La colère monte à Marseille, comme les panaches de fumée qui noircissent le ciel les jours où le mistral tombe. Depuis quelques années, les autorités du Grand Port maritime de Marseille (GPMM) sont sous le feu des associations de riverains et des organisations de défense de l’environnement, qui dénoncent la pollution causée par les navires. Longtemps oublié par le législateur, le transport maritime va devoir se mettre au vert.
Le Grand Port Maritime de Marseille est-il en train d’asphyxier la cité phocéenne ? Les fumées noires des navires stagnent sur la ville quand le mistral tombe, et la chape de pollution est plus pesante encore les jours de grande chaleur. Chaque année, 3 400 navires font escale dans la cité phocéenne, dont plus de 500 bateaux de croisière. Trois millions de voyageurs ont ainsi transité dans le port en 2018, dont 1,3 million sur les lignes régulières vers la Corse et le Maghreb. Les autorités estiment que le cap des deux millions de croisiéristes pourrait être franchi en 2020, contre 20 000 il y a 20 ans. Une croissance exponentielle qui a violemment fait ressurgir le problème de la pollution dans le débat public. En 2016, les associations France Nature Environnement et Nabu ont réalisé des mesures de la qualité de l’air à différents endroits de Marseille, avec des résultats inquiétants : 5 000 particules ultrafines par centimètre cube ont été mesurées dans le centre de l’agglomération, contre 60 000 dans un quartier résidentiel proche du port. Au niveau mondial, le transport maritime serait responsable de 5 à 10 % des émissions d’oxyde de soufre (SOx) et de 17 à 31 % des émissions d’oxyde d’azote (NOx).
Selon Air Paca, les émissions de NOx d’origine maritime dans la métropole marseillaise ont ainsi pour la première fois été plus importantes en 2018 que celles des rejets routiers. Longtemps oublié par les durcissements successifs des normes environnementales, le trafic maritime est dans le viseur des législateurs. Dès 2020, selon une directive de l’Organisation maritime internationale (IMO), les armateurs devront ainsi utiliser un fioul avec une teneur en soufre plafonnée à 0,5 %, contre 3,5 % aujourd’hui, pour les navires ne transportant pas de passagers.
« Quand nous étions enfants, la mer arrivait en contrebas de notre jardin, mais aujourd’hui il y a des jours où je ne peux même pas ouvrir les fenêtres tellement l’air est vicié », se désole Michèle Rauzier, membre de l’association Cap au nord, qui milite pour la défense du cadre de vie dans les quartiers nord marseillais. Autrefois, le sucre de canne en provenance de La Martinique et de La Réunion s’entassait sur les quais du cap Janet, mais ce sont désormais des touristes qui débarquent sur le môle Léon-Gourret, visible depuis les fenêtres de la maison de la retraitée. Les autorités municipales se félicitent de cette nouvelle manne financière, mais celle-ci reste très difficile à évaluer. Selon la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence, la croisière aurait généré 310 millions d’euros de retombées économiques en 2016, mais personne ne semble capable d’estimer les dépenses réelles des touristes à terre, quand ceux-ci se hasardent à visiter la ville.
Outre les bateaux de croisière qui s’alignent le long du môle Léon-Gourret, le secteur de Saint-Henri est directement frappé par les panaches de fumée des navires en réparation à la Forme 10, longue de 465 mètres, la plus grande forme de réparation navale de Méditerranée, réouverte en décembre 2017 après des années de travaux. « Dans les rues autour de chez moi, on ne compte plus les maladies cardio-vasculaires et les cancers, et cela crée une atmosphère très anxiogène », continue Michèle Rauzier. Autrefois, les fabriques de tuiles faisaient la fortune de Saint-Henri, attirant des travailleurs de toute la région et même d’Italie, et ce sont toujours les descendants de ces ouvriers qui habitent les maisons donnant sur les zones industrielles. « Nous essayons de nous faire entendre, mais à Marseille tout le monde fait ce qu’il veut et les quartiers nord sont encore une fois délaissés. »
« Autrefois, nous pouvions voir la mer, aujourd’hui l'horizon est bouché par les bateaux », soupire de son côté Élisabeth Pelliccio, présidente du comité d’intérêt de quartier (CIQ) de Saint-André. « Nous ne sommes pas contre l’activité du port, qui est indispensable à la santé économique de Marseille, mais nous exigeons que les riverains soit protégés. Nous demandons que l’Agence régionale de santé (ARS) lance ici une grande étude épidémiologique pour constater l’ampleur de la catastrophe sanitaire. »
Dès 2021, l’ensemble des 400 escales à destination de l’Algérie et de la Tunisie, ce qui représente 550 000 passagers par an, devraient s’installer au cap Janet pour décongestionner le centre-ville. Le terminal actuel sera étendu et pourra accueillir quatre navires à quai. Sa capacité sera portée à 2 600 véhicules par jour à l’embarquement et au débarquement. « Les navires polluants quittent les quais derrière le Mucem, pour se concentrer à Saint-André, continue Élisabeth Pelliccio. Cela va aggraver la pollution, sans compter l’arrivée des nouveaux camions que cette augmentation du trafic va engendrer. »
Depuis les tours de Consolat-Mirabeau, dans le quartier de Saint-André, la mer semble bien lointaine, cachée derrière les zones industrielles. Une voie ferrée envahie par la végétation coupe la cité, et c’est là que devaient passer les trains chargés de marchandises censés rejoindre le terminal à transports combinés à Mourepiane (TTCM), un projet de terminal logistique bloqué depuis 2015 à la suite d’une enquête publique. « Imaginez donc, des trains chargés de produits dangereux pourraient rouler au milieu des habitations », s’indigne Élisabeth Pelliccio.
