" Dans La Mort de Danielle Casanova, Taslitzky met en place une composition simple et claire marquée par la symétrie des personnages. L'éclairage est contrasté en accord avec le caractère funèbre de la scène. L'oblique du corps de la jeune femme barre le tableau et exprime avec force et clarté l'idée d'un cadavre. Le blanc du manteau de cette nouvelle Marie contraste avec l'ensemble du déco sombre et brun et les détenus aux visages livides. La grande spiritualité de la scène est due à la clarté de l'héroïne qui se détache face aux tristes costumes rayés de tous les autres prisonniers du camp dont le recueillement est particulièrement émouvant. La composition du tableau souligne l'équilibre entre cette vision déchirante et le sens de la transcendance qui place par sa mort cette jeune communiste au niveau d'une martyre." (libres comme l'art, 100 ans d'histoire entre les artistes et le PCF, Yolande Rasle - Renaud Faroux, 2020)
Née le 9 janvier 1909, la Corse Danielle Casanova, membre des JC depuis 1928, meurt à l’âge de 34 ans, le 10 mai 1943, en déportation à Auschwitz. Ce n’est pas uniquement son martyre, sa mort à Auschwitz, qui fait sa grandeur, c’est aussi sa création et sa direction déterminée de l’Union des jeunes filles de France (UJFF), ainsi que son rôle de premier plan dans le communisme clandestin et son entrée en résistance. Le PCF honore sa mémoire en faisant d’elle, à juste titre, une héroïne nationale célébrée le jour de la fête de Jeanne d’Arc. Le tableau de Boris Taslitzky, la Mort de Danielle Casanova, peint en 1950, en est l’expression artistique, ainsi que sa présence dans le Musée Grévin d’Aragon. Charlotte Delbo en fait un personnage marquant de son œuvre. Dans le martyrologue qui s’affirme, elle est « la femme », Guy Môquet « le jeune », Gabriel Péri « l’intellectuel », Pierre Semard « le cheminot », Jean-Pierre Timbaud « le métallo ».
Prisonniers regardant passer un mort (Camp de Buchenwald - 1944 - Technique : crayon sur papier) - Ce dessin est assez explicite. Les visages sont vides, ils n’expriment aucune expression. Les individus, des prisonniers, regardent un mort passer devant eux comme si c’était quelque chose de banal, comme s’ils étaient habitués à cette horreur
« Je voudrais savoir moi aussi dessiner pour les montrer dans cet enclos du crime, face à face : ces hommes, ces penseurs, ces artistes, ces savants, soldats de la noble cause de la Culture, de la Beauté, de la Civilisation, de l’Humanisme et le monstre fasciste botté, le revolver, la mitraillette ou le gourmi à la main, terrorisant, assassinant hommes et femmes et aussi des enfants seulement coupables de ne pas appartenir à la prétendue race supérieure. C’est dans ce cadre dantesque où s’affrontaient l’Esprit et la Bête que Boris Taslitzky a croqué ses immortels dessins, qui, pour un si grand nombre d’entre nous, sont et resteront éternellement bouleversants. Ces dessins projetés, ces dessins réalisés, achevés, témoignages à tout jamais irrécusables d’un drame inimaginable pour la raison humaine, dans lequel le fascisme avait projeté les descendants de l’an II, symbole de l’amour de la liberté et de l’honneur de l’homme. »
Ainsi s’exprimait en mars 1978 Marcel Paul, l’un des responsables de l’organisation clandestine au sein du camp de Buchenwald, dans un avant-propos présentant les cent-onze dessins-témoignages réalisés par Boris Taslitzky.
