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9 août 2019 5 09 /08 /août /2019 06:30
Enfance. Le Loiret veut se débarrasser des jeunes étrangers isolés
Jeudi, 8 Août, 2019

À Orléans, un collectif d’associations, de partis politiques et de syndicats dénonce la mise à la rue, programmée au 31 août, de 150 mineurs isolés. Au quotidien, ces adolescents doivent déjà subir des conditions de vie précaires. Reportage.

 

Orléans (Loiret), correspondance.

«Quand j’ai débarqué à Orléans, il n’y avait ­personne pour m’accueillir. C’est le com­missariat qui a fait les démarches pour que je sois pris en charge. » Sylvain (1), à bientôt 16 ans, est arrivé du Cameroun en 2017. Il y a laissé sa mère, incapable de subvenir aux besoins de ses deux enfants. Il raconte son périple d’une voix posée qui évoque plutôt celle d’un jeune adulte éprouvé devenu mature trop tôt. « Une tante m’a fait passer en France par la voie maritime via la Libye, l’Italie et la Belgique. J’ai choisi la France, car il y avait une ­communauté africaine importante et moins de racisme que dans d’autres pays. » Après un passage par Paris et comme des dizaines d’autres jeunes de son âge, Sylvain est d’abord pris en charge par l’aide sociale à l’enfance de Tours, en Indre-et-Loire. Là-bas, l’accueil se passe dans de bonnes conditions. « Le département m’a admis, pris en charge et logé à l’hôtel avant que je quitte la ville pour Orléans. » Là, les choses se gâtent.

Pour les mineurs isolés présents en France – qui a signé la convention internationale des droits de l’enfant le 26 janvier 1990 –, la loi impose de ne faire aucune différence en fonction de la nationalité de l’enfant à ­protéger. La législation prévoit « un placement à l’aide sociale à l’enfance soumis à des obligations », telles « l’orientation du mineur dans une structure ou dans une famille habilitées en protection de l’enfance » et « la réalisation de démarches en vue de la scolarisation ou de l’inscription dans une formation professionnelle », comme récemment rappelé dans un jugement de la cour d’appel d’Orléans.

« Lâchés dans la nature dans la discrétion la plus totale »

Dans les faits et depuis plusieurs années, le département du Loiret mène la vie dure à ces mineurs, dont 150 pourraient être jetés à la rue au 31 août, faute de prise en charge. Une situation qui conduit associations, syndicats et partis politiques de gauche à occuper régulièrement les parvis du conseil départemental et de la préfecture de région. « Pour les jeunes mineurs devenus majeurs ou titulaires d’un diplôme, l’accompagnement n’est pas obligatoire, explique Ségolène Petit, du Collectif de soutien aux jeunes isolés étrangers du Loiret (Cojie). Mais, au fil des semaines, de nombreux jeunes sont lâchés dans la nature dans la discrétion la plus totale. »

Avant d’être abandonnés à leur sort, ces jeunes, comme Diallo (1), 16 ans, sont « parqués » dans des hôtels bas de gamme. « Nous avons une chambre, un petit déjeuner et deux repas à base de riz et de pâtes, explique le jeune homme, également originaire d’Afrique subsaharienne. L’hôtel où je suis logé ne fait que ça, nous sommes les seuls résidents. Le propriétaire a totalement cessé ses activités et même ouvert un autre hôtel pour doubler ses capacités d’accueil. » Autant dire que le business est rentable. C’est dans l’un de ces hôtels, fin juin, qu’un jeune mineur est décédé dans des conditions troubles. « On n’a pas d’éducateurs en nombre suffisant et aucun accompagnement sérieux pour nos études, dénonce Sylvain. À Tours, on nous écoutait, on nous aidait. Ici, à Orléans, le département délègue à des commerçants. »

Tous n’ont pas connaissance de leurs droits

Comme si cela ne suffisait pas, ces jeunes se retrouvent souvent coincés dans un imbroglio administratif. « Dans les réunions, les associations de soutien nous conseillent, à juste titre, d’être scolarisés ou de trouver un apprentissage, explique un autre jeune. Un camarade qui avait deux CAP a trouvé une entreprise en alternance, mais le patron a refusé de payer la taxe d’apprentissage, du coup on lui demande de quitter le ­territoire. » Ce dernier a opté pour un recours devant les tribunaux, mais tous n’ont pas connaissance de leurs droits, d’où l’importance des réunions menées par les comités de soutien. « Nous avons saisi le Défenseur des droits et lancé une pétition pour que ces jeunes ne se retrouvent pas à la rue, explique Franck, du collectif immigration de la CGT du Loiret. Ils sont pour la plupart en apprentissage, donc futurs salariés corvéables à souhait, d’où notre implication dans la bataille. »

Contacté par l’Humanité, le conseil départemental se justifie : « À ce jour, 415 mineurs non accompagnés sont pris en charge par le département jusqu’à leur majorité ou la fin de leur année scolaire (…). Dès lors qu’ils ont 18 ans ou à la fin de leur année scolaire, ces jeunes entrent dans le droit commun et relèvent alors de dispositifs gérés par l’État, notamment dans le cadre de sa ­politique migratoire. » Frappant d’humanité. Le département précise cependant que certains jeunes devenus majeurs et dans certaines conditions peuvent « bénéficier du dispositif “allocation jeunes ­insertion Loiret” ».

Face à ces situations, certains élus se mobilisent. Michel Ricoud, conseiller métropolitain PCF, a tiré la sonnette d’alarme : « Je suis intervenu auprès du président de la République, des parlementaires, des élus de la métropole pour qu’ils ne laissent pas faire ce véritable drame humain. » Le collectif appelle, de manière régulière et jusqu’au 31 août, à de nouveaux rassemblements de soutien.

(1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
Joseph Korda

Le casse-tête de l’authentification des papiers. « Document authentique mais pas recevable » : c’est la formule utilisée par les préfectures pour signifier leur refus d’accepter l’acte de naissance des mineurs étrangers comme preuve de minorité. Pour prouver leur identité, il est demandé aux jeunes de contacter l’ambassade de France de leur pays pour qu’elle authentifie leurs documents. Certaines refusent ; d’autres, comme celle du Pakistan, disposent d’enquêteurs pour le faire. Souvent, leurs investigations conduisent à l’invalidation des papiers. Parfois à tort. De même, à leurs 18 ans, les jeunes arrivés seuls en France ont le plus grand mal à obtenir un titre de séjour les autorisant à travailler. Ainsi se décline la panoplie des tracasseries administratives visant à retarder leur prise en charge ou à les écarter des institutions censées les protéger.

Enfance. Le Loiret veut se débarrasser des jeunes étrangers isolés - L'Humanité, jeudi 8 août 2019, Joseph Korda
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