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5 novembre 2019 2 05 /11 /novembre /2019 05:57

Spécialiste du monde arabe, le journaliste et directeur de la revue en ligne Orient XXI, Alain Gresh voit dans les soulèvements populaires en cours l’expression du rejet des politiques néolibérales contestées partout dans le monde. Entretien.

 

Quels sont les traits communs des soulèvements populaires en cours en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ?

Alain Gresh : On retrouve dans cette nouvelle vague les mêmes caractéristiques que celles des soulèvements populaires de 2010-2011. Il y a, d’abord, le rejet de pouvoirs autoritaires, avec des États surplombant les citoyens, où les gouvernements n’ont aucun compte à rendre. Dans ces régimes, la répression est un mode de gestion. Sur le terrain politique, mais aussi dans la vie sociale : la répression policière contre les jeunes, dans leurs activités quotidiennes, est permanente. La jeunesse exprime le refus de cet autoritarisme. Le second facteur, déjà sensible en 2010-2011, très fort aujourd’hui, tient aux questions économiques et sociales. Le Moyen-Orient est la région la plus inégalitaire du monde. Ce n’est pas seulement une question de pauvreté. Dans toutes les capitales arabes, l’argent s’affiche de façon éhontée, tandis que la masse de la population vit dans des conditions de plus en plus difficiles. Autre trait commun : le rôle de la jeunesse. Dans cette région, l’une des plus jeunes du monde, les moins de 30 ans sont majoritaires. Cette jeunesse se tient aujourd’hui partout à l’avant-garde des mouvements populaires en cours.

 

Les exigences sociales à l’origine des révoltes de 2010-2011 avaient été « recouvertes », assez vite, par les revendications démocratiques. Elles s’affirment désormais plus nettement. Est-ce lié à la crise globale du néolibéralisme qui nourrit partout dans le monde des insurrections ?

Alain Gresh : Oui, c’était d’ailleurs déjà le cas avec le mouvement des Indignés, Occupy Wall Street, etc. Mais, dans le monde arabe, il y a eu plusieurs phases. Après l’expression de revendications démocratiques, le clivage entre islam et laïcité, islam et modernité a suscité des blocages. Ce fut le cas en Tunisie et en Égypte où, entre 2011 et 2013, les débats se sont focalisés sur la Constitution, la charia (loi islamique – NDLR), la place de l’islam. Ces discussions ont occulté les questions économiques et sociales. En fait, des deux côtés de la barrière, les forces en présence partageaient les mêmes positions : elles n’étaient pas hostiles aux politiques néolibérales. C’était très clair en Tunisie. Après 2013, malgré les divergences et la mise en scène d’un affrontement majeur entre deux camps, Ennahdha et Nidaa Tounes, ont en fait géré le pays de façon consensuelle, parce que ces partis n’avaient pas de désaccord fondamental sur les questions économiques et sociales. Or, en quelques années, la situation s’est sérieusement détériorée ; le rejet des politiques néolibérales se manifeste partout ; ces régimes se montrent incapables de répondre aux aspirations de la jeunesse. Par-delà la singularité de chaque pays s’exprime, enfin, un rejet net des divisions confessionnelles ou ethniques. Ces peuples refusent de se laisser manipuler encore : ils aspirent à s’unir autour de demandes économiques, sociales, démocratiques.

 

La guerre en Syrie, le chaos libyen avaient entraîné une sorte de « glaciation », les régimes de la région jouant du chantage à la déstabilisation. Les mobilisations actuelles sont pacifiques, ces peuples en mouvement affichent un rejet catégorique des ­ingérences étrangères…

Alain Gresh : Dans la séquence précédente aussi, les mobilisations étaient, au départ, pacifiques. C’est souvent la violence de la répression qui a encouragé le basculement vers la guerre civile. La violence armée a été le choix des pouvoirs plutôt que celui des oppositions. Mais cette expérience a ancré la conscience que le choix de la violence serait, pour ces mouvements populaires, très ­périlleux. D’où l’attachement au caractère pacifique de ces soulèvements, même lorsque s’abat sur les protestataires une répression meurtrière, comme ce fut le cas au Soudan. En fait, dans cette région, le vrai danger, c’est le statu quo. En appuyant les régimes en place au nom de la stabilité, les pays occidentaux font un très mauvais calcul : c’est le refus des réformes qui peut, demain, semer le chaos et nourrir la violence.

 

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