Une cinquantaine de jeunes se sont rassemblés devant la Sorbonne, jeudi 14 janvier, pour dénoncer l’absence de dialogue avec l’administration de l’université et demander de meilleures conditions d’étude.
« Mais pour qui elle nous prend ? Les enfants de maternelle ont le droit d’aller à l’école, mais nous, qui sommes majeurs, nous ne serions pas capables de respecter les gestes barrières… » L’exaspération de Soumia, étudiante et syndiquée à l’Unef, était partagée par la cinquantaine de personnes réunies ce jeudi devant l’université de la Sorbonne, pour protester contre le mépris de l’administration. La petite phrase prononcée dans le Monde, le 12 janvier, par la ministre de l’Enseignement supérieur pour justifier le refus de rouvrir les universités, sur « l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table », ne passe décidément pas. Elle illustre le refus du dialogue, qui a culminé avec des violences policières, le 4 janvier dernier, comme seule réponse aux protestations contre la tenue d’examens en présentiels, après des mois d’enseignement à distance. « L’unique réponse pour m’être posté devant la porte de mon université, ça a été des coups et 55 heures de garde à vue », a rappelé Ralf dans le mégaphone.
« Ce qui nous révolte le plus, c’est le silence de l’administration, alors que pendant des semaines on a tenté de demander un aménagement de l’organisation des partiels, pour prendre en compte la situation des étudiants confinés », s’insurge Fanny, étudiante en géographie. Géraldine Paumier, qui siège en tant que représentante CGT du personnel administratif au conseil de la formation et de la vie universitaire, confirme qu’à la demande des syndicats étudiants d’aménager l’organisation des examens « le président le leur a refusé de façon très agressive ». Rien n’a en effet été fait pour prendre en compte la situation des jeunes qui ont quitté la capitale, pour ne pas payer de loyers exorbitants, et pour qui revenir sur place plusieurs jours peut s’avérer complexe. « On a aussi invoqué les risques sanitaires du présentiel pour ceux qui ont des problèmes de santé ou des familles à risques, mais rien n’a été prévu », ajoute un membre du syndicat Bouge ta fac. Même au sein des UFR (unités de formation et de recherche), la question des modalités d’organisation des partiels a été verrouillée, relate un maître de conférences en histoire médiévale.
Menaces et pressions
Les étudiants dénoncent aussi des menaces et des pressions. Aux étudiants qui ont pris la parole en début de partiels pour signaler leurs doutes, un professeur d’histoire moderne aurait ainsi répondu : « Les classes préparatoires et les grandes écoles sont en train de composer ; vous, vous êtes des faignants. » Les manifestants évoquent aussi des menaces de conseil disciplinaire, voire de suppressions de bourses, à l’encontre de ceux qui ont osé poser des questions. « Si les étudiants sont allés composer, c’est par peur de l’administration, pas parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec nous », lance Valentin, en master d’histoire, sous les applaudissements de la foule.
Mais, face à la souffrance des étudiants, la direction de l’université fait aussi la sourde oreille. Adbe raconte qu’il a tenté de signaler des cas d’élèves au bord du suicide, mais qu’au-delà de l’écoute bienveillante de la responsable des risques étudiants, « la direction est dans le déni ». La souffrance psychique et matérielle des étudiants, confinés depuis des mois, est pourtant palpable. « J’ai vu mes rêves s’écrouler, mon avenir se noircir. À 18 ans, on se dit que plus rien n’a de sens », a témoigné une jeune fille dans une lettre lue aux manifestants. Les étudiants, pourtant, ne demandent pas la lune. Ils veulent simplement revenir à la fac et pouvoir étudier dans des conditions décentes pour garantir leur avenir.
Heïdi Soupault Étudiante en deuxième année de sciences politiques à Strasbourg
Dans une lettre ouverte devenue virale, la jeune femme interpelle Emmanuel Macron sur le sort d’une jeunesse sacrifiée.
« Monsieur le président, À 19 ans, j’ai l’impression d’être morte. (…) Je dois travailler. Je n’ai que ça à faire non ? C’est tout ce que l’on me demande, la seule activité qu’on m’autorise. J’ai 19 ans et mon bureau c’est ma chambre. C’est aussi mon lieu de repos, d’appel, de film, et même parfois de cuisine. Tout se confond dans mon esprit. Rentrer chez moi après une journée d’amphithéâtre n’est plus satisfaisant, les c ours c’est ma chambre, ma chambre c’est les cours. La réalité, Monsieur le président, c’est que je n’ai plus de rêves. Tous mes projets s’écroulent les uns après les autres, au même rythme que mon moral décline. Au début c’était drôle, au début c’était nouveau. (…) Mais là, stop. Il n’y a plus rien d’amusant. Relativiser ça va un temps. Nous ne sommes pas des machines, vous ne pouvez pas nous demander de travailler et de la fermer. J’adore mes études mais je stagne, la productivité est à des années-lumière de moi, j’essaye de me reprendre mais c’est pire chaque jour. Parfois, je pleure devant mon ordinateur. Ma vie n’a aucun sens et mon avenir est bouché. Je ne me projette pas trop loin, pour me protéger, pour tuer l’espoir avant qu’une autre de vos mesures ne vienne le faire à ma place. S i on n’a ni espoir, ni perspective d’avenir à 19 ans, il nous reste quoi ? (…) Je sais que je ne suis pas la seule, et je sais que je fais partie de ceux qui vont bien. Beaucoup sont en décrochage scolaire, en perte d’estime de soi, en souffrance. Ces jeunes qui vont mal, c’est l’avenir du pays Monsieur le président, et vous le fragilisez, vous le fêlez, vous le négligez. Un étudiant s’est jeté du quatrième étage à Lyon il y a quelques jours. Une information qui passe, simple dommage collatéral d’une pandémie mondiale. Mais si nous les étudiants ne sommes pas mentionnés à la prochaine allocution, si des alternatives ne sont pas trouvées, si personne n’a la décence de nous faire retourner au moins en travaux dirigés, ce sont des centaines d’étudiants que vous retrouverez écrasés sur le bitum e. On existe bordel, faut-il qu’on meure pour que vous vous en rendiez compte ? (…). Les centres commerciaux sont bondés, les gens se marchent dessus, et on ose nous dire qu’on ne peut pas se rendre en cours, ne serait-ce qu’en demi-groupe dans le respect des mesures barrières ? Ce n’est tout simplement pas entendable, pas acceptable. (…) On a fait notre part. Maintenant, rendez-nous un bout de vie. »
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