L'éditorial de Cathy Dos Santos. Le rapport d’Oxfam que nous présentons dans nos colonnes est un cri d’alarme qui place les puissances face à leurs responsabilités. L’impact économique de la crise sanitaire pourrait précipiter un demi-milliard de personnes supplémentaires dans la pauvreté,
Il ne suffit plus de se payer de mots, il faut des actes. La pandémie, qui « hors de tout contrôle pourrait coûter la vie à plus de 40 millions de personnes », selon Oxfam, presse les dirigeants politiques d’agir. Mais pas n’importe comment, et surtout pas en recyclant les recettes ultralibérales d’hier qui ont aggravé les crises structurelles qui défigurent le quotidien de milliards d’êtres humains. On ne le répétera jamais assez, l’épidémie agit comme un miroir grossissant des injustices. Si le virus peut frapper tout un chacun, il n’est pas égalitaire. Il exacerbe les situations d’extrême fragilité des plus démunis. Le confinement de la moitié de l’humanité n’occulte pas les misères, il les décuple.
La déflagration économique et financière, qui s’amorçait avant même l’explosion de Sars-CoV-2, s’annonce encore plus violente que la crise de 2008. Couplée aux conséquences désastreuses de la pandémie, l’onde de choc sera d’une brutalité dramatique. En fait, elle l’est déjà. La presse espagnole fait état de 900 000 emplois démolis. Le cortège de chômeurs a brutalement grossi aux États-Unis, où plus de 10 millions de personnes viennent de perdre leur travail. L’Organisation internationale du travail évoque la destruction de 25 millions d’emplois dans le monde, d’après une fourchette basse.
Le rapport d’Oxfam que nous présentons dans nos colonnes est un cri d’alarme qui place les puissances face à leurs responsabilités. L’impact économique de la crise sanitaire pourrait précipiter un demi-milliard de personnes supplémentaires dans la pauvreté, selon l’ONG, qui plaide pour un sauvetage économique mondial ambitieux à même de ne laisser personne de côté. Les prochaines réunions de la Banque mondiale et du FMI, des ministres des Finances du G20 doivent accoucher de réponses radicalement transformatrices afin de protéger les citoyens et soutenir les pays les plus pauvres, acculés contre le mur honteux d’une dette illégitime. La pandémie jette une lumière crue sur les orientations capitalistes qui se sont soldées en 2008 par des chèques en blanc signés aux banques et une austérité mortifère pour les peuples. De ce passé-là aussi, il faut faire table rase.
« Le Prix de la dignité », c'est le nom du rapport choc qu'Oxfam vient de sortir. L'ONG y anticipe un basculement massif dans la misère à travers le monde, suite à l’épidémie du coronavirus. Ce prix de la dignité, c'est celui à payer d'urgence au niveau de la communauté internationale pour faire face à une spirale vertigineuse, de nature à enraciner les pays pauvres dans le sous-développement... Un demi-milliard de personnes supplémentaires pourraient basculer dans le dénuement. À l’approche de réunions décisives qui auront lieu la semaine prochaine entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et entre ministres des Finances du G20, les pays riches sont au pied du mur.
C’est l’autre conséquence épouvantable de la pandémie : l’extension de la pauvreté, le creusement des inégalités dans un monde déjà miné par ces fléaux… Un demi-milliard de personnes supplémentaires, entre 6 et 8 % de la population mondiale, pourraient basculer dans le dénuement, alerte Oxfam dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité ». Une sombre perspective décrite « à l’approche de réunions décisives qui auront lieu la semaine prochaine entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) – virtuellement du 17 au 19 avril – et de la réunion des ministres des Finances du G20 le 15 avril ». L’ONG appelle les pays riches à l’adoption d’un « plan de sauvetage économique pour tou-te-s afin de maintenir les pays et les communautés pauvres à flot ». Ces derniers entrent d’ailleurs d’ores et déjà dans une crise économique avant même la crise sanitaire, qui s’annonce désastreuse vu les très faibles capacités de riposte.
