Le recteur de l’académie de Rennes voulait interdire aux élèves sans papiers d’effectuer des stages et même d’être scolarisés. La mobilisation l’a fait reculer. Jusqu’à quand ?
Mercredi dernier, la CGT Éduc’action de l’académie de Bretagne lançait l’alerte. Les syndicalistes venaient de tomber sur un courrier effarant adressé par le recteur de Rennes aux proviseurs des lycées professionnels, généraux et technologiques de la région. Il leur demandait ni plus ni moins d’interdire l’accès des ateliers et stages en entreprise aux « migrants mineurs en situation irrégulière ». Dans cette lettre datée du 17 janvier, Emmanuel Ethis les enjoignait de vérifier la régularité de leur séjour avant leur inscription scolaire. De quoi provoquer une levée de boucliers de la part des professionnels de l’éducation, peu satisfaits de se voir ainsi transformés en auxiliaires de police, qui ont aussi tôt fait circuler cette lettre sur les réseaux sociaux et écrit au ministre de l’Éducation. Des associations de défense des droits de l’homme n’ont pas manqué de rappeler la loi au recteur.
« Un droit inaliénable »
De fait, un mineur ne peut pas être en situation irrégulière, puisque l’État français n’oblige pas (encore) un enfant à être titulaire d’un titre de séjour ! « C’est tellement énorme qu’au départ j’ai cru à une mauvaise blague », témoigne une enseignante. « Alors que l’on célébrait en novembre dernier le trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, il ne semble en outre pas inutile de rappeler que l’éducation reste un droit inaliénable », souligne un de ses collègues. De plus, une circulaire (n° 2002-63) du 20 mars 2002 précise que « quelle que soit leur situation administrative, les élèves doivent effectuer les stages et les périodes de formation prévues dans leur enseignement. (…) Un élève en situation de stage en milieu professionnel reste sous la responsabilité de l’établissement scolaire. Il ne peut faire l’objet d’aucune injonction du Code du travail quant à la régularité du séjour ».
Autant d’arguments qui ont provoqué le recul du recteur. Le 24 janvier, dans un second courrier adressé aux mêmes destinataires, il leur demandait de « surseoir aux mesures préconisées » dans sa précédente missive, précisant que celle-ci n’avait pas vocation à « remettre en cause la scolarisation de nombreux jeunes lycéens allophones de notre région ».
Une réponse sibylline
Dont acte ? Pas si sûr. Certes, les jeunes vont pouvoir continuer à s’inscrire dans les lycées et à y étudier, mais quid de leurs stages en entreprise ? Sans stage, impossible de valider une formation professionnelle et de commencer à gagner sa vie rapidement, un impératif pour nombre de jeunes étrangers isolés… Le contre-ordre du recteur rassure d’autant moins au regard de ses dernières lignes : « Mes services reviendront vers vous dès qu’une position aura été déterminée en concertation avec les services de l’État. » Derrière cette phrase, les militants redoutent l’annonce prochaine de mesures ciblant les élèves étrangers non reconnus comme mineurs par les services départementaux et limitant leur accès aux stages. « Le service juridique de l’inspection académique planche sur le sujet », avance la CGT Éduc’action.
Pour en avoir le cœur net, David Torondel, membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH), a interpellé directement Emmanuel Ethis sur Facebook pour lui faire part de son trouble et l’interroger sur différents points de son courrier. En dernier ressort il lui demande : « Pouvez-vous nous confirmer que la circulaire 2002-063 ne sera pas remise en question, et que les jeunes lycéens étrangers, même s’ils sont en situation irrégulière, pourront effectuer les stages et période de formation en milieu professionnel ? » La réponse du recteur est sibylline : « Bien sûr, c’est exactement ce qu’il me semble important de partager. » Rien d’explicite ni d’officiel mais les syndicats et les défenseurs des droits humains semblent rassurés. Pour l’instant.
Instructions illégales du Recteur de Rennes :
Annuler ou « surseoir » ?
Dans un courrier daté du 17 janvier 2020, Emmanuel ETHIS, Recteur de l’académie de Rennes, a donné des instructions hallucinantes aux proviseur·es des lycées généraux, technologiques et professionnels, ainsi qu’aux DASEN des départements, concernant ce qu’il appelle « les élèves migrants mineurs en situation irrégulière sur le territoire ». Rappelons qu’un·e mineur·e n’est pas en situation irrégulière, c’est à partir de18 ans qu’on est tenu de régulariser sa situation au regard du séjour. Le Recteur exige l’interdiction des périodes de formation en entreprise et de l’accès aux ateliers de l’établissement ! Pire : il juge « nécessaire » désormais de vérifier les titres de séjour dès l’inscription pour mettre en œuvre ces interdictions.
En plus d’être une insulte aux missions du service public de l’éducation, ces instructions ne sont pas « nécessaires », mais carrément illégales. C’est contraire à la Convention internationale des droits de l’Enfant qui protège le droit à l’éducation sans distinction aucune (art. 2 et 28). C’est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 2 du protocole additionnel). C’est contraire au préambule de la Constitution. La circulaire 2002-063 du 20-3-2002, que le Recteur ne peut ignorer, est sans ambiguïté. Elle rappelle « qu'en l'absence de toute compétence conférée par le législateur, il n'appartient pas au ministère de l'éducation nationale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents au regard des règles régissant leur entrée et leur séjour en France. » Elle affirme que, sous statut scolaire, les élèves de nationalité étrangère, quelle que soit leur situation administrative au regard du séjour, doivent effectuer les stages et les périodes de formation prévus dans les programmes.
Par un nouveau courrier daté du 24 janvier 2020, devant le tollé, le Recteur de Rennes a demandé aux proviseur·es et aux DASEN de « surseoir aux mesures préconisées ». C’est un premier recul, mais il est insuffisant. Les instructions discriminatoires et illégales à l’encontre des élèves de nationalité étrangère ne méritent aucun sursis. Si elles ne sont pas annulées sans délai, une question se pose inévitablement : s’agit-il d’un ballon d’essai ? On peut le craindre d’un ministère de l’éducation nationale qui a été rappelé à l’ordre par un arrêt de la Cour Administrative d’Appel (CAA), qu’il avait lui-même saisie : le droit à l’instruction « trouve à s’exercer même dans le cas où l’enfant, âgé de plus de seize ans, n’est plus soumis à l’instruction obligatoire » (CAA décision n° 18PA02209 du 14 mai 2019). Le droit à l’éducation ne se limite pas à la scolarité obligatoire, même pour les élèves de nationalité étrangère. Et les personnels de l’éducation ne joueront pas les supplétifs du ministère de l’intérieur.
Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC-CGT - Patrick Désiré, secrétaire général de la CGT-Educ’action