Hier soir, un Premier ministre à la fois nerveux et ennuyeux tentait de vendre aux téléspectateurs de France 2 une retraite par points délestée provisoirement de son âge pivot à 64 ans. Ce matin, les éditorialistes commentent majoritairement ce retrait pour ce qu’il est : une manœuvre politicienne pour tenter de briser la grève qui dure depuis plus de 40 jours.
Sur les 19 éditoriaux dont l’Agence France Presse publie des extraits ce lundi matin, 13 sont consacrés à la réforme des retraites et à la dernière manœuvre de Matignon, via le retrait provisoire de l’âge pivot de 64 ans pour percevoir une retraite sans décote. Dans Midi Libre, Olivier Biscaye écrit à ce propos : « En quelques semaines, Edouard Philippe se sera distingué. Le Premier ministre a contribué avec un certain talent à épaissir le brouillard sur les retraites (…) Il n‘est pas d’avantage certain que son intervention dimanche soir au JT de France 2 ait aidé à y voir plus clair. A ce rythme, on va finir par se demander si c’est une réforme utile que le chef du gouvernement entendait faire».
Dans La Montagne, Florence Chedotal ironise en ces termes : «Trouvez-moi comment équilibrer le système des retraites sans augmenter le coût du travail ni baisser les pensions. Vous avez trois mois pour rendre votre copie ! Faute de quoi, l’âge pivot, sorti par la porte et gardé bien au chaud, pourrait revenir par la fenêtre». Elle ajoute que « l’expérience fâcheuse de l’assurance chômage devrait toutefois motiver les partenaires sociaux, même si les marges de manœuvre ne sont pas folles ». Pascal Coquis, formule la même opinion avec d’autres mots quand il écrit dans les Dernières Nouvelles d’Alsace: «Il y a ce proverbe chinois, usé jusqu’à la corde, qui dit que quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. C’est un peu la même chose pour la réforme des retraites et l’âge pivot… » . Pascal Coquis ajoute qu’en retirant l’âge pivot aujourd’hui le Premier ministre « range simplement dans sa poche le chiffon rouge qu’il agitait devant les syndicats « réformistes ». Mais au fond, il ne lâche rien .Sauf sur quelques éléments de langage ».
Montrer à l’électorat de droite qu’on tient bon
Car nous dit Bertrand Meinnel dans le Courrier Picard, « trouver une issue semble devenu la seule chose encore importante. Il importe de marquer des points dans l’opinion. C’est l’objectif du courrier d’Edouard Philippe, proposant une avancée partielle et provisoire; et qui ne règle rien sur le fond d’une réforme peu convaincante et mal préparée». Dans le Républicain Lorrain, Pierre Fréhel constate qu’il y a « un tel relent « d’en même temps » dans le petit cadeau offert à la CFDT que l’on aurait plutôt tendance à y voir une façon pour le boxeur Edouard Philippe de sortir d’un mauvais pas ». C’est aussi l’avis de Bruno Dive quand il écrit dans Sud-Ouest : « Pour le Premier ministre, il s’agissait de montrer à l’électorat de droite qu’il tenait bon sur l’équilibre financier et les mesures d’âge; pour le secrétaire général de la CFDT, il fallait donner des gages à une base parfois plus radicale que lui (notamment à la SNCF) et tenir les deux bouts de la chaîne, entre contestation et cogestion ».
La pression syndicale ne sera pas de trop
Dans le journal l’Opinion, très marqué à droite, Nicolas Beytout met en exergue les objectifs politiques d’Emmanuel Macron et les intérêts économiques du patronat en ces termes : « Le Président peut cocher la case « retraite à points» , le Premier ministre tient le principe de sa mesure d’équilibre des comptes, la CFDT a réussi à faire plier l’exécutif et à faire disparaître toute référence directe à un « âge pivot » et le MEDEF a obtenu l’engagement d’Edouard Philippe qu’il n’y aura pas d’augmentation des charges sociales des employeurs ». Un point de vue assez voisin est formulé par Les Echos, le journal que la famille Beytout a vendu au milliardaire Bernard Arnault voilà une douzaine d’années. Cécile Cordunet y relève que « dans la bataille pour l’opinion de droite, l’exécutif veut montrer qu’il n’a renoncé qu’à un mot -« âge pivot »-, pas à l’essentiel. Depuis ses vœux, le chef de l’Etat anticipe aussi ce moment et martèle qu’il continuera les réformes(…) Si Emmanuel Macron ne doit pas se couper de sa gauche pour un futur second tour présidentiel, c’est à droite qu’il a le plus à perdre, puisque c’est là que se trouvent ses soutiens. Un socle peut muter une fois, il l’a prouvé, sans doute pas deux ».
Le « socle » qui a soutenu Macron tout en se réclamant de la gauche apprend à ses dépens pour qui gouverne l’actuel président. C’est peut-être en raison de ce constat que l’on peut lire ces phrases sous la plume de Laurent Joffrin dans Libération : « Il reste beaucoup à faire pour préserver les intérêts des futures retraités, corriger les injustices potentielles, sans pour autant négliger l’équilibre du système à long terme pour lequel le MEDEF devra faire les concessions nécessaires. La pression syndicale ne sera pas de trop pour aboutir in fine à une réforme qui, pour une fois, ne soit pas une régression mais un progrès».
Ce qui implique de continuer le combat !
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