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5 septembre 2019 4 05 /09 /septembre /2019 05:30

 

Avec son roman d’anticipation, l’écrivaine anglaise de science-fiction prophétisait la Shoah dès 1937. Écrit sous un pseudo, oublié puis redécouvert dans les années 1990, Swastika night mettait le monde en garde contre le « Reich de mille ans ».

Jusqu’en 2016, Katharin Burdekin était totalement inconnue du public français. L’écrivaine a pourtant livré Swastika night, un des pamphlets les plus radicaux sur ce qu’allait devenir le régime nazi, et prédit la Shoah… en 1937 ! Un roman essentiellement féministe qui décrit le quotidien dans le Reich, sept cents ans après la victoire d’un Hitler déifié, dans lequel les femmes sont considérées quasiment comme du bétail, et le système de classification entre Übermensch et Untermensch imaginé par le régime nazi impose une séparation en castes, inviolable sous peine de mort. Il aura fallu attendre que l’œuvre, publiée sous le pseudonyme de Murray Constantine, soit redécouverte dans les années 1990 dans le monde anglo-saxon, et traduite en France, pour en mesurer l’impact et la portée prémonitoire.

Katharin Burdekin n’était pourtant pas destinée à écrire le premier roman d’anticipation sur l’Allemagne nazie. De la famille de la classe moyenne supérieure du Derbyshire, où elle naît en 1896, elle hérite un bon capital social et culturel. Mais la société victorienne finissante la bride : Katharin rêve d’intégrer l’université d’Oxford, comme ses deux grands frères. Ses parents s’y opposent. Son passage au Cheltenham Ladies’College, dirigé par la suffragette Dorothea Beale, la vengera un peu : après un mariage arrangé et la naissance de deux filles, un déménagement en Australie et son engagement comme infirmière durant la Première Guerre mondiale, elle quitte son avocat de mari et revient en Angleterre. Fortement influencée par les socialistes, Katharin commence à publier des nouvelles de science-fiction interrogeant la place des femmes dans la société des années 1920. C’est à cette période qu’elle rencontre sa compagne de vie et élèvera ses filles avec elle, mettant en pratique un féminisme radical qui restera intimement lié à son œuvre, y compris dans Swastika night.

« Elle montre la violence banalisée qu’induit le régime totalitaire et l’insensibilité qu’il génère »

Dans les années 1930, elle s’oriente vers une critique du fascisme et du nazisme. C’est là qu’elle prend, en 1934, un pseudonyme masculin pour protéger sa famille. Ce qui explique sans doute que son œuvre ait été si longtemps oubliée. Swastika night est pourtant une des premières dystopies (fiction qui décrit une utopie de cauchemar, une contre-utopie) de l’histoire, rédigée des années avant le 1984 de George Orwell. On y déambule dans le Saint Empire romain germanique, qui a soumis la moitié du monde à l’idéologie nazie. Un jeune Anglais y entame un pèlerinage à la chapelle de saint Hitler – un géant blond de deux mètres « explosé » de la tête de son père (sic) – où le lecteur est tout de suite mis dans le bain par la prière rituelle. Extrait : « De même que la femme surpasse le ver, l’homme surpasse la femme. De même que la femme surpasse le ver, le ver surpasse le chrétien. Ainsi, camarades, la chose la plus abjecte, la plus ignoble, la plus sale qui puisse ramper à la surface de la terre, c’est la femme chrétienne. La toucher est pour l’Allemand la pire souillure. Lui parler est une honte. Ils sont tous exclus : l’homme, la femme et l’enfant. Mes fils, ne l’oubliez point ! Sous peine de mort ou de torture, ou de bannissement hors du sang. Heil Hitler ! » Une traduction de la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands de novembre 1935. Si ce n’est que, dans la fiction, les juifs sont absents, exterminés depuis des siècles.

On le voit, l’auteure ne prend pas de gants. Certes, le texte n’est pas d’une grande portée littéraire, mais Burdekin y a « des fulgurances », notait en juillet 2017 la revue de science-fiction Bifrost : « Elle dit la nature totalitaire du régime, la stase mortelle qui suit la dictature réalisée, le culte de la personnalité, la reconstruction de l’Histoire. Elle montre la violence banalisée qu’induit le régime et l’insensibilité qu’il génère », comme « le caractère profondément homo-érotique de la praxis nazie et le virilisme qui est en l’essence ». Sans doute a-t-elle eu connaissance du programme Lebensborn, qui à l’initiative de Heinrich Himmler, dès 1935, portait la politique d’eugénisme et de natalité allemande jusqu’à faire engendrer par des SS inconnus des femmes estampillées « aryennes », logées dans des foyers, pour les faire accoucher anonymement et confier leurs enfants à la SS pour créer l’élite du « Reich de mille ans ». Parfois la réalité dépasse la fiction.

Grégory Marin

 

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