Après avoir démontré les effets ravageurs du libéralisme, Philippe Squarzoni s’est attaqué, dans Saison brune, au réchauffement climatique. Une enquête fouillée, publiée en 2012, qui détaille de façon aussi exhaustive que didactique les mécanismes. Et toujours d’actualité. Entretien.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de Saison brune ?
PHILIPPE SQUARZONI Je finalisais Dol, consacré au bilan des politiques libérales du second mandat de Jacques Chirac, mais il me restait un passage à traiter, celui de l’écologie. Je voulais faire le tour de l’action, surtout de l’inaction politique sur cette question climatique. Je me suis aperçu que je ne connaissais pas grand-chose. C’est là que j’ai découvert l’ampleur du phénomène. Je le soupçonnais sans le connaître vraiment…
Le réchauffement, c’est quelque chose qui vous parlait ?
PHILIPPE SQUARZONI J’étais militant au sein d’Attac, mais pourtant, même en son sein, le sujet a émergé tardivement. Je sentais que c’était un gouffre, car se posait une série de questions d’ampleur : en termes de conséquences sur la société, de remise en question du modèle énergétique, de façon de penser… Mais je n’avais pas anticipé à quel point. On en a discuté avec mon éditeur, qui a accepté de me laisser travailler sur un album pas entièrement maîtrisé, sans date de sortie. Le livre est en quelque sorte devenu un prétexte pour m’informer : j’ai commencé à me renseigner, à lire de nombreux ouvrages. Un questionnement en amenait un autre. J’ai passé dix mois à faire des lectures. Au final, le plan du livre est assez simple : qu’est-ce que le changement climatique ? Quelles en sont les conséquences ? Quelles sont les réponses des gouvernements ? Comment faire pour préserver le climat et les valeurs de justice sociale ? En gros, c’est le plan du rapport du Giec, avec une dimension politique que cet organisme intergouvernemental ne peut pas se permettre.
Pourquoi avoir opté pour ce choix narratif, centré sur votre propre histoire ?
PHILIPPE SQUARZONI Comme je le décris dans le livre, je pars de ma propre prise de conscience comme procédé narratif. J’apprenais des choses au fil de mes lectures et de mes rencontres. Cela me permettait de faire part de mes questionnements et, en même temps, de mon désarroi. Et le mot est faible. Au fur et à mesure que j’emmagasinais des connaissances, j’en perdais le sommeil. Sans tomber dans le catastrophisme, c’est assez terrifiant de constater que nos modèles de production ont mis à mal la société. Me mettre en scène permettait aussi de me mettre au même niveau que le lecteur, de ne pas être dans la position du donneur de leçons.
L’ouvrage fait 480 pages. N’aviez-vous pas peur de faire un livre « indigeste » ?
PHILIPPE SQUARZONI Je voulais dire les choses de manière intéressante. J’ai avancé en gardant tout ce qui m’intéressait, du coup, je me suis retrouvé avec une montagne d’informations. Bien que le propos soit compliqué, j’ai essayé de garder ce qui était le plus compréhensible. Et j’ai utilisé tous les outils narratifs de la BD (métaphore graphique, dialogue, anecdote, etc.), ce qui permet de lire Saison brune sans avoir besoin de connaissances scientifiques précises. Parfois, dans certains livres, on a l’impression de passer à côté de choses. Là, je pense avoir réussi mon pari. Je me suis planté deux fois, j’ai fait des interviews trop techniques et me suis rendu compte que je ne pourrais jamais les retranscrire. Je n’ai pas eu de difficulté, pas rencontré de lassitude, ce qui n’était pas gagné, en effet, avec 480 pages et ce type de dessins…
Sept ans après, le sujet est toujours autant d’actualité, voire plus encore, n’est-ce pas ?
PHILIPPE SQUARZONI Les étés sont peut-être un peu plus rudes, les manifestations climat ont sensibilisé plus de personnes. Mais on vit dans une société où une actualité en chasse une autre. Le mouvement des gilets jaunes est une surprise et, en même temps, tellement logique. Et quand ça arrive, c’est sous le mandat d’Emmanuel Macron. C’est un cynique qui n’a rien compris. Le pire de tous. Il fait de temps en temps un discours enflammé. Mais, concrètement, il agit à l’inverse. Il affaiblit les corps intermédiaires, fait passer des mesures au forceps malgré les syndicats et, au final, crée de la colère à gauche comme à droite. La colère est toujours la même. Et, en plus, il y a ce flou idéologique qu’il a contribué à créer, ni de droite ni de gauche. Vouloir imposer une taxe écologique, c’est très maladroit. On ne peut pas faire d’écologie sans se soucier des plus pauvres. C’est une question de justice sociale. Si on ferme tous les robinets (retraites, cotisations sociales, accès aux hôpitaux, aux services publics, etc.) et qu’on continue à donner aux plus riches, cela ne va pas ruisseler… Qu’importe, lui, il fait le dos rond et attend que ça passe. Le problème, avec la question du réchauffement, c’est qu’il faut de la volonté politique, d’autres convictions. On est en train de rétropédaler alors qu’on a pris énormément de retard… En fait, il y a plein de sujets afférents que j’aimerais traiter. Probablement y aura-t-il une suite…
Saison brune, de Philippe Squarzoni, 480 pages, Éditions Delcourt, 2012.
Entretien réalisé par Alexandra Chaignon
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