Les effets du confinement sur l'économie informelle
Dans les seuls pays du Maghreb, des millions de travailleurs de l’ombre, sur les marchés informels, se trouvent subitement confrontés à l’absence de revenus. La contrainte du confinement barre la route à des centaines de jobs au noir, vendeurs à la sauvette, gardiens de parking, femmes de ménage, manœuvres et autres emplois mille fois précaires. « Ils sont des millions à ne plus pouvoir aller dans la rue en quête de quelques sous pour les besoins de leurs familles, mais pas seulement, relève Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam. Les économies de ces pays-là sont dès à présent ébranlées au plan macroéconomique. Quelque 83 milliards de dollars d’investissements étrangers ont déjà été retirés. Les cours des matières premières sont sensiblement en baisse, - 21 % pour le cuivre, - 61 % pour le pétrole et - 15 % pour le café il y a juste quelques jours, sans compter l’effondrement de l’activité touristique et… les hausses des taux d’intérêt à plus de 3,5 %. » La spirale est vertigineuse, de nature à enraciner les pays pauvres dans le sous-développement.
Vite, l’annulation des paiements de la dette
Dès lors, la réponse se doit d’être « rapide et massive », insiste le porte-parole. L’ONG recommande l’annulation des paiements de la dette redevable à brève échéance à hauteur de 400 milliards de dollars pour les pays à faibles revenus, « de l’argent qu’ils pourront investir dans les politiques d’urgence face à la pandémie ». L’acquisition des moyens de protection représente en effet des dépenses colossales, qui plus est sur des marchés tendus. Les stratégies sanitaires à mettre en place sont autrement plus coûteuses que celles des pays nantis. Nul doute que les manœuvres budgétaires pour y parvenir vont laisser sur le carreau des millions de personnes.
De façon globale, si rien n’est fait, la régression pourrait être d’une dimension catastrophique, estime Oxfam, dont les récentes analyses éclairent le chemin escarpé qu’emprunte désormais l’humanité tout entière. « Cela pourrait constituer à l’échelle mondiale un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et un recul de trente ans dans certaines régions comme en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Plus de la moitié de la population mondiale pourrait désormais vivre sous le seuil de pauvreté à la suite de la pandémie », souligne le rapport.
Dans les circuits des économies libérales, l’argent coule à flot
Inévitablement, c’est aussi l’inégalité qui va se creuser davantage partout dans le monde. « Les travailleurs et travailleuses les plus pauvres dans les pays riches et pauvres seront les premiers impactés économiquement car ils sont moins susceptibles d’occuper un emploi formel, de bénéficier de protection sociale, de percevoir une indemnité chômage ou maladie ou d’avoir la possibilité de télétravailler. Et les femmes, en première ligne de la mobilisation face au virus, sont susceptibles d’être les plus durement touchées financièrement », selon l’ONG. « Le prix de la dignité » est ainsi évalué à l’aune des responsabilités des pays riches envers le reste du monde. Oxfam énumère une série de mesures (à lire ici), dont l’institution d’impôts « de solidarité d’urgence en taxant les bénéfices extraordinaires, les plus grandes fortunes, les produits financiers spéculatifs et les activités ayant un impact négatif sur l’environnement ».
Une chose est sûre, l’argent coule à flots dans d’innombrables circuits des économies libérales. Son usage à des seules fins d’enrichissement exponentiel de nababs est un manque à gagner pour le progrès social. Si l’on suivait l’ONG sur l’annulation des échéances de dette immédiate afin de fournir de la trésorerie aux pays pris à la gorge dans le contexte de la pandémie, « le Ghana pourrait fournir 20 dollars par mois à chacun des 16 millions d’enfants, de personnes handicapées et de personnes âgées du pays pendant six mois », précise-t-on. Le pays s’en sortira ainsi provisoirement si ses créanciers s’acquittent de ce « prix de la dignité ». Mais il verra peut-être un jour le bout du tunnel, à la seule condition d’une rupture radicale avec le schéma actuel des relations Nord-Sud, hors du pillage des ressources, de l’échange inégal et de la pression de l’endettement. Même vaincu, le coronavirus laissera cette exigence intacte.
