PCF - De la « sécurité globale » à la surveillance numérique totale
Déclaration du Parti communiste français:
Cette proposition de loi, loin de se réduire à la question de la diffusion des images de visages de policiers, montre une LREM et un gouvernement qui se vivent en guerre contre toute une partie de la société française. À ce propos, la question de l’usage des images des caméras individuelles des forces de l’ordre est particulièrement révélatrice. Jusqu’ici ces images ne pouvaient être utilisées que pour la prévention des incidents au cours des interventions, le constat des infractions, la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves et à la formation. Les députés LREM proposent d’élargir l’usage de ces images à « l’information du public sur les circonstances de l’intervention » des forces de l’ordre, c’est-à-dire à la propagande gouvernementale. Or un tel usage porterait atteinte au bon fonctionnement de la justice en violant le secret de l’instruction. Or le député LREM, rapporteur de la proposition de loi, justifie de manière sidérante cette remise en cause de l’État de droit en déclarant : « Il faut se déniaiser par rapport à toutes les situations. On est en train de perdre la guerre des images sur les réseaux sociaux (…) Il faut lutter à armes égales, nous sommes dans une société moderne, il n’y pas de raison que ceux qui représentent l’autorité de l’État aient un temps de retard. » CQFD, l’État s’affronte à son propre peuple, il est en guerre contre la société.
La loi proposée va jusqu’à permettre aux porteurs de ces caméras individuelles d’accéder aux enregistrements vidéo, ouvrant ainsi la porte à toutes les manipulations puisque les amendements demandant une sécurisation de ces fichiers en étant « unitairement chiffrés, signés et horodatés sur le serveur de stockage » ont été repoussés.
Lors du 1er confinement, la préfecture de Paris avait utilisé des drones hors toute légalité, ce qu’avait condamné et interdit le Conseil d’État. C’est pourquoi la loi de la LREM vise à consacrer l’usage de drones de surveillance quasiment en tous lieux et en toutes circonstances. Tous les amendements visant à interdire l’utilisation de la reconnaissance faciale ou à protéger les domiciles et espaces privatifs de cet espionnage ont été repoussés.
La loi sur la sécurité globale vise en fait à transformer tout l’espace public en espace sécuritaire. Elle prépare le terrain à la mise en réseau des caméras mobiles, des drones, des centaines de milliers de caméras fixes, afin de les coupler avec des systèmes d’intelligence artificielle et de reconnaissances faciales, ouvrant la porte à un fichage généralisé des participants à des manifestations ou à de la répression « préventive » (sic) basée sur l’analyse prédictive des comportements.
C’est pourquoi le PCF soutient la lettre de 66 organisations de défense des droits et libertés, dont ATTAC, la Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’homme, les Moutons numériques, le SNJ-CGT, demandant au Parlement de repousser les articles 21, 22 et 24 de cette loi.
Au-delà de la « grande peur » (1) des mouvements sociaux qu’ont le pouvoir et ses députés, il s’agit d’abandonner les concepts de défense nationale et de sûreté des citoyens au profit de celui de sécurité globale incluant un continuum allant des forces armées jusqu’aux sociétés de sécurité privée. Le « modèle » (sic) mis en avant est celui de l’État d’Israël où la majeure partie de la sécurité intérieure est sous-traitée à des milices privées et à des sociétés de sécurité qui sont par ailleurs intégrées dans un même système avec l’armée et la police. Or le concept de « défense nationale » et de « sûreté des citoyens » participe à ce qui fait nation en France, alors que celui de « sécurité globale » divise en fabriquant des « ennemis de l’intérieur » sans permettre, contrairement aux idées reçues, une meilleure coopération entre les services de l’État contre la menace terroriste entre autres. La notion de « sécurité globale » débouche sur une privatisation de la mise en œuvre du droit à la sûreté au profit de grands groupes transnationaux vendeurs de solutions globales de service sécurité à la seule destination de ceux qui pourront se les payer. Avec la « sécurité globale », il ne s’agit pas de protéger les citoyens mais d’une fuite en avant dans le solutionnisme technologique sécuritaire. Il est illusoire de penser que l’on réglera à coups de drones, de caméras, de robots, d’intelligence artificielle les problèmes de sécurité et de dérives maffieuses de pans entiers de notre société. Pense-t-on sérieusement régler avec la seule technologie le fait gravissime que l’économie de la drogue génère dans le 93 un chiffre d’affaires annuel de plus d’un milliard €.
