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20 mars 2020 5 20 /03 /mars /2020 07:32
Les idées et les livres - Enzo Traverso - Mélancolie de gauche: la force d'une tradition cachée - Morceaux choisis

Enzo Traverso, né en 1957 dans le Piémont en Italie, a fait des études d'histoire à Gênes puis à Paris. Il a enseigné à Paris, en Picardie, il a été membre du collectif éditorial de "La Fabrique" de 1998 à 2008 (maison d'édition de la gauche critique dirigée par Eric Hazan ) et désormais il assure un cours sur l'histoire intellectuelle à l'université Cornell d'Ithaca à New-York. Il est l'auteur de nombreux ouvrages mêlant la philosophie, la réflexion politique et l'histoire, parmi lesquels A feu et à sang (Stock), L'Histoire comme champ de bataille ou La Fin de la modernité juive (La Découverte).

Mélancolie de gauche - La force d’une tradition cachée (XIXe-XXIe siècle) (La Découverte 2016, 20€)

Ce livre très cultivé, un brin désenchanté, pessimiste et mélancolique, est une promenade historique, philosophique et littéraire passionnante, où l'on suit les évolutions du rapport à la défaite, au temps, passé et avenir, du mouvement révolutionnaire, dans le lien avec l'évènement et les incidences sur la conscience commune et la réalité historique présente.

Note de l'éditeur:
Depuis le XIXe siècle, les révolutions ont toujours affiché une prescription mémorielle : conserver le souvenir des expériences passées pour les léguer au futur. C’était une mémoire « stratégique », nourrie d’espérance. En ce début de XXIe siècle, cette dialectique entre passé et futur s’est brisée et le monde s’est enfermé dans le présent. La chute du communisme n’a pas seulement enterré, une fois pour toutes, la téléologie naïve des « lendemains qui chantent », elle a aussi enseveli, pour un long moment, les promesses d’émancipation qu’il avait incarnées.
Mais ce nouveau rapport entre histoire et mémoire nous offre la possibilité de redécouvrir une « tradition cachée », celle de la mélancolie de gauche qui, comme un fil rouge, traverse l’histoire révolutionnaire, d’Auguste Blanqui à Walter Benjamin, en passant par Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle n’est ni un frein ni une résignation, mais une voie d’accès à la mémoire des vaincus qui renoue avec les espérances du passé restées inachevées et en attente d’être réactivées.
Aux antipodes du manifeste nostalgique, ce livre – nourri d’une riche iconographie : des tableaux de Courbet aux affiches soviétiques des années 1920, des films d’Eisenstein à ceux de Théo Angelopoulos, Chris Marker ou Ken Loach – établit un dialogue fructueux avec les courants de la pensée critique et les mouvements politiques alternatifs actuels. Il révèle avec vigueur et de manière contre-intuitive toute la charge subversive et libératrice du deuil révolutionnaire.

 

Introduction

"Cet ouvrage se propose d'explorer la dimension mélancolique de la culture de gauche, du XIXe au XXI e siècle... La gauche dont il sera ici question sera définie en termes ontologiques : les mouvements qui, dans l'histoire, se sont battus pour changer la société en plaçant le principe d'égalité au centre de leurs projets et de leurs luttes.

(...) La conception marxiste de l'histoire impliquait une prescription mémorielle: il fallait inscrire les évènements du passé dans la conscience historique afin de se projeter vers l'avenir. Il s'agissait d'une mémoire "stratégique" des luttes du passé, une mémoire orientée vers le futur. La fin du communisme a brisé cette dialectique entre passé et futur, et l'éclipse des utopies qui accompagne notre époque "présentiste" a conduit a une quasi extinction de la mémoire marxiste... Ce contexte a favorisé la redécouverte d'une vision mélancolique de l'histoire comme remémoration (Eingedenken) des vaincus - Walter Benjamin en fut l'interprète le plus significatif - qui appartient à une tradition cachée du marxisme.  

