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10 septembre 2019 2 10 /09 /septembre /2019 19:43

 

Il faut partir de l’égalité


Paul Ariès  Politologue et auteur

 

Le débat qui secoue en France les insoumis et en Espagne Podemos dépasse la situation de ces deux mouvements, car il interroge le rapport des gauches et de l’écologie aux milieux populaires. Rien ne serait plus faux que de croire que le populisme à la Chantal Mouffe, qui fonde les stratégies d’une partie des forces alternatives depuis quelques années, serait la continuation du vieux populisme, celui de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, notamment en Russie et aux États-Unis. Ce populisme historique était, avant tout, fondé sur la conviction que les milieux populaires seraient porteurs d’une réelle autochtonie, que les modes de vie précapitalistes, préindustriels, donc aussi les valeurs partagées, constituaient un déjà-là indispensable pour construire une autre civilisation. Le populisme d’aujourd’hui, à la Chantal Mouffe, rompt totalement avec ces vieux courants, dans la mesure où il se définit comme une méthode pour « construire un peuple » et accéder au pouvoir.
Ce populisme négatif prend ses racines dans l’Argentine péroniste lorsque Esnesto Laclau, qui s’éloigne alors du marxisme, théorise la rencontre du peuple et d’un chef au moyen d’une idéologie molle. Cette position est toujours celle de sa compagne, Chantal Mouffe, et de ses nombreux épigones, c’est pourquoi la politologue belge écrit que « le populisme est une manière de construire le politique et n’est pas associé à des contenus idéologiques spécifiques ou à des pratiques de groupes spécifiques », avant d’ajouter : « Quand je parle de populisme de gauche, c’est évidemment en me référant à une forme de la politique conçue comme une guerre de positions et comme construction d’une volonté politique à partir de chaînes d’équivalences et de mobilisations des passions. » Tout (ou presque) est dit dans ces quelques mots : ce nouveau populisme n’est en rien une adhésion à des cultures populaires, à des modes de vie, nécessairement multiples et contradictoires, mais porteuses d’une altérité positive possible. Marx rappelait déjà qu’une classe sociale existe en soi avant d’exister pour soi (consciente d’elle-même). Celles et ceux qui expliquent, aujourd’hui, avec Clémentine Autain (députée FI) et Elsa Faucillon (députée PCF), l’échec historique de la France insoumise par le choix du ressentiment et de la haine, celles et ceux, également, qui, avec Charlotte Girard (ancienne responsable du programme de la FI), considèrent que cette défaite s’expliquerait, au contraire, par le fait que la France insoumise n’aurait pas été assez loin dans son « dégagisme » et aurait abandonné cette stratégie en rase campagne ne pourront pas faire l’économie d’une réflexion sur tout ce qui distingue ces deux populismes.
Cette question est essentielle non seulement pour construire une stratégie politique mais pour comprendre ce qui se jouait (au moins en partie) dans le mouvement des gilets jaunes et au-delà. Cette bataille n’est pas gagnée d’avance car nous avons trop accepté une définition purement négative des milieux populaires, une définition toujours en termes de manque, en économie, le manque de pouvoir d’achat, en culture, le manque d’éducation, en politique, le manque de participation, etc. Tout cela est en partie vrai mais masque l’essentiel, à savoir que les milieux populaires ne sont pas des riches auxquels ne manquerait que l’argent ! Ce n’est pas parce que nous sommes démunis que nous n’achetons pas de montre de luxe, contrairement à ce que pense Séguéla, mais parce que nous entretenons d’autres rapports au travail, à la consommation, à l’argent, au temps, à l’espace, à la nature, aux loisirs, à la maladie, au vieillissement, à la mort, donc à la vie.
Ce populisme positif n’est pas mort mais il faut en finir avec une vision désenchantée et revisiter l’école de Francfort (Horkheimer, Adorno, Fromm, Benjamin), les situationnistes (Debord, Vaneigem), mais aussi Lefebvre, Clouscard et, bien sûr, Castoriadis… Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons rompre avec la logique du ressentiment et de la haine et être fidèles à l’appel d’Arthur Rimbaud invitant au XIXe siècle à redevenir des voyants, car existe la même urgence à rendre visible l’invisible, c’est-à-dire pas seulement les gens de peu individuellement mais leur mode de vie. Parler de cultures populaires ne suppose en rien de céder à un quelconque angélisme ou essentialisme, les gens de peu peuvent se conduire comme des salauds mais ils constituent néanmoins des réservoirs d’autres modes de vie, comme le pensaient déjà Paul Lafargue, Ivan Illich, André Gorz… On doit à Jacques Rancière d’avoir initié la réflexion sur l’importance de l’autodéfinition dans le passage de la classe en soi à la classe pour soi. Il montre que qui part de l’inégalité est certain de la retrouver à l’arrivée, c’est pourquoi il faut partir de l’égalité, de ce minimum d’égalité déjà existant et travailler à l’élargir indéfiniment.
Traduction : l’agenda des gauches ne doit pas tant être 2022 que 2020, il s’agit d’inventer un écosocialisme (écommunisme) municipal capable de regagner le peuple qui s’abstient, plutôt que de croire pouvoir mener un blitzkrieg électoral en direction des électeurs du RN. Pour construire une majorité, réaliser des alliances, notre dissensus est dans cet acte positif et non pas dans une addition de révoltes.

Quel Projet pour refonder la gauche? Populisme de gauche ou ... partir de l'égalité - par Paul Ariès (L'Humanité, 10 septembre 2019)
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