Une note du 12 juillet du nouveau patron de l’administration fiscale, que révèle Mediapart, a choqué les syndicats de Bercy. Elle ordonne aux agents du fisc de se montrer accommodants avec les entreprises jugées « de bonne foi », en favorisant remises et transactions. Sollicité, Bercy assume une approche « pragmatique ».
Le titre de la note parle de lui-même : « Orientations générales en faveur d’une conclusion apaisée des contrôles fiscaux. » Ce document, que Mediapart s’est procuré, est signé par Jérôme Fournel, directeur général de l’administration fiscale depuis trois mois et ancien directeur de cabinet du ministre de l'action et des comptes publics Gérald Darmanin. Envoyée le 12 juillet à tous les services chargés du contrôle fiscal, cette « note de service » ordonne aux agents de se montrer accommodants avec les entreprises.
Ces instructions sont l’application de la loi Essoc de juillet 2018, qui introduit un « droit à l’erreur » pour les usagers de l’administration se trompant de bonne foi. En application du « en même temps » cher à Emmanuel Macron, une seconde loi renforçant la lutte contre les plus gros fraudeurs a été votée trois mois plus tard.
Reste que la note d’application de la loi Essoc envoyée le 12 juillet dernier traduit l’orientation très pro-entreprises d’Emmanuel Macron. Le patron de la DGFIP (Direction générale des finances publiques) y indique à ses agents qu’ils doivent créer une « nouvelle relation de confiance avec les entreprises » tournée vers « l’acceptation sociale » des contrôles fiscaux (notre document ci-dessous).
La note envoyée le 12 juillet 2009 par le patron de la DGFIP (l'administration fiscale), Jérôme Fournel. © Document Mediapart
Les contrôleurs doivent désormais « privilégier des modalités de conclusion plus consensuelles et plus rapides des opérations de contrôle, toutes les fois que cela est possible » : réduction des pénalités, « règlement d’ensemble » des litiges complexes, et recours aux transactions pour éviter les contentieux judiciaires devant les tribunaux.
Les agents sont invités à mettre en œuvre « une application mesurée de la loi » avec les contribuables de bonne foi. « Une application à la lettre de la loi fiscale peut en effet être mal comprise et perçue comme injuste, précise la note. Elle est susceptible dès lors d’alimenter la défiance envers l’administration, à rebours des orientations gouvernementales et de délégitimer les sanctions sévères qu’appellent les comportements les plus frauduleux. »
Cette note a choqué les principaux syndicats de Bercy dans un contexte déjà lourd, avec la suppression de 2 130 postes dans l’administration fiscale cette année. « Pour nous, cela revient à laisser libre cours aux fraudeurs et leur dire indirectement que frauder n’est pas grave », réagit Olivier Villois, secrétaire national de la CGT Finances publiques.
Pour Vincent Drezet, secrétaire national de Solidaires Finances publiques, ces instructions traduisent un « basculement » déjà à l’œuvre depuis plusieurs années, qui « s’est accéléré » avec la loi Essoc. « L’idée est de préserver l’attractivité fiscale de la France, de ne pas se montrer trop intrusifs, regrette-t-il. Le contrôle fiscal tend à devenir une mission de conseil ou de prestation de services aux contrôlés plutôt qu’un contrôle de la loi dans l’intérêt général. »
Hélène Fauvel, secrétaire générale de FO DGFIP, n’est pas surprise par le contenu de la note : il s’agit selon elle de la stricte application de la loi Essoc, que son syndicat avait qualifiée de « câlinothérapie ».
Interrogée par Mediapart, la DGFIP répond que la note de son directeur général « s’inscrit pleinement dans les orientations générales fixées par le ministre [des comptes publics Gérald Darmanin – ndlr] en matière de contrôle fiscal, consistant à nouer une relation fondée sur la confiance, et non sur la suspicion, avec les contribuables de bonne foi et d’adopter une attitude différenciée selon que les contribuables ont commis des erreurs de bonne foi ou qu’ils enfreignent intentionnellement la législation fiscale ».
La DGFIP souligne que le gouvernement a aussi décidé un « renforcement de la lutte contre la fraude » au travers de la loi d’octobre 2018, qui a créé une police fiscale, renforcé les sanctions, ou encore levé partiellement le « verrou de Bercy » qui laissait au ministère l’exclusivité des poursuites pénales.
Les syndicalistes soulignent que toutes les mesures accommodantes prévues dans la note du 12 juillet 2019, comme la réduction des pénalités ou l’« application mesurée de la loi » pour les contribuables qui se trompent de bonne foi, ne sont pas nouvelles. Elles sont déjà appliquées sur le terrain au cas par cas, par exemple en cas d’erreur de déclaration sur un point législatif récent ou complexe, ou en faveur des entreprises en difficulté.