Cette loi affaiblira la cohésion sociale du pays afin de dégager les moyens nécessaires à la privatisation des fonctions régaliennes de défense et de sécurité. Sous couvert de sécurité globale, on renforce les causes de l’insécurité et on porte atteinte aux capacités de résilience de la société que représente l’intervention citoyenne au travers des luttes et mouvements sociaux. On a besoin de voisins solidaires et non de voisins vigilants. À cette loi qui ne ferait qu’enfermer notre pays dans un cercle vicieux où le terrorisme, la délinquance et l’insécurité se nourriraient d’eux-mêmes, le PCF oppose la déclaration du chef de l’État norvégien au lendemain de la tuerie d’Utoya : « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. »
Cette loi n’est que la pointe immergée d’un capitalisme de la surveillance : Multiples capteurs au travail comme à domicile avec l’internet des objets, géolocalisation, caméras de surveillance, reconnaissances faciales, fichage biométrique, traçage de notre activité sur le web, méta données…, toute une économie de la surveillance de notre vie est en train de s’installer et de croître. Elle repose sur la captation et l’exploitation économique de nos données personnelles. Exercée par des États comme par des plateformes numériques marchandes, elle permet de nouvelles formes de contrôle social qui se donnent le pouvoir de repérer, de stigmatiser, de rappeler à l’ordre et de sanctionner ce qui ne serait pas dans la norme. Face à cela, le code informatique ne peut être la loi, il faut construire un nouveau système de droits, donner de nouveaux pouvoirs aux citoyen·ne·s de garantir et développer les libertés. Le règlement général de protection des données (RGPD) a été un premier pas dans ce sens mais, face à la puissance du développement du big data et de l’intelligence artificielle, il faut aller bien plus loin en passant de droits individuels à un droit collectif.
Alors que les députés ont adopté une version amendée de l’article 24 du projet de loi soutenu par Gérald Darmanin, qui restreint le droit de filmer la police, la mobilisation grandit, à Paris comme en région.
Réussir à faire l’unanimité contre soi, c’est un exploit dont les ministres de l’Intérieur d’Emmanuel Macron semblent goûter. Après les fanfaronnades de Christophe Castaner, c’est Gérald Darmanin qui, par son soutien à la proposition de loi sur la sécurité globale, rassemble contre lui les syndicats et associations de journalistes, profession pourtant peu organisée, les associations et les collectifs de défense des droits humains.
À l’instar de la Défenseuse des droits, Claire Hédon, l’ONU, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les élus de gauche (PCF, FI, EELV). En ligne de mire, l’article 24 du texte déposé par des députés LaREM et du groupe Agir ensemble, qui pourrait coûter de graves ennuis aux auteurs d’images filmées de policiers (45 000 euros d’amende et un an de prison avec sursis). L’article a été voté vendredi à l’Assemblée nationale, par 146 voix contre 24. Ce samedi, à partir de 14 h 30 jusqu’à 17 heures, un rassemblement est prévu place du Trocadéro, à Paris. À Rennes, ce samedi matin, 1 500 personnes se sont rassemblées. D’autres mobilisations ont lieu en régions (1).
