit (par donation) afin de pouvoir en tirer des revenus ». Ainsi est repris un projet du temps de Nicolas Sarkozy visant à accroître le patrimoine immobilier de rapport et les bâtiments scolaires des diverses Églises. La loi de 1905 est ainsi doublement dénaturée : l’État accroît le financement indirect des cultes et les cultuelles ne sont plus à but non lucratif.
Le projet de loi entend enfin « moderniser » la police des cultes de 1905. Étaient déjà lourdement pénalisés toute atteinte à la liberté de pratiquer ou non un culte, tout trouble dans un lieu de culte, « toute provocation à résister à l’exécution des lois » et même tout appel à « sédition, révolte ou guerre civile ». Mais les innovations sont liberticides. Dissoudre une association déclarée pour les propos ou les infractions d’un ou plusieurs de ses membres, au nom de la responsabilité collective de ses dirigeants, est plus que discutable en droit. La fermeture administrative d’un lieu de culte pour sanctionner ou prévenir des incitations à la haine ou à la violence, voire au terrorisme, proférées par certains assistants revient à une punition collective et à la négation du droit des fidèles à la liberté de culte garantie par la République. Depuis 1905, aucune église, aucun temple n’ont été fermés pour infraction grave, mais combien de mosquées !
Plutôt que d’assurer la liberté de conscience et de garantir la liberté de culte, le projet gouvernemental renforce le contrôle étatique sur les cultes. Ce n’est pas ainsi que l’on peut lutter contre l’islamisme radical qui se nourrit des « séparatismes » que nous avons créés nous-mêmes, comme l’a reconnu Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux. Bien au contraire !
La primauté d’une «Philosophie d’État»
Valentine Zuber,historienne et directrice d’études à l’École pratique des hautes études
La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, sacralisée de nos jours, représente un jalon essentiel dans l’histoire tumultueuse de la laïcité française. Fondée sur ses deux premiers articles, l’un garantissant le respect par l’État de la liberté de conscience, de religion et de conviction de tous, l’autre dénonçant tout système de reconnaissance et de subvention du religieux par l’État, la laïcité française relevait d’un projet politique libéral et équilibré. La suite de la loi était composée d’articles chargés de préciser les modalités relevant de la seule police des cultes. Ces dispositions, au contraire des deux premiers articles, ont été actualisées au cours du temps. Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », en discussion à l’Assemblée, semble au premier abord devoir s’inscrire dans cette volonté de procéder à une simple mise à jour. Il y a d’abord une date, et celle-ci n’a certainement pas été choisie par hasard. La première publication du projet actuel a été dévoilée de manière très symbolique le 9 décembre dernier, soit le jour du 115 e anniversaire de la loi de 1905.
Dans l’habillage, la continuité se veut explicite à travers tout un vocabulaire hérité de cette loi, et les appellations des différentes parties en témoignent : la garantie du respect des principes républicains (titre Ier) et celle du libre exercice des cultes (titre II). C’est donc plutôt dans l’exposé des motifs et dans le contenu des articles effectivement proposés que le projet semble pourtant devoir s’écarter à plusieurs égards de son modèle historique.
C’est ce qui ressort d’une lecture attentive de ce texte, qui a déjà fait l’objet d’un nombre record d’amendements, mais aussi de recours émanant de la société civile, représentée tant par les représentants des différents cultes que par les grandes associations vouées à la défense des libertés publiques. Car la majorité des dispositions prévues dans ce projet, en exigeant toujours plus d’allégeance à l’État et en durcissant les peines prévues en cas de non-respect de ces principes, infléchissent nécessairement l’esprit de la politique républicaine traditionnelle à l’égard des différentes expressions religieuses ou convictionnelles. En conditionnant toute autorisation d’ouverture ou de renouvellement des associations (qu’elles soient cultuelles ou non) au respect d’un « contrat républicain » unilatéral et contraignant, la loi semble vouloir désormais ignorer la spécificité du domaine d’exercice du religieux.
L’adhésion à une croyance religieuse n’engage en effet pas seulement des citoyens au sens restreint du terme, mais des personnes croyantes à des degrés divers, qui peuvent porter des valeurs particulières qui toutes peuvent contribuer à l’enrichissement du débat démocratique. En cherchant à restreindre l’ordre public au respect des seules valeurs républicaines, c’est tout le champ des libertés individuelles et collectives qui risque de se voir réduit de manière drastique. Tout retour à une philosophie gallicane ou bonapartiste à travers l’imposition d’une régulation étatique de type autoritaire à l’égard des cultes menace ainsi notre idéal « séparatiste » depuis 1905, à savoir la distinction fondamentale des deux domaines, celui de l’État et celui des opinions particulières. Et en cherchant à imposer la primauté d’une véritable philosophie d’État sur les diverses convictions ou croyances, on risque bien d’attenter à l’équilibre fragile de notre démocratie républicaine plus que centenaire.
Dernier ouvrage paru : la Laïcité en débat. Au-delà des idées reçues, le Cavalier bleu, 2020.
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