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25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 06:32

 

 

 

De la grippe espagnole de 1918-1919 au coronavirus de 2019-2020

En 1918, une des plus grande pandémie de l'histoire de l'humanité, la grippe espagnole, provoque plusieurs dizaines de millions de morts. Un siècle plus tard, ces évenements font étrangement échos à celle du coronavirus.

En 2019-2020, la crise du coronavirus, nouveau virus grippal apparu en Chine, replace sur le devant de la scène l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La grippe, connue depuis l’Antiquité grecque (elle a été décrite par le médecin Hippocrate il y a 2400 ans) est effectivement une maladie très meurtrière. Il y a un siècle, en 1918-1919, l’épidémie de « grippe espagnole » a fait entre 20 et 50 millions de morts dans le monde en deux ans, soit environ quatre à cinq fois plus que le nombre de victimes de la Première Guerre mondiale. C'est la pandémie la plus grave devant la "peste noire" de 1348 (34 millions de morts d'après des estimations). C’est d’ailleurs cette épidémie de grippe espagnole qui a poussé la Société des Nations (SDN) nouvellement créée à instaurer en son sein un Comité d'hygiène, ancêtre de l’OMS.

 

Origine

La grippe dite « espagnole » avait en fait vraisemblablement son origine en Chine, puis elle a muté aux Etats-Unis. Pourquoi alors a-t-elle été appelée « grippe espagnole » ? C’est parce que l’Espagne a été le seul pays à publier librement des informations sur cette épidémie. En effet, l’Espagne, Etat neutre pendant la guerre, n’était pas tenue au secret militaire1.

D’après l’historien Niall Johnson, la grippe espagnole a touché sévèrement l’Inde (18 millions de morts soit 6 % de sa population), la Chine (9 millions) et l’Europe (2,3 millions de morts)2.

Cette maladie a causé une mortalité 10 à 30 fois plus haute que la grippe saisonnière. Elle a été mortelle pour 2 à 5 % des cas. En l’absence d’antibiotiques, la maladie causait souvent la mort au bout de dix jours de symptômes douloureux, sur des individus épuisés et affaiblis3.

Elle a proliféré car les populations n’avaient pas conscience – contrairement à aujourd’hui- des mesures d’hygiène et de précaution élémentaire à prendre : confinement, éloignement distanciel, lavage des mains… A l’époque, la grippe espagnole a été répandue par les paquebots remplis de voyageurs qui traversaient l’Atlantique, et a engendré un foyer épidémique particulièrement vif du côté de Boston et de la Californie. Bientôt, la majorité des grandes villes américaines ont été infectées.

En Europe, le virus a été sans doute apporté par les soldats américains venus en 1917 en renfort pour aider la Triple Entente dans la guerre.

 

Une pandémie mondiale

En 1918, le virus connaît une diffusion exponentielle : en deux semaines, il couvre tout le continent nord-américain. Le mois d’octobre 1918, un mois avant la fin de la guerre, est particulièrement meurtrier, le virus y est très virulent et mortel sur des populations harassées par la guerre. Des personnalités comme le poète Guillaume Apollinaire y succombent. Aux Etats-Unis, c’est la panique, et une infirmière sur quatre meurt du virus.

De l’Europe, le virus se répand jusqu’aux colonies par le biais des paquebots. En novembre 1918, alors qu’on célèbre la fin de la guerre, l’épidémie devient une pandémie mondiale. Elle est présente sur tous les continents. En Afrique et en Asie, la proportion de personnes contaminées oscille entre 30 et 80 %, chiffre énorme, étant donné le faible niveau d’hygiène, la pauvreté et la situation démunie des colonisés. Seule l’Australie parvient à mettre sur pied un système efficace de quarantaine4.

Pourquoi n’a-t-on alors pas beaucoup parlé de cette pandémie dans la presse de l’époque? A cause de la censure de guerre. De fait, la grippe espagnole n’est pas restée très présente dans les mémoires collectives, éclipsée par la mémoire très forte de la Première Guerre mondiale, célébrée ensuite par les cérémonies officielles et par les anciens combattants.

