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4 octobre 2020 7 04 /10 /octobre /2020 05:47

 

L’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la Sécurité sociale est promulguée par le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle. Cette réalisation nouvelle est présentée par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, le communiste Ambroise Croizat, dans le sillage du programme du Conseil national de la Résistance.

Ambroise Croizat relata ce moment : « L’ordonnance du 4 octobre 1945, à laquelle est à juste titre attaché le nom d’un ami qui nous est commun à tous, Alexandre Parodi, a été le produit d’une année de travail, au cours de laquelle des fonctionnaires, des représentants de tous les groupements et de toutes les organisations intéressés, des membres de l’Assemblée consultative provisoire, dont certains font partie de la présente Assembl ée, ont associé leurs efforts pour élaborer un texte que le gouvernement de l’époque a, en définitive, consacré conformément à l’avis exprimé par 194 voix contre 1 à l’Assemblée consultative. » (1)

La promulgation de cette ordonnance inscrivit les véritables objectifs de la Sécurité sociale autour d’une organisation unique, d’une cotisation unique, la solidarité et la gestion des caisses par les assurés eux-mêmes et en particulier par la démocratie et l’élection des conseils d’administration des caisses. De Gaulle ne signa pas cette ordonnance : il était en voyage en URSS. Croizat précisa, lui, à qui appartient cette grande conquête sociale : « Le plan de Sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur, d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive. (…) Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises sans considération politique, philosophiq ue, religieuse. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité. » (1)

Il fallait dépasser une conception d’assistance sociale placée sous le contrôle de l’État, de bienfaiteurs, de congrégations religieuses, de notables et d’une petite bourgeoisie voulant en rester à leurs œuvres sociales. La loi sur l’assurance sociale, en 1930, préparait le futur et ébauchait ce que devrait être la Sécurité sociale. Cette loi avait donné les pleins pouvoirs à la Mutualité française mais les inégalités persistaient et les caisses d’affinités différentes n’étaient pas sous la responsabilité des assurés eux-mêmes. La Deuxième Guerre mondiale, l’occupation de la France, le régime de Vichy, avec la charte du travail, mettaient finalement par terre cette loi de 1930.

La Sécurité sociale naissante n’avait rencontré que l’opposition de la Mutualité française, qui s’estimait dépossédée, et d’un patronat qui voyait se mettre en place ce qu’il avait toujours combattu, c’est-à-dire une caisse unique, obligatoire et dirigée par le monde du travail. Ambroise Croizat, devenu ministre du Travail, après Alexandre Parodi, fin 1945, souligna cependant le rôle de la mutualité comme précurseur de la Sécurité sociale dans un discours prononcé lors d’une visite des bâtiments de la caisse primaire au Havre, le 12 avril 1947, où il affirma « qu’il n’était pas dans nos intentions de supprimer toute activité de la mutualité, mais au contraire de l’utiliser, car nous connaissons l’œuvre qu’elle a réalisée depuis très longtemps dans notre pays… » (2).

C’est le Conseil national de la Résistance (CNR), sous l’intitulé « Les jours heureux », qui fixa le 15 mars 1944 dans son programme « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». L’ordonnance de 4 octobre 1945 visait donc à remplir cet objectif. Sans oublier l’ordonnance du 19 octobre 1945, qui précise les objectifs à réaliser en matière d’organisation et de prestations. Ces ordonnances sont les fruits de la libération du pays et du rôle joué par la Résistance, et particulièrement par le Parti communiste français (PCF) et la CGT réunifiée en 1943. Personne ne peut nier l’importance jouée par la CGT, qui avait 5 millions d’adhérents, et le PCF, premier parti politique aux élections de la première constituante, où il représentait 28 % des voix. Un rapport de force qui a compté pour l’établissement d’une législation sociale incomparable de 1945 à 1947.

