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24 octobre 2020 6 24 /10 /octobre /2020 05:40

 

Avec près de 40000 emplois directs en France, la plaisance peut-elle dynamiser le littoral quand les activités anciennes sont en déclin ?

*Dominique Gontier est spécialiste des questions maritimes

L’évolution de notre société entraîne, avec le développement des zones côtières, celui de la pratique des loisirs nautiques et de la plaisance ; l’ensemble a un fort impact sur l’économie. Ainsi la mer, cet espace dangereux, est-elle utilisée comme espace de détente et de distraction, ce qui nécessite des équipements comme des ports, et donc des politiques publiques pour les mettre en place.

Ces nouvelles activités sont-elles pour autant une réponse à l’abandon des ports de pêche par des navires professionnels devenus rares? Certains pourtant misent sur le secteur de la plaisance, quitte à implanter le plus de ports possible. Mais ce secteur a une dynamique propre dans les domaines économique, social et culturel.

 

En quelques années, le nombre de bateaux immatriculés en France a dépassé le cap du million, pour s’établir à 1 004 408 ; il était de 955 656 en 2011. Les données statistiques ont évolué depuis 2011, mais la mise à jour de 2016 ne fait que confirmer les tendances précédentes. L’essentiel de la flotte de plaisance est composé de navires à moteur (74,5 %) et d’embarcations de moins de 6 m (75 %). La place des industries nautiques de loisirs dans l’économie française reste mal connue, et les études conduites par la Fédération des industries nautiques (FIN) s’apparentent plus à du lobbying qu’à autre chose. La construction navale compte 5 400 entreprises, dont de très gros chantiers. La production est essentiellement tournée vers l’exportation (76,8 %), et parmi les navires immatriculés entre 2015 et 2016 plus de 27 % d’entre eux le sont au titre de sociétés anonymes ou de sociétés de leasing. Dès lors on voit bien que le lien au territoire, en termes de politiques publiques et d’aménagement, est particulièrement distendu.

Les chantiers de plaisance représentent quelque 40 000 emplois directs, bien loin en nombre de ceux qui ont disparu notamment dans la pêche hauturière. Par exemple, on compte sur les doigts des deux mains les emplois liés à la création du port de plaisance du Port-Rhu à Douarnenez, ville où l’on dénombrait 5000 inscrits maritimes dans l’immédiat aprèsguerre. Pour conduire des politiques publiques qui aient du sens et répondent aux questions posées il importe de cesser urgemment de croire que l’on va remplacer la flotte de pêche et les secteurs économiques associés par la plaisance. Les Schtroumpfs lorrains n’ont jamais remplacé les sidérurgistes.

Des plaisanciers divers

Si le yachting, comme on disait, a été longtemps réservé aux couches les plus aisées de la société, les conquêtes sociales, le droit aux loisirs, l’émergence des mouvements d’éducation populaire, les comités d’entreprise, les clubs municipaux ont largement ouvert le droit à la mer et aux pratiques nautiques sous toutes leurs formes. Il serait malgré tout hasardeux d’établir un lien direct entre la taille des bateaux et les catégories socioprofessionnelles. Le poids des catégories sociales intermédiaires dans les pratiques nautiques est un des marqueurs des changements de ces dernières décennies. En effet, une coque semi-rigide de 6 m munie d’un moteur de 100 CV coûte cher à l’achat, à l’usage et à l’entretien. Cela dit, l’évolution des technologies avec, dans les années 1950, l’utilisation du contreplaqué pour la construction de petites unités relativement bon marché et la véritable explosion du « plastique » (en fait fibre de verre et résine époxyde) a véritablement emballé ce marché. N’oublions pas non plus le poids, sur la zone littorale, de pratiques locales populaires fortement implantées et tournées uniquement vers la pêche à travers ceux que l’on surnomme, à Douarnenez par exemple, les « papys casquettes ». Férus de pêche à proximité des côtes, souvent retraités, ils sont un élément déterminant de l’animation à l’année des ports.

