L'Espagne n'a pas encore réussi à se défaire de l'emprise des nostalgiques du Franquisme qui tiennent les rennes du corps judiciaire et mettent systématiquement de l'huile sur le feu pour empêcher un règlement pacifique des tensions entre Madrid et Barcelone. Des années de prison pour les leaders indépendantistes catalans et l'impunité pour l'ex roi d'Espagne qui a montré l'étendue de la corruption de la famille royale. Deux poids deux mesures qui ne règlent rien et une région d'Espagne sans président... Ci-joint une tribune qui éclaire une réalité que la LDH traite en toute objectivité.
Dominique Noguères - Alexandre Faro
Catalogne : une judiciarisation qui n’en finit pas
Il y a tout juste un an, le 14 octobre 2019, la 2ème chambre pénale du Tribunal suprême espagnol rendait son jugement dans le procès des membres du gouvernement de la Generalitat de Catalogne et de membres de la société civile. Les évènements liés à la volonté d’organiser en Catalogne un référendum sur l’indépendance de la région, qui a eu lieu le 1er octobre 2017, avaient enflammé le système politique et judiciaire espagnol. Sans rappeler l’ensemble des faits qui ont conduit à ce procès hors norme qui s’est tenu à Madrid entre le mois de février et le mois de juin 2019, force est de constater qu’aujourd’hui, un an après ce verdict, les secousses se ressentent encore tant au niveau politique qu’au niveau judiciaire. Nous étions observateurs à ce procès.
Nous avons pointé dans le rapport que nous avons publié en octobre 2019 (https://www.fidh.org/IMG/pdf/madrid739fweb.pdf ) un certain nombre de points qui nous ont fait conclure à ce que ce procès ne correspondait pas aux critères internationaux d’un procès équitable.
Concernant les prisonniers : Malgré les lourdes peines prononcées de 9 à 13 ans de prison pour le délit de sédition (un délit unique en son genre puisqu’il n’existe aucun équivalent dans les autres pays européens, ce qui explique que ni la Belgique ni l’Allemagne n’aient accepté l’extradition de M. Puigdemont,), l’acharnement judiciaire n’a pas cessé.
Certains sont incarcérés depuis le mois d’octobre 2017 (Jordi Cuixart président de l’association Omnium, Jordi Sanchez président de l’association ANC , Oriol Junqueras vicePrésident de la Generalitat, et Joaquim Forn membre du gouvernement ) d’autres membres du gouvernement Raül Romeva, Jordi Turull, Dolors Bassa, Josep Rull et la présidente du Parlement, Carme Forcadell depuis mars 2018.
Ils pouvaient pourtant bénéficier des conditions accordées à chaque prisonnier considéré comme non dangereux d’un régime de semi-liberté qui permet des sorties conditionnelles trois jours par semaine pour travailler, s’occuper d’associations ou de proches etc. Tout au long de l’année les décisions contradictoires se sont enchainées ; d’abord accordé ce régime de semi-liberté a ensuite été refusé. Et depuis la montée de l’épidémie les conditions de détention se sont considérablement durcies (arrêt des visites familiales et 20 heures de réclusion par jour dans les cellules sans sorties).
Seules Carme Forcadell et Dolors Bassa bénéficient aujourd’hui du système de semi-liberté dans l’attente de l’appel qu’elles ont interjeté.
Au-delà de la sanction judiciaire du « procès » il faut noter que les poursuites pénales se poursuivent à l’encontre de celles et ceux qui de près ou de loin ont participé à ce référendum. Plusieurs centaines de directeurs d’école qui avaient mis leurs locaux à disposition le jour du vote, de fonctionnaires, des élus, des membres du gouvernement, sont poursuivis et risquent soit des sanctions pécuniaires fortes soit des sanctions judiciaires qui seront inscrites dans leur casier judiciaire ;
Cela vaut pour l’ancien chef de la police de Catalogne (Mossos d’esquadra) le major Josep Lluis Trapero accusé lui aussi de sédition et qui risque une peine de 11 ans de prison. Le « PODER JUDICIAL » : Le pouvoir des juges contre le pouvoir politique Dans notre rapport nous avions pointé la question du CGPJ (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire) organe exécutif du pouvoir judiciaire, garant de son indépendance et de son fonctionnement.
