Ils veulent « des papiers pour tous ». Vendredi, les gilets noirs ont occupé le monument parisien et demandé à être reçus par le premier ministre. En guise de réponse, les CRS ont chargé.
Le rendez-vous était fixé ce vendredi à 12 h 30 à la sortie de la station Luxembourg du RER B. On avait informé l’Humanité d’une occupation coup de poing des gilets noirs. Tout devait rester secret. Aux portes du jardin du Luxembourg, dans les beaux quartiers de Paris, Michel Rimbert et Jean-Claude Amara, deux piliers de l’association Droits devant !, discutent tranquillement avec un petit groupe. Où sont donc les centaines de sans-papiers annoncés ? « T’inquiète, ils vont arriver », rassure Jean-Claude Amara. L’objectif ? Pénétrer dans le Panthéon, nécropole des grands personnages de France, « là où nombre de figures qui y reposent, de Victor Hugo à Aimé Césaire, auraient soutenu notre combat d’aujourd’hui », explique le militant. Au Panthéon, on s’assoit sur les marches. Quelques groupes épars sont déjà là. Mais toujours pas de sans-papiers en vue, ou si peu. Hakim, lui, prend des photos. « C’est beau, hein ? dit-il avec un large sourire. Regarde le toit, c’est de l’ardoise, et là, c’est du zinc. » Il faut dire qu’il s’y connaît, Hakim. Depuis six ans qu’il est en France, il accumule les boulots de couvreur. Dans une autre vie, en Kabylie, il créait des bijoux. À ses côtés, Patricia nous explique, elle, comment elle survit depuis deux ans. « Je garde une petite fille une fois par semaine. » Au Cameroun, elle avait décroché un master. Et puis elle a voulu rejoindre sa mère en France. « Mais, sans papiers, tu ne vis pas. » On arrête là les présentations. Car un passant glisse à voix basse : « Dans 20 secondes… » Tout s’accélère alors. Quelques-uns bloquent les vigiles à l’entrée, des centaines de sans-papiers venus d’on ne sait où envahissent les lieux. Tout le monde court. Certains s’arrêtent et se prosternent devant la statue de la Convention nationale. L’image est forte. La joie se lit sur tous les visages. On se sourit, on se parle, on fait des selfies. Ils ont réussi ! « Gilets noirs ! Gilets noirs ! » scandent les sans-papiers alors que des calicots se déploient autour des colonnes corinthiennes.
Cet hiver, ils avaient déjà envahi la Comédie-Française
Très vite, les touristes sont évacués et les CRS arrivent. Ils encerclent les 700 gilets noirs, qui se sont tous assis dans le calme. Beaucoup veulent aller aux toilettes. Des négociations s’entament. « Ils se croient où ? À l’hôtel ? » s’énerve un CRS. Hakim est là, en pleine discussion sur Skype avec son cousin, « un sans-papiers lui aussi ». Soutenu par les associations de lutte pour les droits des migrants et des sans-papiers la Chapelle debout et Droits devant !, le mouvement des gilets noirs regroupe des sans-papiers issus de dizaines de foyers de travailleurs d’Île-de-France. Ils se présentent comme « des sans-papiers, des sans-voix, des sans-visage pour la République française » et demandent « des papiers et des logements pour toutes et tous » ainsi que la réquisition des 200 000 logements vides à Paris. Ils n’en sont pas à leur premier coup d’essai. Cet hiver, ils avaient envahi la Comédie-Française. En mai, investi un terminal de l’aéroport de Roissy contre la collaboration d’Air France dans les expulsions. En juin, occupé le siège du groupe Elior (restauration collective, propreté), à La Défense, pour dénoncer son sale business avec les sans-papiers. « La CGT était venue nous soutenir », se souvient Houssam El Assimi, militant de la première heure à la Chapelle debout. « Suite à cette action, 203 certificats de concordance ont été délivrés, qui donneront des Cerfa (formulaires administratifs réglementés – NDLR) en vue de régularisations. »
« Maintenant, on veut frapper plus haut »
Ce vendredi, tous étaient venus sous la coupole du Panthéon, devenue la caisse de résonance de leurs vies maltraitées, pour obtenir un rendez-vous avec le premier ministre. Rendez-vous demandé il y a un mois par courrier, sans réponse. « Édouard Philippe a dénoncé notre action, mais il a bien été obligé de nous reconnaître », avance Houssam El Assimi. « Pendant trois ans, nos négociations avec le ministère du Travail n’ont jamais abouti, explique Michel Rimbert. Nous avions pourtant des centaines de dossiers, où l’on apportait des preuves que les sans-papiers travaillaient. Alors maintenant, on veut frapper plus haut. » Aïcha approuve d’un signe de la tête. Arrivée de Côte d’Ivoire il y a quinze ans, elle donne aujourd’hui des cours de français, d’alphabétisation. Mais n’a toujours pas de papiers. « Nous, on est des moins que rien. Pourtant, les Européens qui viennent dans mon pays vivent dans de belles maisons, on les appelle les “expats”… Écris ça, hein ! » nous glisse-t-elle. « Hier colonisés, aujourd’hui exploités, demain régularisés », reprennent en chœur les gilets noirs, alors que les témoignages affluent. Ils racontent les patrons voyous. Les boulots de merde pour 20 euros. Le travail sans protection. La nuit, dehors, porte de la Chapelle. La queue devant la préfecture. Les contrôles au faciès. La peur. Boubou sait qu’il peut être embarqué par la police. Mais il n’a plus peur. En Mauritanie, il a été torturé, emprisonné pour avoir simplement manifesté. Ici, il survit. Mais, dit-il, « depuis qu’il y a le collectif, ensemble, nous sommes forts ». Il n’est pas 17 heures. Les CRS évacuent tout le monde par la porte arrière. Dehors, d’autres gilets noirs, des députés, des syndicalistes sont venus soutenir l’action. Deux heures plus tard, les CRS chargeront, frapperont à l’aveugle avec une violence rare sur des gens totalement pacifiques. Une quarantaine de sans-papiers sont alors menottés, embarqués au commissariat. D’autres contrôlés. Une jeune femme en état de choc s’approche. Elle ne peut plus arrêter de pleurer, de trembler. Les CRS viennent de lui foncer dessus.
