Le chef de l’État a annoncé hier soir de nouvelles mesures drastiques pour endiguer la propagation exponentielle du virus. Dont le confinement de la population pour quinze jours au moins et le report du second tour des élections municipales.
« Nous sommes en guerre sanitaire, l’ennemi est là, il progresse. » Ton grave et solennel, Emmanuel Macron a dû se rendre à l’évidence. Face à l’envolée du nombre de cas de coronavirus, le chef de l’État a annoncé lundi soir, lors d’une allocution télévisée, des « décisions exceptionnelles en temps de paix » pour lutter contre l’épidémie. En l’espèce, le confinement durant quinze jours en métropole et outre-mer de tous les Français, appelés à rester chez eux et à réduire le plus possible leurs déplacements et leurs contacts avec d’autres personnes. De fait, le second tour des élections municipales, prévu dimanche prochain, est reporté à une date ultérieure (lire p. 10), vraisemblablement le 21 juin. Le premier tour est donc validé. « 30 000 des 35 000 communes ont aujourd’hui un conseil municipal », s’est félicité le président de la République. Sur le volet politique, Emmanuel Macron a aussi annoncé « suspendre toutes les réformes en cours », dont « celle des retraites », et vouloir passer une loi pour habiliter le gouvernement à légiférer « par ordonnances » pour tout ce qui concerne la gestion de crise.
L’Élysée a également annoncé une fermeture conjointe des frontières externes de l’Union européenne et de l’espace Schengen, et une suspension des vols hors UE dès aujourd’hui et pour trente jours. Jouant à fond la carte du bon père de la Nation, le chef de l’État multiplié les conseils, plus que les contraintes, exhortant les Français à « ne se rendre à l’hôpital qu’en cas de forte fièvre ou de difficultés respiratoires », pour ne pas engorger les services médicaux. Mais aussi à réduire les trajets au strict nécessaire – pour acheter des produits alimentaires, se soigner ou travailler, quand le télétravail n’est pas possible.
Les images de promeneurs déambulant dimanche sous un soleil radieux, s’entassant sur les marches du Sacré-Cœur ou les quais de Seine, au mépris des « mesures barrières » et des recommandations de confinement, ont provoqué, semble-t-il, un électrochoc. « Non seulement vous ne vous protégez pas vous, mais vous ne protégez pas les autres », a tancé à leur adresse Emmanuel Macron, tout en se refusant à instaurer des mesures réellement coercitives – la rumeur d’un confinement de 45 jours avec couvre-feu avait notamment été évoqué.
« De 300 000 à 500 000 morts »
La vitesse de propagation du virus donne désormais des sueurs froides jusqu’au plus haut sommet de l’État. Lundi, le dernier bilan publié par Santé publique France faisait état de 6 633 cas de Covid-19 en France, et 148 décès liés à la maladie. Des chiffres sous-estimés, assurent les médecins, tous les patients n’étant pas testés. La situation « se détériore très vite », constate le directeur général de la santé, Jérôme Salomon. Le nombre de cas double tous les trois jours. Et des centaines de malades sont en réanimation avec un pronostic vital engagé. Pas forcément des personnes âgées affaiblies. « De nombreux patients ont moins de 65 ans, souligne Jérôme Salomon. On peut se retrouver en situation très grave tout en étant un adulte en bonne santé. » Le pire resterait à venir. Les différentes simulations des scientifiques qui conseillent l’Élysée, et dont nos confrères du Monde se sont fait l’écho, font froid dans le dos. Sans mesures radicales de prévention et d’éloignement social, le Covid-19 pourrait provoquer, dans le pire des scénarios, « jusqu’à 300 000 à 500 000 morts » en France, avec près de la moitié de la population hexagonale infectée.
Face à cette situation, l’armée aura à charge de « déplacer les malades les plus infectés ». La mesure ne répond que partiellement à la demande des soignants. Eux qui, à l’image de l’Italie, redoutent une saturation rapide des hôpitaux. « On voit la vague arriver », alerte d’ailleurs le Pr Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital parisien Georges-Pompidou. À ses yeux, il faut un vrai confinement pour étaler l’épidémie dans le temps et éviter un pic brutal, comme a su le faire la Corée du Sud.
Des risques pour les intérimaires
En attendant, ce contexte historique va bouleverser la vie des Français. Notamment au travail, où c’est la grande inconnue. « C’est une situation totalement inédite qu’aucun texte réglementaire n’encadre », expliquait Marie-Laure Dufresne-Castets. Pour l’avocate en droit du travail, c’est l’ampleur du nombre de salariés potentiellement confinés qui constitue le fait nouveau : « Il existe en droit, la notion du cas de force majeure. Mais l’application d’une telle mesure à l’échelle d’un pays entier est peu probable. » Droit de retrait, indemnisations pour les salariés contraints de rester chez eux, chômage partiel, télétravail… Les mesures existent, au cas par cas, pour favoriser le maintien à domicile. Mais l’avocate redoutait surtout les conséquences pour les petites entreprises de l’industrie « qui ne bénéficieront pas forcément des mesures d’indemnisations annoncées. »
Emmanuel Macron a, à ce titre, multiplié les annonces pour montrer le volontarisme de l’État en matière économique, en rupture complète avec l’esprit du quinquennat. La puissance publique se portera ainsi garante des prêts contractés « à hauteur de 300 milliards d’euros ». « Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite » et « les plus petites entreprises qui font face à des difficultés n’auront rien à rembourser, ni les impôts, ni les cotisations sociales ; les factures de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus », a également promis le chef de l’exécutif. Des annonces fortes, mais qui réclament d’être précisées.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui avait tardé à prendre la mesure du danger, évoque désormais une « crise sanitaire mondiale majeure ». En conséquence, elle a appelé, lundi, à effectuer « un test pour chaque cas suspect » de coronavirus. « Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés », a justifié le chef de l’institution, Tedros Adhanom Ghebreyesus, estimant indispensable que les pays « testent, testent, testent ». Pas vraiment la stratégie choisie par la France, qui n’applique, faute de tests disponibles, le dépistage qu’aux personnes lourdement touchées. « Au cours de la semaine écoulée, nous avons assisté à une augmentation rapide des cas de virus Covid-19 », a aussi indiqué le chef de l’OMS, sans donner de chiffre précis. Selon l’AFP, plus de 169 710 cas ont été enregistrés dans 142 pays et le nombre de morts était lundi d’au moins 6 640.
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