Après une accalmie en décembre 1918, l’épidémie reprend de la vigueur en 1919. Certains pays restent même touchés jusqu’en 1920. Parmi les bizarreries liées aux phénomènes de rumeurs, et des mouvements de panique, le prix du rhum, réputé antidote, flambe.5

Pourquoi cette grippe est-elle apparue à ce moment-là ? Comme le rappelle le Pr Berche, cela s’explique par «de mauvaises conditions sanitaires, des populations affaiblies et de grands rassemblements » liés au contexte de la fin d’une guerre planétaire longue de cinq ans. «On pense que la grippe espagnole est apparue d'abord au Kansas où elle a contaminé de jeunes soldats américains, qui étaient réunis trois mois dans des camps de formation militaire, à raison de 50 000 à 70 000 individus, avant de traverser le pays et de prendre la mer pour l'Europe»6.

Comme l’analyse l’historien des sciences Guillaume Lachenal, au plus fort de l’épidémie, à l’automne 1918, la réponse médicale a été complètement inadaptée : « manque de lits, de médicaments et surtout de personnel, les médecins, infirmiers et infirmières – qui comptent aussi parmi les premières victimes de la maladie – étant massivement mobilisés sur le front. Les autorités militaires agissent à l’aveuglette, laissant des malades en permission diffuser la grippe dans tout le pays, tout en faisant au mieux pour recenser les cas, grâce à une bureaucratie minutieuse et discrète – censure oblige. »7

Il y avait déjà eu une épidémie de grippe en 1889, dite « grippe russe », mais les sociétés n’avaient apparemment pas assez tiré les leçons de ce premier avertissement8.

 

La situation en France

En 1918, les autorités françaises ne prennent pas la mesure à temps de la gravité de la situation : comme l’écrit Frédéric Vagneron, « au milieu de l’été [1918], l’épidémie est considérée comme un problème sinon en voie de règlement, du moins ne prêtant pas à l’inquiétude. L’affirmation de la nature grippale de la maladie sert à rassurer la population, plus encline à l’affolement en cas de maladie infectieuse comme le choléra et le typhus, dont la presse indique la réapparition sur le front oriental au même moment. Dans ce contexte, la gestion des premiers cas de grippe par la Suisse, qui a adopté des mesures énergiques pour contrôler la circulation des personnes, limiter les regroupements, est jugée trop sévère et de nature a inquiéter inutilement les populations »9. Cet historien souligne « l’étrangeté de cette relative ignorance de la grippe par les contemporains ».

La presse française tarde à rendre compte de l’épidémie de grippe espagnole : comme l’observe Françoise Bouron, « dans la presse nationale, les articles sur l’épidémie de grippe sont quasi inexistants jusqu’à la fin du mois de mai » 1918. Puis des articles fantaisistes paraissent, indiquant des remèdes invraisemblables : manger de la farine par exemple. Les journaux colportent de folles rumeurs : « En 1918, la rumeur court que la grippe aurait été envoyée par les Allemands dans les boîtes de conserve, ou qu’elle serait arrivée jusqu’en France par sous-marin, ou encore que les premiers cas auraient été observés à la prison de Sing-Sing aux États-Unis et que de là, elle aurait gagné l’Europe à bord des bateaux qui transportaient les militaires américains »10.

La grippe espagnole a eu des conséquences sur le moral et le comportement des populations, après-coup. Dans les années 1920, la guerre et l’épidémie étant passées, on entre dans les « années folles », les peuples ont besoin de s’amuser  et, pour Svenn-Erik Mamelund, la grippe espagnole pourrait avoir provoqué par contre-coup un véritable « baby-boom » dans les années 1920 dans certains pays, comme la Norvège11.

 

 

La création de l’ancêtre de l’OMS

L’épidémie de grippe espagnole a été un catalyseur pour pousser à la création d’une organisation internationale consacrée à la santé mondiale. En 1907 déjà,  «l'Office international d'Hygiène publique» (OIHP) avait créé à Paris, muni d'un secrétariat permanent et d'un «comité permanent» qui organise plusieurs conférences. Mais en 1918-19, les États-Unis s'opposent à ce que l'OIHP passe sous le contrôle de la Société des Nations (SDN) nouvellement créée, et à laquelle ils n’ont pas adhéré, le Congrès américain se prononçant contre, au nom de l’isolationnisme.