Les ports et les politiques publiques d’équipement

Les ports de plaisance et de pêche sont gérés par les collectivités locales, le conseil général ; ils sont aidés par des subventions de la région et de l’Europe. Ainsi, il y a une dizaine d’années, deux projets de ports de plaisance, à Primel-Plougasnou et au Guilvinec, étaient lancés par les collectivités locales toutes tendances confondues. Aux côtés des maîtres d’ouvrage, dépassant les clivages politiques, on trouvait des usagers, des élus, des associations de plaisanciers et des citoyens, persuadés que ces équipements lourds non seulement répondent encore à une demande insatisfaite, mais peuvent aussi se substituer aux activités traditionnelles en déclin, relançant une forme de dynamique économique vertueuse créatrice d’emplois locaux. Ces projets se sont heurtés à l’opposition frontale de certains plaisanciers, d’associations de défense de l’environnement et de bon nombre d’élus. Leur réalisation tarde. Par ailleurs, il faut remarquer que les ports de plaisance construits dans les années 1970 ne pourraient plus voir le jour aujourd’hui. Réalisés dans d’anciennes vasières, zones de reproduction des populations de poissons et d’abri des juvéniles, les boues de dragage étaient alors dispersées en mer ou à terre sans aucun contrôle qualitatif ; d’autres furent installés en limite du trait de côte, parfois sur l’estran dans le secteur intertidal. Tous posent désormais des problèmes de gestion technique parfois insolubles et toujours d’un coût élevé. Ils ont toujours été accompagnés d’opérations immobilières d’importance, seul moyen de tendre vers l’équilibre financier du projet.

Des évolutions possibles

Or on estime le temps d’utilisation moyen annuel des bateaux de plaisance habitables à une semaine en Manche Atlantique et à la moitié en Méditerranée. Ajoutons que sans les « papys casquettes », les ports seraient plus encore ce qu’ils sont, d’immenses garages à bateaux. Enfin, cerise sur le gâteau, mais ceci va avec cela, on repère dans les chantiers, sur les terre-pleins, dans les jardins, sous des hangars un nombre significatif de bateaux abandonnés. La question de leur déconstruction se pose et entraîne avec elle une autre question : comment construire des embarcations recyclables ? Les changements de pratique et, surtout, leur diversification condamnent donc ce modèle unique très impactant, d’un point de vue environnemental et financier, dans sa construction et sa gestion.

Faire autrement

Comme dans bien des domaines, la question se pose depuis plus de temps qu’on ne le croit, et de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui interpellent ce modèle. Appréhender les loisirs nautiques dans leur complexité et prendre en compte leurs évolutions nécessite de se dégager de la vision unilatérale et lobbyiste des industriels… et de tenir compte de ce que les loisirs nautiques ont leur propre logique. Faut-il continuer à construire des bateaux non ou sous-utilisés ? C’est une question qui fâche… Elle concerne pour l’essentiel les navires de plaisance habitables de croisière côtière ou hauturière. Ce segment de navires est particulièrement touché en termes de sous-utilisation. Cette sous-utilisation est liée à l’âge du capitaine – la forte connotation masculine de ces pratiques nautiques – , au besoin de découvrir d’autres bassins de navigation, parfois lointains, à l’engouement pour les supports légers simples d’utilisation et de mise en œuvre rapide. Il faut donc sortir de la vision « un jardin personnel/une tondeuse personnelle » ou un bateau de croisière pour chaque propriétaire et redonner ses lettres de noblesse à la multi – propriété et/ou à la navigation en club. La gestion des ports de plaisance doit s’adapter et favoriser les navires à forte utilisation (tarifs préférentiels, services portuaires innovants et ciblés…).

Enfin, il faut suivre avec beaucoup d’attention et accompagner les recherches pour la réalisation de navires et de supports à faible impact environnemental, de la construction à la déconstruction, et dont une partie de la matière première – la fibre de lin par exemple – peut être produite localement. Il est donc urgent de promouvoir les changements technologiques inévitables, les évolutions des entreprises et de valoriser les cabinets d’architectes navals qui travaillent sur des navires compatibles avec ces nouveaux critères.

 

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