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4 décembre 2020 5 04 /12 /décembre /2020 15:34

 

Une étude réalisée par l’organisation Attac met en lumière la fraude à la TVA qui accompagne les grandes places de marché en ligne, dont Amazon. Une pratique massive qui met en péril le commerce français.

Ce 4 décembre aura lieu le « Black Friday », décalé d’une semaine en France pour cause de deuxième confinement. Ce décalage a été négocié par Bercy après la réouverture des commerces dits « non essentiels » pour ne pas trop pénaliser les commerçants français au regard des géants du numérique. Car, durant le deuxième confinement, le groupe étasunien Amazon est devenu, du moins en façade, une sorte d’ennemi public numéro un.

Mais pendant que le ministre de l’économie et des finances appelait à des « achats patriotiques », ou que l’on maintenait une taxe GAFA très symbolique, le géant californien n’en a pas moins continué ses activités, profitant pleinement des mesures sanitaires.

Or Amazon s’est imposé et s’impose comme incontournable non seulement par ses services, mais également et surtout par ses méthodes prédatrices. La position gouvernementale tentant de faire croire que les petits commerçants français peuvent, par la magie de la « numérisation », être sur un pied d’égalité avec l’entreprise californienne est un leurre grossier. La « machine » Amazon bénéficie d’une puissance de frappe qui se construit aussi sur sa capacité à échapper à l’impôt. C’est par ce biais qu’elle détruit la concurrence et s’impose comme intermédiaire central dans le commerce français.

L’organisation non gouvernementale Attac avait, l’an passé, dévoilé que 57 % du chiffre d’affaires d’Amazon en France était logé dans des paradis fiscaux. Elle publie aujourd’hui une autre étude que Mediapart a pu se procurer et qui permet de mieux comprendre la logique prédatrice à l’œuvre et sa mécanique. Cette étude, disponible ici, concerne la fraude à la TVA dans les places de marché du commerce en ligne.

En principe, la TVA qui, rappelons-le, est l’impôt qui rapporte le plus aux recettes publiques (environ 126 milliards d’euros) doit être payée, dans l’Union européenne, dans le pays d’arrivée du bien vendu. Amazon, quoique formellement basée au Luxembourg, doit donc s’acquitter de la TVA française pour les produits vendus en France. Mais Amazon est aussi une plate-forme de marché où des vendeurs du monde entier proposent des produits au public français. Dans le cas des vendeurs de pays extérieurs à l’Union européenne, la législation prévoit qu’ils doivent s’enregistrer dans le pays d’arrivée pour acquitter la TVA lorsque les ventes dépassent 35 000 euros hors taxes par an. Mais cet enregistrement est obligatoire dès la première vente et lorsque le produit passe par un entrepôt français. C’est le cas de la plupart des produits vendus sur Amazon et expédiés par cette entreprise.

Or l’étude d’Attac, qui s’appuie beaucoup sur un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) de 2019, rappelle que 98 % des vendeurs étrangers actifs sur les plateformes n’étaient pas immatriculés à la TVA en France et donc ne versait pas cet impôt. Si cette obligation n’est jamais ou presque respectée dans l’e-commerce, c’est parce qu’elle est très difficile à contrôler compte tenu du flux de transactions générées par ces plateformes. Ainsi, l’IGF a estimé que 538 vendeurs étaient immatriculés sur 24 459 au 31 décembre 2019…

Il est donc très difficile d’évaluer les pertes pour les finances publiques. Attac a réalisé trois évaluations que Raphaël Pradeau, le porte-parole de l’organisation, qualifie lui-même de « prudentes ». La première utilise une méthode dite « descendante » qui consiste à appliquer le taux global de perte de recettes de TVA au commerce électronique. Cela amène à un chiffre compris entre 790 millions et 1,2 milliard d’euros. Mais c’est un chiffre plancher car, comme on vient de le voir, la pratique de la fraude à la TVA est beaucoup plus répandue dans ce secteur du commerce en ligne. La deuxième méthode, dite « mixte », part de la proportion de l’activité des places de marché dans l’activité globale des grands acteurs du commerce en ligne. Selon la Cour des comptes, cette proportion est en moyenne de 29 % (mais ce chiffre atteint 60 % pour Amazon). Cette méthode permet d’estimer une fraude minimale de 1,1 milliard d’euros. Là aussi, c’est une donnée « plancher » selon Attac.

La dernière méthode pourrait être la plus proche de la réalité. Elle est qualifiée par Attac de méthode « ascendante » et consiste à extrapoler à partir des quelques données du contrôle fiscal rendues publiques par la Cour des comptes. Ces éléments permettent de construire une fourchette allant de 2,6 à 5,98 milliards d’euros annuels. Pour Attac, cela prouve que les calculs précédents représentent réellement des « montants planchers », une sorte de minimum absolu. L’organisation considère donc qu’il faut s’en tenir à une fourchette de 2 à 5 milliards d’euros par an de manque à gagner même si un chiffre de 4 à 5 milliards d’euros semble plus réaliste « au regard des spécificités du secteur » et du caractère systématique de la fraude à la TVA par les acteurs hors UE.

Ces montants ne sont pas négligeables. Rappelons que les mesures du Ségur de la santé s’élevaient à 8 milliards d’euros et que les mesures d’économie annuelles, y compris en 2021, sur le système de santé sont de 4 milliards d’euros. Néanmoins, l’aspect central de cette fraude à la TVA n’est peut-être pas celui des pertes pour les finances publiques, mais plutôt celui de la pratique concurrentielle.