Un peu plus bas, au pied des barres d’immeubles de la Calade qui surplombent le cap Janet, la priorité est d’abord de trouver de quoi survivre au quotidien. « La pollution, qu’est-ce que vous voulez que l’on y fasse ? Les fumées des bateaux, on les voit, mais les gens ici ont surtout besoin d’un emploi », lance un homme en haussant les épaules. Difficile ici de mobiliser, pour les associations qui se battent contre les pollutions venues du GPMM.
Le territoire du GPMM s’étend sur 400 hectares à l’est, du vieux port jusqu’à l’Estaque, et sur 10 000 hectares autour de la ville de Fos-sur-Mer. Premier port français, il représenterait 41 500 emplois directs et indirects. Après une chute de son activité due à la crise financière de 2008, il s’est stabilisé autour de 81 millions de tonnes traitées en 2018. Désormais, les autorités du GPMM ambitionnent de construire le « port du futur », par exemple avec l’installation d’un gigantesque centre de stockage de données dans un ancien bunker de la Seconde Guerre mondiale.
Hervé Martel, président du directoire du GPMM, a également annoncé le 6 juillet dernier le lancement d’un plan de 20 millions d’euros pour permettre le branchement à quai des ferries, de la réparation navale et des bateaux de croisière d’ici à 2025. Rien de contraignant, mais « un argument marketing » qui devrait convaincre les armateurs de réaliser les investissements nécessaires à l’électrification des navires. Des mesures accueillies avec scepticisme par les associations de riverains, qui évoquent des « effets d’annonce » incapables de combattre à court terme la pollution atmosphérique.
« Nous sommes les premiers touchés par la pollution, c’est pourquoi nous estimons que le branchement à quai est une avancée positive, explique Ludovic Lomini, le secrétaire général de la CGT des dockers de Marseille. Mais en attendant, en période de forte chaleur, il est nécessaire de limiter le nombre des bateaux de touristes qui accostent chaque jour. La croisière doit être complémentaire des autres activités du port. Si la croissance du nombre de voyageurs continue et que la pollution augmente, c’est toute notre activité qui sera montrée du doigt. »
Depuis 2017, les trois ferries de la Méridionale, qui relient la Corse au continent, bénéficient de branchements à quai qui permettent d’éliminer les émissions polluantes dans le port et d’éviter la combustion de deux à quatre tonnes de diesel par navire durant leurs 12 heures d’escale quotidienne. « Pour poursuivre la réduction de nos émissions de polluants, nous testons également un tout nouveau système de filtre à particules sur l’un de nos navires, explique Marc Reverchon, président de la compagnie. L’objectif est d’éliminer presque totalement les émissions de SOx en mer, de réduire de 99 % celles des particules fines (PM10/PM2,5) et de 40 à 60 % celles des particules ultrafines (PM1). » Installé sur les cheminées du navire Piana, le dispositif utilise du bicarbonate de sodium, injecté à la sortie des moteurs. Celui-ci agit sur les SOx pour les neutraliser et les capter. La poudre et les polluants sont récupérés et forment une couche qui capture mécaniquement les particules fines et les métaux lourds présents dans les fumées.
Pour tenter d’enrayer la pollution liée au trafic maritime, le député LREM des quartiers nord, Saïd Ahamada, milite aussi pour la création en Méditerranée d’une ECA, une zone à faibles émissions, comme celles qui existent déjà dans la Manche et en mer du Nord, et où la teneur en soufre des carburants marins est réduite à 0,1 %. Pour combattre les émissions de polluants, les autorités du port misent également sur le développement d’une nouvelle génération de navires, propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). Soumis à la pression de la société civile, ces dernières vont de toute façon amplifier leur transition écologique et multiplier les concertations avec les riverains, dont les voix ont longtemps été ignorées.
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