Nous sommes des étudiants, chercheurs, universitaires et affiliés résidant en France. Nous condamnons fermement la série de mesures initiées par l’État indien permettant la formation d’une citoyenneté de seconde classe en Inde. Nous condamnons également les actions d’une violence disproportionnée entreprises en utilisant la machine étatique - à la fois légale et extra-légale - pour étouffer les voix dissidentes. La loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendement Act ou CAA) de 2019, adoptée par le Parlement indien le 11 décembre 2019, est fondamentalement discriminatoire. Pour la première fois dans l’histoire de l’Inde indépendante, elle recourt à la classification des citoyens sur la base de la religion. Cette loi viole l’article 14 de la Constitution indienne qui appelle explicitement à une protection égale de toutes les personnes en vertu de la loi, et elle est également contraire à l’esprit de laïcité de l’Inde tel que consacré dans le Préambule de la Constitution indienne.
Nous sommes également conscients qu’en conjonction avec le Registre national des citoyens (National Register of Citizens ou NRC), et la création en cours du Registre national de la population (National Population Register ou NPR), le CAA établira le cadre juridique permettant de refuser l’accès ou de prolonger le processus d’obtention de la citoyenneté indienne aux personnes n’appartenant pas à six communautés religieuses spécifiques, qui serait notamment discriminatoire envers des musulmans. Cette privation potentielle du droit de vote des musulmans indiens et des citoyens indiens n’appartenant pas aux six communautés religieuses est déplorable, et nous sommes fermement opposés à l’idée de qualifier certains citoyens de citoyens de seconde classe, quel que soit le critère retenu pour ce faire.
La ratification de la CAA et l’introduction du NRC surviennent dans un contexte d’escalade de violence contre les minorités, de montée alarmante de la propagande islamophobe et de suppression de toute forme de dissidence. Le fait que le gouvernement actuel ait formulé ces mesures comme une mesure de protection des minorités n’est qu’un écran de fumée, et nous appelons les concitoyens de l’Inde à le reconnaître comme tel.
Le gouvernement indien utilise son mandat démocratique, au nom de ses citoyens, pour étouffer la dissidence, réprimer avec force les protestations pacifiques et restreindre les services de base dans différentes régions de l’Inde en faisant appel à la police, aux forces paramilitaires et aux forces armées. Actuellement, la région de la vallée du Cachemire, dans l’ancien État de Jammu-et-Cachemire, certaines parties de l’Uttar Pradesh, de l’Assam, de Meghalaya, du Bengale occidental, de New Delhi etdu Tripura - dont certaines sont à majorité musulmane - se voient imposer un blocus de l’Internet et un couvre-feu, avec des restrictions supplémentaires à la liberté de mouvement, à la liberté d’expression, aux télécommunications et au droit de manifester pacifiquement.
Ces mesures extrêmement répréhensibles, adoptées par le Gouvernement indien, soulèvent de graves questions quant à son intention de sauvegarder les droits fondamentaux de tous les citoyens indiens et, plus généralement, de faire respecter les principes de la démocratie tels que définis dans la Constitution indienne. Nous nous joignons à nos concitoyens pour protester contre les politiques et les mesures adoptées par le gouvernement indien qui violent les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice.
La discrimination envers des groupes minoritaires, la menace qui pèse sur le respect des principes de la Constitution indienne, les graves empiétements sur l’autonomie des États dans la structure fédérale de l’exécutif indien et les actions violentes du gouvernement contre ses citoyens ont affligé notre conscience collective. À cet égard, nous condamnons, dans les termes les plus fermes, l’action extrême entreprise par la police en pénétrant de force sur les campus universitaires et en attaquant brutalement les étudiants qui protestent contre la Loi sur l’amendement de la citoyenneté à l’Université Jamia Millia Islamia, à Aligarh Muslim University, à Cotton University, au B. Borooah College et Handique Girls College (Guwahati), et ailleurs en Inde.
Une telle brutalité a pour motif de réprimer toute forme de dissidence, pacifique ou autre. En tant qu’étudiants et universitaires nous-mêmes, nous pensons qu’il est essentiel que les espaces universitaires ne soient pas convertis en arènes violentes de conflit par l’état indien, et de favoriser la pratique démocratique qui consiste à tolérer la dissidence contre les politiques de l’état.
Nous sommes solidaires avec citoyens de l’Inde qui continuent à combattre courageusement l’adoption de cet acte discriminatoire par la dissidence et une forte opposition, et qui luttent contre les pratiques discriminatoires de l’exécutif et du législatif indiens pour faire en sorte que l’idée de l’Inde, telle qu’elle nous est donnée par la Constitution, ne soit ni diluée ni déformée. En conclusion, nous demandons l’abrogation de la CAA, une enquête sur la mauvaise conduite de la police à l’égard des manifestants, la levée du couvre-feu et la reprise des services Internet et de communication dans tout le pays.