« Il y a, grâce à cette fraude, une distorsion de concurrence patente que le rapport de l’IGF pointait déjà l’an passé », souligne Raphaël Pradeau. Puisqu’une partie des vendeurs des places de marché ne s’acquitte pas de la TVA, il leur est aisé de pratiquer des prix très compétitifs. Et d’écarter ainsi la concurrence européenne et nationale qui s’acquitte de la TVA et qui ne pourrait, en conséquence, pas s’aligner sur ces prix, sauf à faire faillite.

Ces méthodes permettent donc aux plate-formes de gagner des parts de marché, notamment aux plate-formes les plus présentes internationalement, à commencer par Amazon. C’est de cette façon que le géant du numérique, qui a beaucoup communiqué sur sa défense des PME françaises, joue, en réalité, contre les entreprises françaises. Mais pour Amazon et les autres, ces gains de parts de marché sont décisifs pour ses propres bénéfices. « Qu’Amazon en soit conscient ou pas, il profite de cette fraude », résume le porte-parole d’Attac. On est là au cœur de la logique prédatrice du techno-féodalisme tel qu’il est décrit par l’économiste Cédric Durand (voir cet entretien)

C’est pourquoi l’étude réalisée par Attac observe de près le cas d’Amazon. Elle tente notamment d’évaluer la part de la fraude relevant directement du groupe californien. Ce dernier pèse environ 30 % du marché de la « marketplace » en France et, selon une enquête de la Fédération des entreprises de vente à distance, 63,5 % des consommateurs ayant utilisé des places de marché ont eu au moins une fois recours à Amazon. Enfin, la place de marché représente 65 % du volume d’affaires d’Amazon, ce qui est considérable et permet de prendre conscience de l’importance de cette fraude à la TVA pour le modèle économique du groupe étasunien.

Avec ces données, Attac estime que le manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’État directement lié à Amazon à un milliard d’euros. Cela confirme, selon l’organisation que ce groupe a érigé « l’évitement fiscal en système ». On pourrait ajouter que c’est bien ici une preuve supplémentaire que cet évitement est le fondement même de sa puissance.

À la lecture de cette étude, on ne cesse de s’étonner que l’État soit si désarmé face à une telle situation dont il a pleine conscience puisque Attac ne s’appuie que sur des données connues du rapport de l’IGF et de la Cour des comptes. Ne serait-il pas fort simple d’exiger d’Amazon et de ses comparses qu’ils versent la TVA de toutes leurs transactions, charge à eux de se faire rembourser auprès de leurs fournisseurs ? Cette option d’une forme de « retenue à la source » serait sans doute trop aisée.

La législation européenne devrait cependant évoluer. À partir de juillet 2021, les plate-formes seront considérées comme solidairement responsables du paiement de la TVA de leurs vendeurs. A priori, c’est une bonne chose, mais outre que cette directive a été repoussée de six mois pour cause de Covid (et alors même que la crise sanitaire profite à Amazon et au commerce en ligne), « il n’y aura pas de pleine responsabilité de la place de marché », souligne l’étude d’Attac. Cette dernière pourra s’en sortir avec une exclusion du vendeur qui pourra alors réapparaître sous une autre identité. On peut imaginer également que les contentieux seront nombreux, les places de marché arguant de leur bonne foi face à des vendeurs asiatiques introuvables aux services fiscaux…

Raphaël Pradeau souligne enfin que, pour être opérationnelle, cette législation devra être contrôlée. Or le manque de moyens de la Direction générale des finances publiques est criant. Les 200 contrôles sur deux ans cités plus haut le prouvent. Et on sait également que cette même administration est celle qui est le plus touchée par la réduction des effectifs depuis des années : 2 000 emplois ont été supprimés en 2020 et le projet de loi de finances prévoit de réduire encore plus de 2 100 emplois en 2021. Autrement dit, la volonté politique est clairement absente de ce domaine. On laisse faire, quand bien même on durcit en surface la législation.

« On peut s’attendre, comme toujours en cas de durcissement des règles, à ce que l’on ait moins de nouvelles fraudes, mais la fraude existante persistera », explique Raphaël Pradeau.

Attac propose donc de demander un remboursement des sommes non versées aux finances publiques, un durcissement de la législation sur le modèle allemand qui exige pour vendre sur Amazon en Allemagne un certificat de TVA qui requiert un numéro d’identification fiscal dans ce pays, un prélèvement à la source de la TVA, requis depuis 2015 par un rapport parlementaire. Bref, les solutions existent, seule la volonté manque.

Le premier pas vers la réparation de cette situation pourrait être l’idée d’une taxe exceptionnelle sur les places de marché pour financer les fonds de solidarité. Cette idée repose sur le constat que le commerce en ligne a profité des mesures sanitaires et que ces dernières ont entraîné la fragilisation des commerces physiques qui doivent s’en remettre aux aides publiques. Dès lors, un mécanisme de solidarité semble justifié et l’est d’autant plus que, comme le souligne Attac, le secteur est une source de pertes de recettes pour l’État. Plusieurs propositions de loi, venant de la gauche comme de la droite, ont été déposées en ce sens. Vainement, pour l’instant.

Pour autant, la lutte contre cette fraude doit être systématique afin de s’attaquer aux fondements du « système » Amazon, celui d’une entreprise prédatrice qui sait se rendre indispensable aux autres entreprises comme aux États par la faiblesse de ces deux acteurs, afin de leur dicter ensuite ses conditions. L’enjeu de la lutte contre cette fraude est avant tout un enjeu de pouvoir. C’est donc un enjeu politique.

 

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