Ce printemps, la musique n’est pas à la fête, et pourtant…
48e jour de confinement. Opinion.
Chronique d’un échange entre un artiste et un pacifiste, confinés en Finistère et en Ille-et-Vilaine.
... avant les annonces du 6 mai du président Macron sur la culture.
Point n’est besoin d’attendre les annonces de l’Élysée de ce mercredi concernant la culture, dont nous devinons déjà la nature gestionnaire et administrative. Encore une fois, on annonce des annonces. Nous avons de la part de nos responsables politiques surtout des mots, des éléments de langage, néanmoins accompagnés de mesures exceptionnelles décidées de manière autoritaire, sans concertation véritable, des outils qui ont pour nom : décrets, lois, ordonnances, règlements, brigades, amendes, sanctions, directives, circulaires… Alors que nous manquons de masques, de tests et de respirateurs, d’aide aux personnes âgées ou à risque. Face à ces lacunes, pour certaines inadmissibles, quelle signification donner, au-delà du respect nécessaire des consignes sanitaires, à l’expérience de discipline et civisme des citoyens, face à un test d’obéissance et de soumission à l’autorité, « inédit » comme l’affirme le cinéaste Gérard Mordillat. Un test qui est renouvelé et réinventé de jour en jour au fil des annonces médiatiques du Président et du Gouvernement. Ce test va t-il se poursuivre encore longtemps selon la dynamique de surenchère et à grand renforts de moyens technologiques contrôlés par le pouvoir. Tout ceci renforce chaque jour un autoritarisme exagéré et pas forcément responsabilisant. Nous sommes citoyens, nous attendons des mesures sanitaires s’appuyant sur le code de la santé publique et pas des mesures autoritaires voire militaires découlant d’un régime d’exception prolongé susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles et collectives et qui peut être l’antichambre d’une défaillance politique et démocratique
La musique (et l’art en général) est souvent qualifiée de langage universel. Les artistes pratiquent un internationalisme au quotidien, mélanges de traditions, de cultures, de nationalités: aujourd’hui le contrôle de la circulation des individus, le système de visas et contrôle des frontières, remet en cause toute une pratique d’échanges à laquelle nous étions naturellement habitués et attachés.
Dans les professions du spectacle, l’anxiété prime du fait :
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des informations de l’Etat, désordonnées, incomplètes et souvent incohérentes concernant cette branche d’activités sans cadre ni perspectives réfléchies,
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que l’introduction d’une date butoir de dé-confinement amène une série de questions anxiogènes, car n’apportant que des questionnements et peu de réponses à court terme
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qu’aux interrogations sans réponses concernant l’avenir de la culture en tant qu’activité à part entière de notre société, s’ajoute la certitude et la conscience de la communauté artistique que cet épisode va générer de nombreuses victimes, des dommages collatéraux, psychosociaux qui concerneront d’ailleurs toutes les professions, toutes les tranches d’âges, toutes les classes sociales à l’heure où des disparités et inégalités sont déjà identifiés et où des professions entières sont déjà en situation de survie.
Un battement d’aile d’un papillon matérialisé par un morceau d ’ARN parvenu de Chine ou peut-être d’Amazonie, nous a fait découvrir ici que de grands événements annuels parfois festivaliers, de grandes machines à l’origine de produits culturels à succès se sont effondrées. Demain la culture saura-t-elle, comme cela a été le cas tout au long de l’histoire, s’inventer, s’adapter ?
« Gouverner c’est prévoir », dit la maxime. Notre président semble suivre d’autres préceptes, ce que la gestion des masques, des tests et la gestion l’hôpital semble confirmer.
Pouvoir, rôle de l’art et de la musique en particulier, pour créer du lien social, de la résilience, de la capacité à rapprocher. Qu’en est-il quand on parle de distanciation physique et de distanciation sociale ?
Le numérique présenté comme solution quasi universelle, même dans le domaine de la culture, permettra-t-il d’aller au-delà de cette nouvelle forme de pensée unique qu’induit le numérique, via ses applications, alors que les grandes firmes qui y sont au centre exercent à la vue de tous, un contrôle qui se déploie de la Silicon Valley jusqu’à Versailles ?
Alors que la logique du « clic », adapté à une gestion qui ne reconnait que le « j’aime – j’aime pas», favorise un modèle de pensée binaire par excellence qui ne semble pouvoir comptabiliser que des sommes de clics ? Par contre, parallèlement et subrepticement, il permet de tracer à travers des algorithmes secrets, des réalités plus individuelles, plus complexes et de les exploiter au bénéfice d’un marché et des profits qui vont avec.
Quand une vidéo qui recueille de nombreuses vues, (nous parlons seulement de ‘vues’ pas de lecture), devient ‘virale’ (tiens, tiens) il y a de quoi s’interroger.
Les artistes et les intermittents dans la diversité de leurs métiers sont souvent des travailleurs invisibles de la culture et du spectacle vivant, comme l’est la production non quantifiée des richesses produites par les bénévoles de nos associations, les militants, tous ces enthousiastes et passionnés divers. Ces productions de richesses n’ont pas leur place dans la notion de PIB dont le calcul ne répond qu’à des règles comptables étriquées.
Notre modèle culturel productiviste doit être questionné afin d’inventer quelque chose de nouveau, et non pas reproduire systématiquement ces événements rituels, saisonniers et touristiques, prioritairement économiques, d’un monde d’avant. Comment prendre en compte des échelles plus humaines, plus diversifiées et originales, en respect de tous les talents d’ici ou d’ailleurs dans la recherche permanente de la beauté et de la qualité ? Comment ancrer les créations dans leurs territoires avec leurs identités, leurs spécificités, leur caractère plus populaire ? Comment développer les échanges internationaux actuellement gelés mais pourtant nécessaires pour faire vivre les créations multiculturelles, les échanges et coopérations facteur de qualité, de compréhension mutuelle, de respect et de paix.
Construire la paix ne se fera jamais sans la culture, l’éducation, sans ces artisans de l’art, ces femmes et hommes dont le domaine est « les œuvres de l’esprit, du corps, du geste, de la parole… », alliés à tous ces bénévoles, militants, passionnés qui les accompagnent. Ce qui implique des choix budgétaires de l’Etat : de nouvelles armes nucléaires ou culture et bien-être ? Il est certain que la pensée, la créativité, l’engagement citoyen ne vont pas connaître de récession mais vont être confrontées à des obstacles économiques voire antidémocratiques, créant des difficultés inédites quant à leur expression et diffusion. Il est urgent de réfléchir ensemble pour mieux réagir et agir.
Tout comme la liberté et la démocratie, la pensée et l’art ne peuvent pas, ne doivent pas être confinés.
Pol Huellou,
Artiste musicien, syndicaliste
Roland Nivet,
Militant pour la Paix en Bretagne.
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