(...) Le passage d'un âge de feu et de sang, qui, en dépit de ses innombrables défaites, demeurait intelligible, à une époque nouvelle de menaces globales sans issue prévisible s'est teinté d'une coloration mélancolique. Cela ne signifie pas nécessairement le repli dans un univers clos de chagrin et de souvenirs; il s'agit plutôt d'un ensemble d'émotions et de sentiments qui enveloppent la transition vers une ère nouvelle. C'est la seule manière de faire coexister la recherche d'idées et de projets pour demain avec le deuil et la tristesse qui accompagnent la disparition des expériences révolutionnaires du passé. C'est la mélancolie d'une gauche, ni archaïque ni impuissante, qui ne veut pas se délester du fardeau du passé bien qu'il soit souvent lourd à porter. C'est la mélancolie d'une gauche qui, tout en s'engageant dans les luttes du présent, ne se soustrait pas au bilan des défaites accumulées. Une gauche qui ne se résigne pas à l'ordre global dessiné par le néolibéralisme mais ne peut aiguiser ses armes critiques qu'en procédant par identification empathique avec les vaincus de l'histoire, cette large multitude qui a été rejointe, à la fin du XXe siècle, par la dernière génération des révolutions défaites.

(...) A la différence du discours humanitaire dominant qui sacralise les victimes tout en ignorant sinon en rejetant leurs engagements, la mélancolie révolutionnaire porte son regard sur les vaincus.  Elle voit les tragédies liées aux batailles perdues du passé comme un fardeau et une dette qui contiennent aussi une promesse de rachat. 

(...) Ce livre essaie de restituer un visage à cette tradition cachée, d'en saisir quelques moments marquants et d'en indiquer les principaux interprètes, dans la théorie comme dans la peinture et le cinéma. La tristesse et le deuil, le sentiment écrasant de l'échec, des amis et des camarades perdus, des occasions ratées, des acquis détruits, du bonheur volé ont accompagné l'histoire du socialisme depuis ses débuts, comme la doublure dialectique de l'extase révolutionnaire où tout devient possible, lorsqu'on éprouve le plaisir d'agir ensemble et de s'épanouir dans l'action collective, lorsqu'on a l'impression de flotter dans le ciel, délesté de tout poids, et d'être capable de donner un sens à l'histoire. Cette mélancolie de gauche a été occultée, refoulée ou sublimée par des représentations qui la surmontaient en dessinant l'image d'un futur libéré. Ainsi, elle irrigue l'histoire des mouvements révolutionnaires comme un fleuve souterrain, comme un flux puissant mais invisible, exorcisé ou neutralisé par des récits édifiants, réconfortants.

(...) Le philosophe marxiste Ernst Bloch distinguait entre les rêves chimériques, prométhéens qui hantent une société historiquement incapable de les réaliser (les utopies abstraites, visionnaires, comme les objets volants fantasmés à la Renaissance) et les espérances anticipatrices qui inspirent les transformations révolutionnaires dans le présent (les utopies concrètes, telles que le socialisme au XIXe siècle et XXe siècles). Aujourd'hui, nous pouvons aisément observer l'extinction des unes et la métamorphose des autres. D'une part, sous des formes variées allant de la science-fiction à l'écologie, les visions dystopiques d'un avenir cauchemardesque ont remplacé le rêve d'une humanité libérée et confiné l'imaginaire social à l'intérieur de frontières étriquées. D'autre part, les utopies concrètes de l'émancipation collective se sont majoritairement muées en pulsions individuelles alimentant l'inépuisable processus de consommation marchande. Après avoir congédié les "courants chauds" de l'action de masse libératrice, le néolibéralisme a introduit le "courant froid" de la raison économique. Les utopies ont été détruites par leur privatisation dans un monde réifié.  Aujourd'hui... il n'y a plus d'"horizon d'attente" visible. L'utopie semble devenue une catégorie du passé - le futur imaginé dans un temps révolu - car elle a déserté le présent... Il y a vingt-cinq ans, la fin du socialisme réel a paralysé et en quelque sorte interdit l'imagination utopique, en suscitant le succès éphémère d'une vision eschatologique du capitalisme comme "horizon indépassable" des sociétés humaines. Le capitalisme était censé assurer le meilleur des avenirs. Il est devenu, selon la définition donnée par Walter Benjamin, une "religion", la religion de l'argent, la principale croyance séculière de notre époque... Aujourd'hui, cette religion est entrée en crise et ne crée plus l'illusion: confier aux banques le destin de l'humanité ne rassure pas, au contraire, cela effraie. Depuis la crise de 2008, le néo-libéralisme a certes montré son visage hideux, mais il ne s'est pas effondré. Il s'est même radicalisé: aucune utopie libératrice nouvelle n'a encore vu le jour. 