Dans son « plan de sauvetage universel », Oxfam pointe l’urgence du moment et met l’accent sur le recours à une création monétaire pour le plus grand nombre. L’ONG s’inquiète, à juste titre, de voir les mesures prises jusqu’alors s’aligner sur les recettes mises en œuvre au lendemain du krach financier de 2008. Elle avaient conduit à transférer une énorme dette privée sur le public...
Le grand mérite des propositions d’Oxfam est de souligner le besoin d’agir vite et de mettre en œuvre des réponses aussi urgentes que radicales dans les crises sanitaire et économique qui s’amplifient autour du Covid-19. L’ONG s’inquiète, à juste titre, de voir les mesures prises jusqu’alors s’aligner sur les recettes mises en œuvre au lendemain du krach financier de 2008. Son « plan de sauvetage universel » insiste sur le besoin de ne plus privilégier « le renflouement » des plus gros acteurs du marché, mais au contraire de voler au secours « des salariés et des particuliers, des petites entreprises », qui vont subir l’essentiel du choc de la très forte récession entamée.
Oxfam dénonce les choix qui ont conduit à transférer jadis une énorme dette privée sur le public pour pratiquer par la suite « autant de politiques d’austérité ». La même méthode inspire, de fait, déjà les grands plans dits de relance tant aux États-Unis qu’en Europe. L’ONG souligne que sa mise en œuvre aurait, cette fois, pour conséquence de « nous ramener en arrière de plusieurs décennies » dans le traitement de la pauvreté et de la faim dans le monde. Pour faire face, il faudrait au contraire, plaide Oxfam, « utiliser la création monétaire » et exiger du FMI qu’il émette quelque « 1 000 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux » (DTS), soit une monnaie internationale constituée à partir d’un panier de plusieurs grandes devises.
« Respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat »
Le chercheur marxiste Paul Boccara avait relevé de longue date l’intérêt de ces DTS pour commencer de mettre en place une vraie monnaie commune mondiale, alternative au dollar tout-puissant, et derrière lui à la funeste domination de Wall Street. Oxfam, qui relève à sa manière tout l’intérêt d’une telle option, y voit un relais pour financer un soutien de survie aux petites entreprises et à des centaines de millions de salariés.
Pour l’Europe, l’ONG développe également le bien-fondé d’une création monétaire qui ne soit plus « au strict bénéfice des grandes entreprises » mais de la masse des citoyens touchés par la crise, « sans oublier les plus démunis ». Elle avance l’idée de « monnaie hélicoptère ». Autrement dit : une distribution massive d’argent sur le compte des particuliers.
Ce type de mesure, d’évidence dévouée à stimuler la demande, risque cependant d’avoir un effet provisoire et donc surtout palliatif. Les poids lourds de l’économie mondiale n’y sont pas hostiles. Eux qui ne voient forcément pas d’un bon œil la perspective d’un effondrement généralisé du pouvoir d’achat de leur clientèle populaire. Au point que Donald Trump a décidé d’envoyer des chèques de crédits d’impôt d’environ 1 200 dollars aux contribuables des États-Unis. Mesure qui ne compensera que très imparfaitement les pertes d’emplois, et donc de salaires et d’assurances sociales, annoncées par dizaines de millions.
La contradiction est de taille. Elle ne semble pas avoir échappé aux rédacteurs du « plan universel » d’Oxfam, qui insistent sur « le besoin de conditionner les aides », les subventions et donc l’affectation de la monnaie nouvellement créée aux grands choix de gestion des entreprises. Pour qu’elles mettent enfin la barre « sur le social et l’environnement » afin « de respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat ». Création monétaire pour échapper au diktat des marchés financiers et sélectivité du crédit sont bien au menu de l’alternative à la crise vertigineuse qui menace le genre humain.
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