Dans l’entre-deux-guerres, l’OIHP continue son action, adoptant en 1926 une Convention sanitaire internationale contenant pour la première fois des dispositions relatives à la variole et au typhus. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, deux organismes sanitaires internationaux distincts coexistent en Europe, l'OIHP et l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations tandis que, pour le continent américain, c’est l'Organisation sanitaire panaméricaine qui tente de mettre en place une gouvernance continentale de la santé.

Finalement, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale, et la création de l’ONU en 1945, pour qu’une agence spécialisée chargée de la santé, l’OMS, soit créée, et basée à Genève, en 1948. Sa mission est de conduire la population mondiale au « plus haut niveau de santé possible ».

 

De la grippe espagnole de 1918 au CoVid-19 de 2020

En réalité, la médiatisation actuelle des alertes grippales ne doit pas faire oublier que, au quotidien, depuis des années, d’autres maladies sont beaucoup plus meurtrières, surtout pour les peuples des pays du Sud touchés par la pauvreté : le paludisme tue entre un et 3 millions de personnes par an, et le sida, considéré depuis 2002 comme une pandémie globale, tue actuellement près de 800 000 de personnes par an (2 millions par an il y a une douzaine d’années).

Le 11 mars 2020. L’OMS annonce l’alerte pandémique et déplore l’inaction des gouvernements pour combattre ce virus. « Nous sommes très inquiets des niveaux de diffusion et de dangerosité, ainsi que des niveaux alarmants de l’inaction » des Etats, a indiqué déclaré le DG de l’OMS, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus. En effet, en à peine trois mois, près de 120 000 cas de coronavirus se sont déclarés dans 110 pays, tuant plus de 4300 personnes12.

Au premier trimestre 2020, les Etats réagissent distinctement, chacun à leur façon, à cette crise pandémique. L’Union européenne ne réagit pas de manière coordonnée. L’OMS, agence de gouvernance globale de la santé, devrait coordonner au niveau mondial les mesures à prendre et veiller à ce que les populations les plus pauvres ne soient pas laissées pour compte et à ce que les Etats coopèrent entre eux pour vaincre la maladie. Mais en sera-t-elle capable ?

Chloé Maurel est historienne

1Lise Loumé, « Grippe espagnole : le mystère de son origine enfin résolu », Science et avenir, 30 avril 2014.

2Niall Johnson, Britain and the 1918-1919 Influenza Pandemic. A Dark Epilogue, Routledge, 2015.

3Sur ce sujet, cf. Michel Morange, « Expliquer les épidémies : le cas particulier de la grippe espagnole de 1918 », Les secrets du vivant, 2012, p. 125-133.

4Sur ce sujet, cf. Vincent Viet, La Santé en guerre, 1914-1918. Une politique pionnière en univers incertain,

Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015.

5Louise Wessbecher, « 100 ans avant le coronavirus, la grippe espagnole avait aussi ses masques et ses remèdes miracle », Le Huffington Post, (en ligne), actualisé le 20 mars 2020.

6Pauline Fréour, « L’origine du virus de la grippe espagnole de 1918 enfin précisée », Le Figaro, 29 avril 2014, en ligne.

7Guillaume Lachenal, « C’était en 1918… L’épidémie de grippe espagnole », Vie-publique.fr, Parole d’expert, 27 février 2020 (en ligne).

8 Sur ce sujet, cf. Aux frontières de la maladie. L’histoire de la grippe pandémique en France (1889-1919), sous la direction de Patrice Bourdelais, EHESS, Paris, 2015.

9 Frédéric Vagneron, « Quand revient la grippe  Elaboration et circulation des alertes lors des grippes « russe » et « espagnole » en France (1889-1919) », « Parlement[s], Revue d'histoire politique », 2017/1 N° 25 , p. 55 à 78

10Françoise Bouron, « La grippe espagnole dans les journaux français », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2009/1, n°233, p. 83-91.

11 Svenn-Erik Mamelund, « La grippe espagnole de 1918 est-elle responsable du Baby-Boom de 1920 en Norvège ? », revue Population, 2004/2 Vol. 59 , p. 269 à 302.

12« Coronavirus : l’épidémie de covid 19 considérée comme une pandémie par l’OMS », Le Monde et AFP, 11 mars 2020. (en ligne).

Revue Progressistes | 22 Mar 2020 à 15:07 | URL : https://wp.me/p3uI8L-1Xl

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