(...) Pendant ces street fighting years (1960-1975) comme les a définies Tariq Ali, qui en fut l'un des protagonistes en Grande-Bretagne, la mémoire n'était pas un objet de culte; elle était plutôt intégrée dans les luttes. En France, le souvenir d'Auschwitz a joué un rôle significatif dans l'engagement anticolonial de nombre d'intellectuels et d'activistes. Pendant la guerre du Vietnam, le procès de Nuremberg fut une sorte de paradigme pour le Tribunal Russel, qui réunit un très grand nombre d'intellectuels à Stockholm, en 1967, pour dénoncer les crimes de guerre américains. Jean-Paul Sartre, Noam Chomsky, Isaac Deutscher, Herbert Marcuse et Peter Weiss inscrivaient leur combat dans le sillage de la lutte antifasciste des années 1930 et 1940. Pour le mouvement contre la guerre, la comparaison entre la violence nazie et celle de l'impérialisme américain fut un lieu commun. La mémoire des crimes nazis ne servait pas à commémorer les victimes du passé mais à combattre les injustices du présent. Lors de la rencontre internationale de Stockholm sous l'égide du Tribunal Russel, Sartre qualifia les opérations antiguérilla de "génocide total"... En Occident comme dans le tiers monde, la mémoire n'était entretenue qu'en rapport à un engagement politique dans le présent. Comme l'a rappelé Michael Rothberg en citant Aimé Césaire, elle devait produire un "choc en retour". En Europe, les luttes anti-impérialistes se sont inscrites dans la continuité des mouvements de résistance contre le nazisme; dans le Sud, ce dernier était perçu comme une forme d'impérialisme radical - c'est ainsi par exemple qu'Aimé Césaire le présente dans Discours sur le colonialisme

Cette vague puissante s'est épuisée dans les années 1980. Son épilogue fut la révolution nicaraguayenne en juillet 1979, qui coïncida avec la découverte traumatique des charniers cambodgiens. En Europe, l'Holocauste a peu à peu occupé le centre de la mémoire collective. L'antifascisme a commencé à être marginalisé dans les commémorations officielles, désormais réservées au souvenir des victimes. La mémoire des luttes a cédé la place aux témoignages et aux commémorations visant à célébrer les droits de l'homme. En France, Mai 68 fut de plus en plus interprété sous l'angle de la "mutation culturelle" comme un carnaval dans lequel, en jouant une comédie révolutionnaire, la jeunesse avait fait basculer la société du gaullisme vers le libéralisme. En Italie et en Allemagne, les années 1970 sont devenues les "années de plomb" au cours desquelles la révolte d'une génération s'est trouvée ramenée au seul terrorisme".

 

Chapitre 1 - La mélancolie des vaincus       

(...) "L'histoire du socialisme  forme une constellation de défaites qui l'ont façonné pendant près de deux siècles. Au lieu de détruire les idées et les aspirations, ces débâcles tragiques et souvent sanglantes les ont consolidées et légitimées. Tomber après s'être battu donne au vaincu un sentiment de dignité et peut même renforcer ses convictions. Les révolutionnaires exilés et bannis ont souvent connu la misère et les privations, la douleur de la perte, mais rarement l'isolement au sein de leur entourage. De Heinrich Heine, Karl Marx et Alexandre Herzen dans le Paris du XIXe siècle aux antifascistes émigrés à New-York au siècle suivant, les exilés furent toujours accueillis par la gauche et le mouvement socialiste qui leur accordèrent une place d'honneur.