Une quarantaine d’immigrés et leurs soutiens se sont rassemblés lundi 15 juillet devant le palais de justice de Paris pour soutenir seize de leurs camarades interpellés vendredi dernier, suite à leur action coup de poing dans le célèbre monument.
Assis sur un rebord du parvis du tribunal de grande instance de Paris, S. attend la décision du juge. Le jeune Malien lève les yeux vers le bâtiment en verre où se reflète le soleil de midi. « Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit, souffle-t-il. Normalement je dors à côté de lui mais là, de voir sa place vide dans le lit, ça me rendait trop nerveux. » « Lui », c’est son petit frère de 20 ans. Vendredi 12 juillet, il faisait partie des quelque 700 immigrés gilets noirs qui ont occupé pacifiquement le Panthéon pour réclamer « des papiers pour tous ». En guise de réponse, trente-sept ont été interpellés manu militari. Et seize d’entre eux incarcérées au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, avec le risque d’être expulsées du territoire français.
Le sort du frère de S. se jouera mardi 16 juillet, face au juge des libertés et de la détention (JLD) qui doit statuer sur le maintien, ou non, en CRA. Mais dès ce lundi, S. a tenu à être présent pour soutenir les huit premiers camarades convoqués aujourd’hui. A ses côtés, une quarantaine de gilets noirs et membres du collectif La Chapelle debout discutent entre eux, à l’affût des dernières nouvelles de la salle d’audience. « Cette situation est absurde, voilà un mot auquel je pense souvent, glisse S. Ce sont des criminels qui devraient être au tribunal et pas des innocents venus revendiquer leurs droits. » Une logique qui n’est visiblement « pas celle de l’Etat français ».
Trois avocats sont chargés de plaider pour leur libération. Me Sophie Weinberg fait valoir, entre autres, que ces contrôles d’identité n’ont pas de fondements légaux et que les interpellations ne pouvaient avoir comme motif l’occupation du Panthéon. « Elles ont toutes été effectuées à l’extérieur du monument », précise une des membres du collectif La Chapelle Debout, présente sur le lieu des arrestations vendredi. « Juste parce que ce sont des étrangers, ils ne sont pas considérés comme des manifestants ou des sujets politiques, à l’inverse des gilets jaunes par exemple », s’agace un membre de La Chapelle Debout.
Devant le TGI des Batignolles, tous les gilets noirs rencontrés assurent vivre et travailler en France. « Nous sommes légitimes à demander des droits », insiste S. En face de lui, un homme plus âgé tient une pochette bleue dans ses mains. C’est le dossier administratif d’un de ses amis, sénégalais, lui aussi retenu au CRA de Vincennes. « On dit que c’est un ‘’sans-papiers’’, mais il en a des papiers, un passeport, un acte de naissance… c’est juste que pour ce pays, ce ne sont pas les bons ! », relève une jeune femme, qui connait bien son cas.
En début d’après-midi, l’attente prend fin. Deux femmes, membres de La Chapelle Debout, sortent du tribunal en souriant, les bras en l’air. Immédiatement, un petit groupe se presse autour d’elles pour entendre la décision du juge. « Il a déclaré que les contrôles d’identité et les arrestations étaient illégales », annonce l’une des militantes. Le procureur n’a pas fait appel de la décision, les huit personnes sont libres. « C’est important, cela veut dire qu’on ne peut pas nous arrêter parce qu’on revendique nos droits », poursuit-elle. Toute l’assistance applaudit, soulagée, et scande « Libérez nos camarades ! ». Une liesse de courte durée. Les audiences des huit autres incarcérés doivent avoir lieu ce mardi. « Malgré tout, maintenant, nous continuerons sans peur notre combat et nous ne nous découragerons plus », assure un gilet noir.
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