L’actualité récente nous a donné raison. Les vingt membres de l’assemblée du GGPJ sont désignés par le Parlement (10 sont nommés par l’Assemblée et 10 sont nommés par le Sénat), de ce fait, la composition du conseil Général du Pouvoir Judiciaire est le reflet de la composition politique de l’Assemblée et du Sénat. Le mandat des membres du conseil Général du Pouvoir Judiciaire est de cinq ans. La dernière nomination des membres du conseil remonte au 13 novembre 2013, le mandat des 21 membres se terminait le 4 décembre 2018. Il aurait dû être renouvelé à ce moment-là. L'actuel CGPJ est issu de la majorité absolue du PP (Parti Populaire) et ce parti empêche depuis deux ans un accord au congrès des députés pour rendre possible le renouvellement des charges. En observant la vie politique espagnole on voit bien les difficultés de l’actuel gouvernement de Pedro Sanchez face à la puissance de ce Poder Judicial. Depuis plusieurs semaines un véritable bras de fer oppose le gouvernement de Pedro Sanchez (PSOE, UP, IU) à la droite PP et Ciudadanos.
Le CGPJ a approuvé à une majorité écrasante la nomination à 6 postes, clés de juges contre l’avis du Gouvernement Ces nominations ne seront pas sans influence sur les prochains procès à venir. Il semble que l’on met beaucoup l’accent sur les failles politiques dans la gestion de la crise catalane mais on oublie de parler du poids de cette institution judiciaire. L’influence du PP est encore forte et il n’est pas près de céder sa place. Il suffit de rappeler les propos de Cayetana Álvarez de Toledo députée du Parti Populaire qui est allée jusqu'à affirmer que le Poder Judicial est le dernier bastion contre le progressisme… Le rapport annuel de l’Union Européenne sur l’état de droit (septembre 2020) a mis en garde l’Espagne sur la politisation du CGPJ, les difficultés sautent donc aujourd’hui aux yeux de tous.
Mais les errements judiciaires continuent de s’accumuler. Il n’en est de preuve que de parler de la destitution de Quim Torra, Président élu de la Generalitat destitué par le Tribunal pour avoir affiché des lacets jaunes en soutien de ses collègues poursuivis. Restant volontairement sur un strict plan juridique nous reprendrons ici bien volontiers l’analyse du professeur de droit constitutionnel de l’université de Séville Javier Perez Royo dans son billet quotidien du journal EL DIARIO (28 septembre 2020)
Selon lui la décision de la Junta electoral , instance administrative chargée de surveiller le bon déroulement des processus électoraux, qui a ordonné au Président Quim Torra de retirer les marques de soutiens aux prisonniers pendant la dernière campagne électorale, ne peut pas être constitutive d’un délit de désobéissance Celui-ci ne peut être constitué que s’il y a désobéissance à une décision judiciaire. Le Tribunal de Justice de Catalogne puis le Tribunal Suprême ont purement avalisé la décision de la Junta electoral mais non pas eux même prononcé de décisions demandant le retrait des marques de soutien, ce qui est une irrégularité grave contraire à la Constitution. Le délit de désobéissance n’est pas constitué donc la destitution est irrégulière.
Le Tribunal constitutionnel devra statuer sur le recours formé par le Président Torra. Le bilan est donc mitigé et surtout l’absence de règlement politique est inquiétante.
Amnistie ou grâce sont venus alimenter le débat mais ne satisfont personne. Dans tous les cas de figure, la Cour Européenne sera saisie si le Tribunal constitutionnel ne rend pas un avis favorable, mais les délais sont longs. En tout état de cause il serait bon que le gouvernement de Pedro Sanchez s’engage à supprimer les délits de sédition et de rébellion ce qui aurait, par l’effet de l’application immédiate de la loi pénale plus douce, un effet immédiat sur les condamnations prononcées.
Alexandre FARO Avocat à la Cour d’appel de Paris
Dominique NOGUERES Vice-Présidente de la Ligue des droits de l’Homme
Paris le 12 octobre 2020
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