La défaire de 1989, cependant, est d'une autre nature: elle ne survint pas après une bataille acharnée et n'engendra aucune fierté; elle mit fin au XXe siècle et, bien au-delà de l'effondrement du socialisme réel, clôtura le cycle de révolution qui s'était ouvert en 1917. Cette défaite fut si lourde que beaucoup préfèrent la fuit plutôt que d'y faire face. Ce qui restait d'un siècle de soulèvements n'était plus qu'une montagne de ruines et l'on ne savait pas comment déblayer les décombres ni où commencer à reconstruire, ni même si l'on en serait capables ou si cela en valait la peine. La mélancolie qui surgit d'une telle défaite historique - elle dura une génération  - était probablement la prémisse nécessaire pour réagir, faire son deuil et préparer un nouveau commencement. La réaction la plus répandue fut d'abord l'évitement, avec une "incapacité à faire son deuil"... le communisme fut refoulé de différentes façons: en changeant de nom ou bien en "oubliant", en se reniant ou en choisissant entre les innombrables exutoires offerts par la réification universelle du capitalisme néolibéral... 

Héritée d'un siècle et résultant d'un cycle historique dans lesquels la révolution prit la forme du communisme, cette mélancolie crépusculaire pourrait se comparer à d'autres qui l'ont précédée et qui, avec elle, composent une inépuisable collection de figures du chagrin.

(...) En 1872, une année après la répression sanglante de la Commune de Paris, un évènement qu'il avait observé depuis sa prison dans le château du Taureau, (Blanqui) écrivit son texte le plus énigmatique, L’Éternité par les astres. Au bout d'une méditation parfois naïve sur la finitude de l'univers malgré son immensité apparente, il décrivait le cosmos et l'histoire comme les résultats d'une répétition perpétuelle, d'un mouvement immuable; c'était la même structure qui emprisonnait les êtres humains dans une sorte d'enfer inéluctable. Après avoir présenté le progrès comme une idée fausse, chimérique, et affirmé sa méfiance à l'égard des êtres humains, il évoquait implicitement la répétition éternelle de la défaite. Ce caractère inaltérable de la nature et de la vie n'avait d'autre effet qu'une reproduction ininterrompue de la barbarie. L'émancipation était illusoire et sa propre vie semblait engloutie dans le naufrage des révolutions dans lesquelles il s'était inlassablement impliqué. Adoptant alors une conception cyclique de l'histoire, Blanqui trouva refuge dans la mélancolie et abandonna tout espoir dans l'avenir. Les derniers mots de son texte sonnent comme l'aveu désespéré d'un échec: "Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l'univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil. Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers. L'univers se répète sans fin et piaffe sur place. L'éternité joue imperturbablement dans l'infini les mêmes représentations".  

Ce texte obscur fascinait Walter Benjamin, qui le lut dans une conjoncture historique tragique, après le pacte germano-soviétique de 1939, le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale et la capitulation de la France, le pays où il vivait en exil. Écrit dix ans avant  Ainsi parlait Zarathoustra le livre de Blanqui lui apparut comme une vision puissante de l'"éternel retour", d'un effondrement fatal tout à fait frappant par ses accents nietzschéens. "Cette résignation sans espoir c'est le dernier mot du grand révolutionnaire", observait Benjamin, en concluant que le leader charismatique des révolutions françaises du XIXe siècle avait finalement renoncé à contester l'ordre établi. Formulé avec "une extrême puissance d'hallucination", son réquisitoire contre la société prenait la forme d'"une soumission sans réserve à ses résultats". La révolte contre la domination avait été vaine."      