« Ce qui est choquant, ce ne sont pas ces dispositifs, c’est qu’on nous demande d’en faire une application démesurée, souligne Vincent Drezet, de Solidaires. On nous incite à mettre en œuvre tout ce qui peut alléger le contrôle et la note finale. » « Le problème, c’est que ça devient systématique, c’est une remise en cause claire de notre mission de contrôle », ajoute Olivier Villois, de la CGT.
Les syndicalistes redoutent que cette note ne renforce les inégalités devant l’impôt, car les nouvelles mesures bénéficieront avant tout aux plus grandes entreprises, qui sont aussi « les mieux conseillées ».
« Il n’y a aucune incitation à baisser les bras face aux fraudeurs », dément la DGFIP, qui ne voit « rien de choquant à rappeler l’utilité d’outils parfaitement connus des vérificateurs, qui existent depuis longtemps ».
Pour justifier les contrôles « apaisés », le directeur général des finances publiques indique dans sa note que cela favorise « le consentement à l’impôt du contribuable » et permet de « sécuriser le recouvrement » (c’est-à-dire faire rentrer l’argent dans les caisses de l’État) et de « réduire le contentieux ».
Le souci, c’est que la note ne se limite pas à accorder des facilités aux contribuables de bonne foi. Le patron de la DGFIP demande à ses agents de privilégier au maximum les transactions amiables en cas de conflit, afin d’éviter que les contribuables ne contestent le redressement devant les tribunaux. « Il est préconisé de transiger lors du recours pré-contentieux, sur les montants accessoires aux droits », précise la note.
Ces instructions concernent aussi les dossiers complexes, comme les montages d’optimisation fiscale des grandes entreprises. En cas d’incertitude juridique, les directions du contrôle fiscal « sont invitées à envisager un règlement d’ensemble du dossier pour favoriser sa résolution avant le stade contentieux ».
Ce dispositif, qui consiste pour le fisc à négocier globalement les droits et pénalités à la baisse pour éviter un procès, a été critiqué en 2018 par la Cour des comptes, qui dénonce son absence de « base légale », mais aussi de « règles de procédure » garantissant l’égalité des contribuables devant la loi. En réponse au rapport de la Cour, la note de Bercy invite d’ailleurs les directions à créer « un dispositif adapté d’harmonisation des décisions ».
La note de la DGFIP du 12 juillet dernier peut laisser penser que le fisc baisse les bras sur le terrain judiciaire face à la puissance de feu des multinationales adeptes de l'optimisation fiscale agressive, qui peuvent s’offrir des armées d’avocats fiscalistes redoutablement efficaces.
La DGFIP a ainsi perdu ses procès contre Google, dont le redressement fiscal de 1,1 milliard d’euros a été annulé par le tribunal administratif en 2017, puis en appel le 26 avril dernier. En juin dernier, le fisc a préféré, après plusieurs contentieux judiciaires, trouver un accord amiable avec Microsoft, tout comme il l’avait fait auparavant avec Amazon et Apple.
« La tentation historique de Bercy a toujours été de sécuriser les rentrées d’argent, indique Vincent Drezet, de Solidaires. Si la loi est floue, c’est positif pour l’État. Mais dans la version négative, cela peut signifier que face à des entreprises mieux conseillées que nous, on semble renoncer à investir dans l’expertise et le renforcement des moyens pour faire respecter ou évoluer certains aspects du droit. »
Sollicitée par Mediapart, la DGFIP « assume […] une approche pragmatique » : « Les contentieux sont longs et coûteux pour tout le monde, que ce soit pour l’administration comme pour les contribuables (certains peuvent durer plus de dix ans). Et comme vous le savez, leur issue est incertaine quand les problématiques sont complexes. »
La note du patron de la DGFIP rappelle également une nouvelle disposition issue non pas de la loi Essoc sur le droit à l’erreur, mais de la loi d’octobre 2018 renforçant la lutte contre les gros fraudeurs : « Il est désormais possible de conclure une transaction, y compris lorsque les contrôles doivent faire l’objet d’une dénonciation au procureur […] ou lorsque l’administration fiscale a déposé plainte », alors que c’était jusqu’à présent interdit.
S’il s’agit là encore de l’application stricte de la nouvelle loi, cette mesure passe mal à Bercy. Comme le souligne la secrétaire générale de FO DGFIP, Hélène Fauvel, « on a du mal à comprendre comment on peut faire une transaction avec un contribuable alors qu’on a (porté plainte) ou qu’on envisage de porter plainte ».
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