Dans ce domaine, la France a commis des erreurs lourdes de conséquences. Détecter l’immunité de la population paraît indispensable pour envisager et mettre en place le déconfinement.
« Tester, tester, tester ! » La consigne, martelée depuis plus d’un mois par l’OMS, aura mis du temps à être respectée. Après plusieurs semaines de déni, entre février et mars, le gouvernement français a fini par revoir sa stratégie pour passer d’un « usage rationnel » des tests à un « dépistage massif ». Un revirement devenu quasi obligatoire, notamment dans la perspective du déconfinement. Pour l’heure, le test PCR est le seul à pouvoir être réalisé en France pour dépister le Covid-19. Par prélèvement nasal, il permet de repérer la présence du génome viral, donc de la maladie au moment du test.
Actuellement, environ 12 000 tests PCR sont réalisés chaque jour, contre 4 000 il y a encore trois semaines, avant le changement de doctrine. Lundi, Olivier Véran a annoncé un objectif de 50 000 tests quotidiens pour la mi-avril . « Il faudrait atteindre le niveau de l’Allemagne, qui réalise entre 300 000 et 500 000 tests par semaine, mais pour l’instant, ce n’est pas possible, à cause d’une pénurie de réactifs », détaille Bernard Binetruy, directeur de recherche à l’Inserm. Le réactif est le composé qui réagit si le virus est présent dans l’échantillon prélevé – il est produit principalement en Chine et aux États-Unis. Pour avoir choisi de tester peu, les autorités sanitaires françaises n’ont pas anticipé une augmentation nécessaire de l’importation de ces produits.
Il y a pourtant urgence à démultiplier les dépistages, afin d’isoler les malades, notamment ceux hospitalisés ou vivant dans des centres d’hébergement collectif. « Ces isolements seront aussi utiles pour envisager la suite de l’épidémie et envisager le déconfinement, explique Bernard Binetruy. En parallèle, un dépistage massif par des tests sérologiques reste indispensable. » Ces tests, effectués par prélèvement sanguin, visent à détecter si une personne a développé des anticorps contre le virus, plusieurs jours après avoir contracté la maladie. Quand le PCR dévoile si une personne est atteinte aujourd’hui du Covid-19, le test sérologique permet, lui, de détecter l’immunité de la personne. L’intérêt sera individuel : les personnes immunisées pourraient ne plus être obligées de se confiner. Mais aussi collectif, en permettant d’évaluer l’avancée de l’épidémie et l’immunité générale de la population.
« On estime que, pour pouvoir mettre fin à l’épidémie, il faut que 60 % de la population soient immunisés, détaille Bernard Binetruy. Quel que soit le scénario de déconfinement choisi (progressif, par étape, par région…), il sera nécessaire d’avoir une image globale de l’immunité de la population dans le temps, pour maîtriser à la fois le déconfinement et l’épidémie elle-même. Il faudra donc dépister le plus de personnes possible. »
Ces tests sérologiques ne sont pas encore disponibles mais la PME bretonne NG Biotech, qui se présente comme la « seule » entreprise approuvée en France à commercialiser un test « rapide », espère pouvoir fournir ses 500 000 premiers exemplaires en mai, et poursuivre avec un objectif de 6 millions de tests en six mois. Pas encore suffisant pour un dépistage vraiment massif. Ce qui pourrait prolonger d’autant le confinement.
Quelles que soient ses modalités et son échéance, la fin du confinement dépend d’outils encore indisponibles, rendant très incertaine l’issue de la crise sanitaire.
Alors qu’Emmanuel Macron doit à nouveau prendre la parole devant les Français lundi 13 avril, les espoirs de ceux qui pensaient entrevoir une date limite au confinement sont douchés pour un bon moment. Le 7 avril, devant l’Assemblée nationale, le premier ministre Édouard Philippe a prévenu : « Aujourd’hui, c’est l’heure du confinement. Et l’heure du confinement va durer. » Mercredi, en annonçant la prise de parole du président de la République pour le 13, il était désormais acquis pour le pouvoir qu’il allait falloir jouer les prolongations. Mais alors, quand les autorités seront-elles en mesure d’entamer un déconfinement, fût-il progressif ?
La réponse est à ce jour quasiment impossible à donner. Non parce que la pandémie serait en elle-même imprévisible, mais parce que son issue dépend avant tout de la mise à disposition d’outils qui n’existent pas encore, du fait de choix politiques antérieurs à la crise sanitaire. Pour déconfiner la population, et en l’absence de vaccin, le gouvernement doit d’abord savoir où en est exactement l’épidémie sur le territoire national : quelle proportion de la population a été contaminée et donc immunisée. Les épidémiologistes estiment qu’il faut que 60 % à 70 % de la population ait rencontré le virus pour obtenir une « immunité collective » et entrevoir la fin de l’épidémie.
Or, à ce jour, les seuls indicateurs fiables sortent des hôpitaux. Il s’agit des cas avérés, c’est-à-dire testés, du nombre de personnes en réanimation et en service de soins intensifs, du nombre de décès… Autrement dit, il s’agit d’informations partielles. On sait que ce virus est très contagieux, et qu’il peut être asymptomatique ou ne donner que des symptômes bénins. Des milliers de cas passent donc en dessous des radars, tandis que le recensement du nombre de décès dans les Ehpad n’a démarré que depuis une semaine.
En conséquence, les hypothèses de sortie du confinement se sont considérablement compliquées. Le pic épidémique était jusqu’ici attendu en France pour le milieu du mois d’avril. Une étude réalisée par le groupe Boston Consulting est plus pessimiste : elle situerait ce pic un mois plus tard, à la mi-mai. Et envisagerait donc une fin du confinement entre la mi-juin et la fin juillet… Pour les scolaires, l’hypothèse d’une reprise des cours seulement en septembre est même évoquée.
Interviennent ensuite les différents scénarios de sortie du confinement. D’abord, le « stop and go » : une alternance entre période de « distanciation sociale », telle qu’elle est en vigueur depuis le 17 mars en France, dès que les admissions aux urgences augmentent, et retour à la vie normale. Ensuite, le déconfinement en fonction des tranches d’âge : les plus âgés, plus vulnérables au virus, resteraient confinés plus longtemps afin de limiter le nombre de décès. Enfin, il reste le scénario d’un déconfinement au cas par cas : confiner les malades avérés et leur entourage, déconfiner ceux qui ont guéri ou ne sont pas porteurs.
Cette hypothèse ne serait possible qu’à l’aide, d’une part, d’un dispositif de traçage des malades et de leurs contacts grâce à des applications sur smartphone, utilisé en Chine et en Corée du Sud et étudié par le gouvernement en France sur la base d’un engagement volontaire. D’autre part, il dépend de l’existence et de la disponibilité massive des tests rapides. Cinq millions de ces tests sont actuellement commandés selon Olivier Véran, le ministre de la Santé, ce qui devrait permettre un dépistage de 100 000 personnes par jour… mais pas avant le mois de juin.
Outre la crise sanitaire qui se rallonge donc pour une durée indéterminée, ce sont ses conséquences économiques qui s’en trouvent de moins en moins calculables. Après trois semaines de confinement, la Banque de France annonçait déjà 6 % de récession pour le PIB français au premier trimestre de 2020.
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