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7 avril 2020 2 07 /04 /avril /2020 07:02
Etat de droit - La Ligue des Droits de l'Homme et l'Humanité alertent sur l'effet liberticide de l'état d'urgence et des pleins pouvoirs pour l'exécutif
Lundi, 6 Avril, 2020 - L'Humanité
Éditorial. Le cri de la LDH

L'éditorial de Sébastien Crépel. L’inquiétude vaut bien au-delà du 30 juin et du retour présumé au « droit commun » : car ainsi se crée pour l’avenir « une jurisprudence qui ouvre la voie à toutes les exceptions et donc à tous les renoncements », prévient la LDH.

 

L’état d’urgence sanitaire a été promulgué, mais qu’en est-il de l’État de droit, qui n’admet aucune interruption pour garantir les libertés publiques ? Cette garantie passe en premier lieu par le respect de la Constitution, qui limite les pouvoirs et s’impose à tous, en dépit des critiques parfaitement fondées que l’on peut adresser à un texte consacrant un régime présidentialiste à l’extrême. Il vaut mieux en effet une Constitution imparfaite que pas de Constitution du tout pour s’opposer à l’absolutisme et à l’arbitraire.

Or, il n’est pas exagéré d’écrire que cet ordre constitutionnel est aujourd’hui remis en cause par l’acceptation, par l’organe même chargé en dernier ressort de le faire respecter, d’entorses à la légalité qui auraient été regardées comme tout à fait intolérables avant l’état d’urgence sanitaire. Ici aussi, pas de confusion : on peut ne pas déborder d’amour pour une instance comme le Conseil constitutionnel, dont les jugements sont souvent marqués d’un conservatisme pesant, et s’inquiéter de ce que signifie, sur le plan du droit, sa mise en sommeil forcée. Non seulement ses membres ont choisi de fermer les yeux sur la décision du gouvernement de s’asseoir sur le respect de la loi fondamentale à l’occasion de l’examen du paquet législatif instaurant l’état d’urgence sanitaire, mais ils se sont inclinés devant leur mise en congés d’office jusqu’au 30 juin prévue par ces mêmes textes.

Cette décision pourrait paraître à première vue n’intéresser que les férus de droit. Dans une déclaration produite vendredi, la Ligue des droits de l’homme (LDH) montre combien elle concerne en réalité chaque citoyen. « Par sa décision, écrit la LDH, le Conseil constitutionnel accepte que les libertés publiques soient drastiquement restreintes tout en en différant le contrôle. » ​​​​​​​Le gouvernement, qui dirige désormais par ordonnances, n’aura en effet plus aucun compte à rendre au Parlement, ni au Conseil constitutionnel. L’inquiétude vaut bien au-delà du 30 juin et du retour présumé au « droit commun » : car ainsi se crée pour l’avenir « une jurisprudence qui ouvre la voie à toutes les exceptions et donc à tous les renoncements », prévient la LDH.

Par Sébastien Crépel
Jeudi, 2 Avril, 2020 - L'Humanité
L’État de droit violemment contaminé

Par Patrick Le Hyaric Directeur de L'Humanité

 

La loi organique promulguée lundi dernier instituant l’état d’urgence sanitaire ouvre des brèches inédites dans l’État de droit. L’expérience des « états d’urgence » plaide pour une grande méfiance. Celui né des attentats qui ont frappé la France en 2015, s’il avait vocation à lutter contre le terrorisme dans un temps donné, s’est inscrit dans le droit commun et le pouvoir n’a pas hésité à s’en servir contre des mouvements sociaux. On peut donc très légitimement s’inquiéter des dispositions prises, dont certaines vont s’insérer dans les textes réglementaires et pourront donc être reprises ultérieurement. Pour autant, le Conseil constitutionnel n’avait pas, jusque-là, hésité à censurer certaines dispositions attentatoires aux libertés.

Or, les verrous viennent de sauter. De manière incompréhensible, le Conseil constitutionnel, pourtant garant de la Constitution, ne s’est pas opposé à un coup de canif inédit dans celle-ci. Il s’est, pour la première fois de son histoire, volontairement amputé de son rôle de gardien de la loi fondamentale, indiquant dans sa décision du 26 mars dernier que, « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution ». Or cet article 46 stipule que « le projet ou la proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt ». Le voilà réduit à 24 heures, en violation des règles constitutionnelles ! Ce délai est pourtant celui, essentiel, de la discussion collective et du contrôle parlementaire. En quoi les « circonstances particulières de l’espèce » doivent-elles mettre en quarantaine le contrôle de constitutionnalité et l’exercice démocratique ?

Il n’y a aucune explication valable à cette mise en retrait des juges constitutionnels, surtout quand caissières, personnels soignants, agriculteurs ou fonctionnaires sont appelés à travailler manu militari. Les citoyens qui entreraient en contravention avec les dispositions de l’état d’urgence n’ont ainsi plus les moyens de contester les décisions dans les temps impartis puisque les juridictions de contrôle, dont la Cour de cassation et le Conseil d’État, sont mises en sommeil jusqu’au… 30 juin ! Les questions préalables de constitutionnalité sont donc déclarées nulles et non avenues jusqu’au début de l’été. Les pleins pouvoirs sont ainsi conférés au pouvoir exécutif sans qu’il se soit donné la peine d’activer le très polémique article 16 de la Constitution.