Gérald Darmanin, devant une telle bronca, a déjà dû revoir sa copie. Le premier ministre Jean Castex a convoqué d’urgence jeudi, à Matignon, le ministre de l’Intérieur, les présidents de groupe de la majorité (LaREM, Modem et Agir), et les rapporteurs du texte, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. Il a été décidé d’apporter quelques modifications à la proposition de loi, via un amendement, pour l’adoucir : l’adjectif « manifestement » a été rajouté. Ainsi, le policier qui arrête un manifestant ou un journaliste en train de filmer, ne pourra le faire que s’il porte « manifestement atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Le policier est toujours seul à décider de cette atteinte, ce qui rend l’amendement caduc, estiment les journalistes. Il faudrait aussi qu’il caractérise l’intention de nuire… Le tout, quatre jours après une manifestation de protestation contre ce projet de loi qui a donné lieu à 33 interpellations, et pendant laquelle cinq journalistes ont été bousculés, molestés ou mis en garde à vue simplement pour exercer leur métier.
Les rouages de cette loi sont grippés, et même dans la majorité, cela commence à se dire. À l’Assemblée, le débat a été très tendu. Gérald Darmanin a prononcé ces mots très équivoques : tout en affirmant « la totale conviction du gouvernement de la grande et belle liberté de la presse, liberté d’informer », il ajoute que « si la liberté de la presse peut être attaquée, les policiers et les gendarmes peuvent l’être également ». La liberté de la presse, mais… Ce qui rappelle un sinistre discours beaucoup entendu après l’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo.
La gauche s’est levée tout entière contre l’article 24. À droite, le député Eric Diard (Les Républicains), qui soutient la mesure, s’est posé la question de sa « constitutionnalité ». Marine Le Pen a évidemment applaudi des deux mains l’article de loi. Le Modem, allié de la majorité, a réclamé de « supprimer cet article et de se remettre autour d’une table pour résoudre cette équation difficile », selon le député du Finistère Erwan Balanant.
Lors d’une conférence de presse, samedi, au siège de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, les collectifs et associations organisatrices de la manifestation de ce 21 novembre se sont inquiétés des dérives liberticides de cette loi dans sa globalité. L’avocat Arié Halimi s’est dit préoccupé, comme les syndicats de magistrats, par un texte qui « tend à changer l’État de droit », puisqu’il est question, dans ces différents articles, de généraliser l’utilisation des drones, pourtant interdite jusqu’alors, ou encore de centraliser les caméras de surveillance piétonnes « alors que bientôt, la reconnaissance faciale sera en place ». « Dans le Code pénal et la loi de 1881 (sur la liberté de la presse - NDLR), il y a déjà des dispositions pour protéger les policiers » qui, de fait, sanctionnent bien plus fort les auteurs de violences, puisque punies de cinq ans de prison, contre un an dans l’article de loi voté hier. L’avocat alerte : « On entend ceux qui tendent à changer la Constitution, le cadre constitutionnel de l’État de droit, en supprimant la liberté d’informer, et après, quelles autres libertés ? » Dominique Pradalié, du Syndicat national des journalistes (SNJ), a de son côté rappelé que 200 journalistes ont été arrêtés, molestés ou empêchés de travailler, d’après un comptage effectué par son syndicat. « On a l’impression que la police est en roue libre, qu’elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut et où elle veut, avec les journalistes comme avec les opposants » au gouvernement, a noté la syndicaliste, qui a décompté le vote de « quinze lois sur la sécurité ces dix dernières années ». Elle proteste aussi contre le schéma de maintien de l’ordre adopté le 16 septembre dernier, et qui donne l’obligation aux journalistes de se signaler auprès de la préfecture pour exercer leur métier. « Bonjour la liberté dans notre travail, et la protection des sources », amplifiée par les caméras de surveillance et les drones, s’est insurgée la responsable du SNJ.
Une représentante des réalisateurs et journalistes indépendants a cité Albert Londres : « Notre métier n’est pas de faire plaisir » ( « mais de porter la plume dans la plaie », citation complète). « Faire de l’image aujourd’hui, c’est de la transmission du réel. Si, demain, on nous interdit de filmer, cela interdit de transmettre toutes les exactions commises », a expliqué la journaliste. Des représentants de la société des réalisateurs de films se sont émus de cette remontée du réel, « des quartiers populaires, des campements de réfugiés, de chaque recoin de la République », et trouvent effarants ces dispositions liberticides « dans le pays qui a inventé le cinéma ». Pablo Aiquel, pour le SNJ-CGT, s’est aussi inquiété du signal donné au monde : « Selon quelle légitimité va-t-on demander à la Pologne ou à la Hongrie de respecter l’État de droit ? » Un représentant d’un syndicat de police CGT a expliqué pourquoi son organisation conteste cette loi, qui donne des pouvoirs importants aux polices municipales alors que la police nationale a connu 35 000 suppressions de postes en dix ans.
Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur a demandé à rencontrer la coordination des journalistes, lundi après-midi.
Ce samedi 21 novembre 2020, place de la Liberté, ils étaient 1 500 selon les organisateurs, 600 selon la police. | photo OUEST-FRANCE
Contre la loi Sécurité globale, les organisateurs s’attendaient à 300 personnes. Elles étaient plus d’un millier ce samedi 21 novembre 2020 à Brest, dont de nombreux jeunes ! Beaucoup s’inquiètent d’une dérive totalitaire du pouvoir et d’une menace pour la démocratie.
« C’est un succès ! sourit Olivier Cuzon, de la Ligue des droits de l’Homme. On ne s’attendait pas à voir autant de monde, et autant de jeunes. C’est un grand bol d’air démocratique ! » Le collectif d’associations, partis et syndicats à l’origine du rassemblement contre le projet de loi « Sécurité globale » escomptait 300 personnes. Mais, ce samedi 21 novembre 2020, place de la Liberté, ils étaient beaucoup plus nombreux : 1 500 selon les organisateurs, 600 selon la police.
« On ne se laissera pas taire »
« On ne se laissera pas taire », « Pas vu pas pris », « Floutage de gueule »… est-il écrit sur les écriteaux… Après la prise de parole, le rassemblement s’est rapidement transformé en une manifestation improvisée dans les rues du centre-ville. Un cortège improbable en cette période de confinement et de Covid-19.
Mais un défilé bon enfant, emmenée par une irrésistible fanfare Invisible. Des chants de lutte ont résonné. Certains n’ont pas pu résister à quelques pas de danse.
Les gestes barrières n’ont pas tous été respectés et les masques ne sont pas restés sur tous les visages… Mais la musique adoucit les mœurs et l’esprit est resté pacifique.
Policiers à distance
Même en passant devant la sous-préfecture ou devant le commissariat. Beaucoup scandaient « tout le monde déteste la police » mais il n’y a pas eu de débordements. La police est restée à distance, ne se montrant pas.
Un seul mot d’ordre : « Liberté ! » La défense de la liberté d’expression et de manifester qui seraient menacées par le projet de loi sur la Sécurité globale – adoptée par les députés vendredi 20 novembre – suscite beaucoup d’inquiétude.
Notamment il y a l’article 24 qui pénaliserait le fait de filmer des forces de l’ordre avec une intention malveillante, qui paraît « flou » aux manifestants. Même l’amendement du gouvernement qui doit garantir la liberté de la presse, ne convainc pas.
« Le seul effet d’une telle disposition sera d’accroître le sentiment d’impunité des policiers violents et ainsi, de multiplier les violences commises illégalement contre les manifestants », estime la Ligue des droits de l’Homme.
Le fait que des drones puissent à l’avenir identifier les manifestants ne séduit pas non plus.
« Menaces pour la démocratie »
« On a cette chance de vivre dans un pays où les gens peuvent encore manifester librement et les journalistes, faire leur travail d’informer. Avec cette loi, ça ne sera plus possible, assure Gurvan, 25 ans, diplômé en école de commerce, au chômage. C’est une menace pour la démocratie. Les gens auront peur d’aller manifester ».
« On est inquiets. On craint une dérive totalitaire comme en Hongrie ou en Chine, avec une surveillance de masse de citoyens », expliquent Valentin et Manuel, 28 ans. « Avec l’épidémie de Covid et le terrorisme, les libertés fondamentales sont restreintes, ajoute Clarisse, 28 ans. On a peur que ces mesures d’exception deviennent la règle. »
commenter cet article …