Julien Cain administrateur général de la Bibliothèque nationale révoqué par le gouvernement de Vichy, compagnon de lutte de Boris à Buchenwald témoignait : « Je revois ma première rencontre avec Boris Taslitzky à Buchenwald, à l’automne 1944, au premier étage du block 40, dans le lavabo ou ‘waschraum’ qui nous servait ce jour-là de lieu de réunion. Il s’agissait d’organiser parmi les Français du camp un concours de poésies, de récits en prose et de dessins. De ce concours devaient sortir des œuvres émouvantes et sincères, quelques-unes pathétiques, d’autre simplement charmantes. Le ‘Jury’ avait estimé que ce premier et timide effort vers une vie spirituelle et collective dans ce camp de mort devait être expliqué et commenté par un manifeste. Boris Taslitzky avait été chargé de le rédiger. Il le lut d’une voix à la fois timide et assurée. Il définit avec précision une sorte d’Art poétique dont les formules vigoureuses me frappèrent, et il termina en nous lançant comme un défi les vers du ‘Lancelot’ d’Aragon que je ne connaissais pas encore : Vous pouvez me frapper en voici la raison / Riez de mon silence et souillez ma figure / Je ne pratique pas le pardon des injures / Lorsque je ne dis rien c’est que j’ai mes raisons… » (...) « Depuis ce jour, j’ai revu bien souvent Boris Taslitzky. Je l’ai vu travailler. Je l’ai vu devant ses modèles, composant sans hâte des portraits de détenus, ses camarades, que son crayon approfondissait peu à peu et qu’il chargeait d’expression. Je l’ai interrogé. J’ai voulu connaître sa formation, celle de l’artiste et celle de l’homme. Et j’ai compris comment, sans l’avoir recherché peut-être, par le jeu naturel des forces qui étaient en lui, Boris Taslitzky était devenu l’incarnation même de l’artiste révolutionnaire. »
(Source: Jacky Tronel: http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-camps/cent-onze-dessins-de-boris-taslitzky-faits-a-buchenwald-10459)
Boris Taslitzky est reconnu pour être un des très grands témoins de la déportation parmi les artistes peintres et dessinateurs. Grâce à l'organisation clandestine du camp de Buchenwald, il fit partie de la dizaine d'artistes qui put obtenir secrètement des petits crayons et du papier pour témoigner de l'enfer concentrationnaire. A Buchenwald, Taslitzky avait retrouvé le futur ministre Christian Pineau qui, lors de la libération du camp, avait acheminé ses dessins clandestins vers la France et les avait remis à Aragon, lequel les avait publiés sur le champ: "111 dessins de Boris Taslitzky faits à Buchenwald, 1944-1945", présentés par Julien Cain, La bibliothèque française, 1946.
http://www.boris-taslitzky.fr/.
Boris Taslitzky est né en 1911 de parents juifs russes émigrés après l'échec de la révolution de 1905. Son père, ingénieur, meurt pendant la première guerre mondiale. Le jeune Boris devient pupille de la nation. Il commence à peindre à l'âge de quinze ans et fréquente les académies de Montparnasse, vise le Louvre et copie les grands maîtres: Rubens, Delacroix, Géricault, Courbet. En 1928, il entre à l'Ecole des beaux-arts de Paris. En 1933, il adhère à l'AEAR, l'association des écrivains et artistes révolutionnaires dont il devient le secrétaire général de la section Peintres et Sculpteurs et en 1935, au Parti communiste français. En 1936, lors de la présentation de Quatorze juillet, pièce de Romain Rolland, il participe à l'exposition qui réunit Picasso, Léger, Matisse, Braque, Jean Lurçat, Laurens et Pignon dans le hall du théâtre de l'Alhambra. En 1937, il réalise des dessins d'illustration pour le journal communiste Ce soir d'Aragon et Jean-Richard Bloch. Il est en 1938, secrétaire général des Peintres et Sculpteurs de la Maison de la Culture de Paris.
Mobilisé à Meaux, Boris Taslitzky est fait prisonnier en juin 1940. Il s'évade en août et s'engage dans la Résistance au côté du Parti communiste clandestin et du Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France. Arrêté en novembre 1941, condamné à deux ans de prison, il est transféré dans les prisons de Riom et de Mauzac, puis au centre de Saint-Sulpice-la-Pointe, et le 31 juillet 1944, déporté à Buchenwald où il parvient à faire quelque deux cents dessins qui témoignent de la vie des camps. Sa mère est déportée elle aussi et meurt au camp d'extermination d'Auschwitz.
Après-guerre, en 1946, Aragon fait éditer une centaine de ses dessins de Buchenwald. Après guerre, avec André Fougeron, Jean Vénitien et Jean Amblard, Boris Taslitzky devient un des défenseurs du réalisme socialiste en France. En 1955, il illustre le recueil du poète breton Eugène Guillevic (né à Carnac en 1907- décédé à Paris en 1997), L'âge mûr, Eugène Guillevic qui était devenu sympathisant du Parti communiste pendant la guerre d'Espagne, puis adhérent en 1942 (il est resté adhérent communiste jusqu'en 1980).
Dans ce tableau saisissant, visible aujourd’hui au Musée de la Résistance nationale, à Champigny-sur-Marne, le peintre et résistant communiste Boris Taslitzky immortalisait une scène de vie à la maison centrale de Riom, intitulée « La pesée » - Boris Taslitzky est arrêté par les gendarmes d’Aubusson (Creuse), le 13 novembre 1941. Il est écroué provisoirement à la maison d’arrêt de Guéret puis transféré à Clermont-Ferrand. Le 11 décembre 1941, le président du tribunal militaire le condamne à deux ans de prison et dix ans d’interdiction de droits civils, civiques et familiaux au motif qu’il « a effectué plusieurs dessins destinés à la propagande communiste ». Après son jugement, Boris est transféré à la maison centrale de Riom.
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