Cet empressement à se laver les mains des principes constitutionnels trahit l’incapacité de l’exécutif à prendre les mesures indispensables à la lutte contre l’épidémie en temps et en heure, notamment par des réquisitions et nationalisations, et son manque de réactivité criant pour injecter immédiatement les milliards qui manquent aux hôpitaux en matériel et en personnels soignants.

Pour contrebalancer ces pouvoirs exorbitants, il faudrait d’urgence qu’un Comité national pluraliste du suivi de l’état d’urgence sanitaire, avec les présidents de groupe des deux assemblées et les syndicats, accompagne et contrôle l’action publique. La lutte contre l’épidémie ne passera pas par moins de liberté. Au contraire !

Par Patrick Le Hyaric Directeur de l’Humanité
Vendredi, 3 Avril, 2020
Me Henri Leclerc : « Quand la toute-puissance de l’exécutif va-t-elle s’arrêter ? »

Entretien. Henri Leclerc, avocat au barreau de Paris et président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, craint que des mesures liberticides comme le traçage numérique des citoyens, imposées par le gouvernement pour assurer la sécurité sanitaire, n’intègrent la loi ordinaire à l’issue de la crise. Il appelle à la vigilance.
 

 
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Quel regard portez-vous sur la possibilité d’autoriser une surveillance numérique accrue des citoyens dans le cadre de l’actuelle crise sanitaire ?

Me Henri Leclerc. Dans la situation actuelle, je me pose la question de la nécessité et de la proportionnalité du pistage de la population. Pour juger de la pertinence de cette mesure, les citoyens, dont je suis, manquent d’informations. On ne peut se fier qu’aux déclarations du pouvoir. Or, personnellement, ma confiance dans ce gouvernement est limitée. Par ailleurs, si elles étaient mises en place à l’issue de la période de confinement, de telles mesures de traçage devraient être très encadrées et circonstanciées, et ne pourraient à mon sens qu’être limitées dans le temps. Or, l’histoire récente a montré que l’exécutif avait tendance à intégrer dans le droit commun des dispositions prises à titre exceptionnel. Il ne faudrait pas que l’on réitère l’expérience des lois dites antiterroristes de 2015 et que l’on se retrouve avec un système de surveillance généralisée à la chinoise ou à la coréenne. Il me semble que d’autres mesures seraient à prendre, de manière plus urgente, pour éviter une hécatombe : pourquoi ne pas gracier tous les prisonniers qui n’ont plus que quelques mois de peine à purger plutôt que de prolonger arbitrairement les détentions provisoires ?

Pensez-vous que les contre-pouvoirs jouent pleinement leur rôle ?

Me Henri Leclerc. Clairement non. La Cnil n’a qu’un avis consultatif et je suis particulièrement révolté par l’abdication du Conseil constitutionnel, qui, lorsqu’il a été saisi de la loi organique, a accepté la limitation de ses pouvoirs. En ce qui concerne les questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil ne se prononce plus… La carence des autorités de contrôle est très grave. De même, le fait que le Parlement ne se réunisse plus en séance plénière laisse les mains totalement libres au gouvernement. Ce ne serait pourtant pas compliqué d’avoir des discussions collectives en vidéoconférence. Les entreprises privées le font, les médias le font, alors pourquoi pas les parlementaires ? L’utilisation des outils numériques et de communication à distance est à géométrie variable, semble-t-il ! Je me demande avec inquiétude quand la toute-puissance de l’exécutif va s’arrêter. Par ailleurs, je ne suis pas contre les conseils scientifiques. Mais il ne faut pas qu’ils soient les seuls à étayer les décisions. Alors même que les plus grands spécialistes reconnaissent être encore tâtonnants face à ce nouveau virus, la légitimité scientifique ne doit pas remplacer la légitimité démocratique.

Vous semble-t-il néanmoins légitime de renoncer à certaines libertés, dans le cas présent ?

Me Henri Leclerc. Oui, tout à fait. Ce n’est pas mon habitude d’accepter sans broncher un état d’exception. En 2015, j’ai combattu les lois antiterroristes, estimant qu’il suffisait alors de renforcer les moyens de la police, dans le cadre législatif existant. Aujourd’hui, la situation n’est pas la même : nous sommes en face d’un mal qui répand la terreur et nous ne pouvons pas faire autrement que d’accepter de restreindre nos libertés, puisque chacun est un danger pour l’autre. Donc, je ne conteste pas le confinement, bien qu’il soit une atteinte considérable aux libertés individuelles. J’accepterai même volontiers que toute la population soit testée obligatoirement à l’issue de cette période de confinement. Mais c’est plus facile de pister que de dépister apparemment… Je voudrais enfin rappeler que le déconfinement devra s’accompagner d’un retour à la normale. Nous y veillerons.

Entretien réalisé par Eugénie Barbezat
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