La Sécurité sociale était donc sur les rails : il fallait la concrétiser rapidement sur le terrain et mettre en place les structures nécessaires. Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, et Pierre Laroque, directeur de la Sécurité sociale, en furent, chacun dans ses responsabilités, les réalisateurs. L’ordonnance ne réglait pas tout, il fallait la mettre en application. Croizat fut celui qui fit en sorte que celle-ci soit appliquée politiquement par toute une série de décrets et de lois, notamment pour les différents risques, que ce soit ceux relatifs à l’assurance-maladie, la retraite, les accidents du travail et maladies professionnelles, les allocations familiales et la maternité, etc.

À l’Assemblée constituante, le ministre intervint contre ceux qui voulaient en retarder l’application, attendant des jours meilleurs pour faire en sorte que la Sécurité sociale finisse dans les oubliettes. Il emporta la confiance de l’Assemblée constituante et la Sécurité sociale commença à fonctionner dès juillet 1946. Un énorme travail fut effectué pour inscrire les assurés et les employeurs, pour établir les caisses primaires, les correspondants dans les entreprises en lien avec les comités d’entreprise naissants.

Ambroise Croizat paya de sa personne pour réaliser cela et notamment imposer la cotisation sociale. Il réfuta l’étatisation de la Sécurité sociale et décréta qu’il fallait aussi se sortir des formes anciennes et des régimes d’affinités pour adopter la caisse unique que la CFTC (devenue pour une part CFDT en 1964) refusait à cette époque. Il rejeta les tentatives de construire la Sécurité sociale à partir d’un financement par l’impôt. Croizat et Laroque méritent toute l’estime du monde du travail dans la réalisation d’une Sécurité sociale appartenant au monde du travail et ils auraient voulu aller plus loin en faisant en sorte qu’elle soit universelle et regroupe l’ensemble des Français, comme le prévoyait la loi du 22 mai 1946.

L’ordonnance du 4 octobre 1945 est donc la pierre angulaire du système français mais elle ne fut réalité qu’à travers un travail incessant des militants de la CGT, qui lui donnèrent vie auprès des salariés. Jean Magniadas a souligné « le rôle important des militants de la CGT. D’abord Ambroise Croizat, dirigeant communiste et secrétaire général de la fédération des métaux, mais aussi Georges Buisson et Henri Raynaud. (…) Il serait injuste d’oublier les autres militants de la CGT mais aussi le personnel des organismes concernés face aux difficiles problèmes qui se posaient avec le reclassement des personnels venus de la mutual ité et des compagnies d’assurances ». (3)

Cette Sécurité sociale naissante fut l’objet de la rage de la droite réactionnaire, mais surtout du patronat, réorganisé pour collaboration avec l’ennemi à partir de décembre 1945 au sein du Conseil national du patronat français (CNPF).

Un travail de sape était dès lors lancé pour remettre en cause la plus belle conquête sociale de la Libération. Des ordonnances en 1967, sous le général de Gaulle, préparèrent la revanche patronale. La première chose fut de défaire les élections des conseils d’administration et d’imposer le « paritarisme », dont on sait les méfaits depuis cette date. Plus tard, un patron du Medef, Denis Kessler, assureur privé de surcroît, montra toute sa hargne en 2007 dans la revue Challenges en s’adressant à Sarkozy, président de la République : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie… Il s’agit de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Alors, relevons le défi et rétablissons cette Sécurité sociale, comme l’affirma Ambroise Croizat. Il dira le 12 mai 1946, lors de la présentation de la loi, qui sera votée le 22 mai 1946, à l’adresse des travailleurs : « Rien ne pourra se faire sans vous (…) La Sécurité sociale n’est pas qu’une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains… » Quel beau message en ce soixante-quinzième anniversaire.

Bernard Lamirand

Animateur du comité d’honneur national Ambroise Croizat

(1) Intervention d’Ambroise Croizat. Séance du 8 août 1946, application de la loi de Sécurité sociale

(2) Archives de la FTM-CGT, IHS métaux

(3) Conférence de Jean Magniadas, docteur en sciences économiques, syndicaliste CGT, prononcée le 9 octobre 2003, IHS CGT

 

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