 

(...) "Dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, écrit en 1852 juste après le putsch de Napoléon III, Marx soulignait une différence cruciale entre les révolutions bourgeoises et les révolutions prolétariennes. Alors que les premières passaient "rapidement de succès en succès", écrivait-il, les secondes se "soumettent elles-mêmes à une critique permanente, ne cessent d'interrompre leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà avoir été acquis, pour le recommencer une fois de plus, raillent sans complaisance les velléités, faiblesses et misères de leurs premières tentatives". Elles apprennent de leurs propres défaites et cela leur permet de mieux connaître leurs ennemis, de sélectionner leurs alliés, de choisir leurs armes et de définir leurs projets. En même temps, elles ne peuvent être anéanties par ces défaites puisque l'avenir leur appartient: "La révolution sociale ne peut puiser sa poésie dans le temps passé, mais seulement dans l'avenir". Marx n'avait ni ignoré ni banalisé la défaite de juin 1848 qui, dans ses termes, paralysa les travailleurs de Paris et les rendit, "pour les années, impropres à la lutte". Le résultat fut l'impuissance et la passivité - "le processus historique devait de nouveau se poursuivre par-dessus leurs têtes" - mais un tel effondrement ne pouvait être définitif. 

En mai 1871, immédiatement après la répression sanglante de la Commune de Paris, Marx écrivit La Guerre civile en France, un rapport dans lequel cette dialectique de la défaite était encore plus clairement et fortement réaffirmée: "Le sol sur lequel (le socialisme) pousse est la société moderne même. Il ne peut en être extirpé, fût-ce au prix de la plus énorme effusion de sang. (...). Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les en libérer" ("La guerre civile en France"). La Commune de Paris se solda par un massacre. Durant la "semaine sanglante", 35 000 personnes furent exécutées dans les rues de la capitale française. Plus tard, 10 000 combattants furent envoyés au bagne en Nouvelle-Calédonie. Presque un Parisien sur trente fut tué ou déporté. Une campagne visant à criminaliser les travailleurs insurgés suivit la répression. Dans le sillage de Zola et Lombroso, plusieurs écrivains et intellectuels décrivirent la Commune comme une éruption criminelle ou une résurgence atavique de barbarie au milieu de la société civilisée. L'ampleur d'une telle défaite fut accablante mais n'ébranla pas la foi de Marx dans le développement historique du socialisme. Trois décennies plus tard, des partis socialistes de masse existaient dans tous les pays d'Europe".  

(...) "Dans le sillage des communards, Rosa Luxemburg esquissa un bilan similaire à celui de Vallès et Louise Michel dans un article célèbre écrit en janvier 1919, à la fin du soulèvement spartakiste, peu avant de devenir elle-même une martyre et un symbole de la révolution écrasée. Son dernier message - écrit la veille de son assassinat par les Freikorps - célébrait la défaite des ouvriers de Berlin avec des mots qui annonçaient une victoire à venir. Elle était consciente que le soulèvement de janvier était condamné à l'échec: la capitale allemande était isolée et la social-démocratie avait abandonné les travailleurs insurgés (Gustav Noske devint le symbole de leur répression sanglante). Rosa Luxemburg s'était opposée à cette insurrection prématurée, désespérée, mais en reprit la direction lorsqu'elle comprit qu'elle ne pouvait être stoppée. Dans son article, elle rappelait les échecs cuisants de tous les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle - des tisserands de Lyon en 1831 aux chartistes britanniques; des révolutions de 1848 à la Commune de Paris - afin de souligner que le socialisme ressuscitait toujours sur des bases plus fortes et plus larges. La débâcle des spartakistes appartenait à cette longue lignée de défaites  et, comme celles qui l'avaient précédée, elle promettait une renaissance inéluctable. Sa dernière phrase est révélatrice de cette vision consolatoire et pédagogique à la fois: "La route du socialisme - à considérer les luttes révolutionnaires - est pavée de défaites. Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale! Où en serions-nous aujourd'hui sans toutes ces "défaites", où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l'idéalisme qui nous animent? Aujourd'hui que nous sommes tout justes parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d'entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité".

(...)    

 

 

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