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29 juillet 2019 1 29 /07 /juillet /2019 05:54

 

Trump est égotiste, raciste, mais il n’est pas fou. Le culte de la personnalité qu’il suscite, sa stratégie d'omniprésence médiatique, sa brutalité, sont typiques des régimes autoritaires, estime Ruth Ben-Ghiat, professeure d’histoire à la New York University, spécialiste du fascisme.

New York (États-Unis), de notre correspondant.– « Go back. » Donald Trump a choqué de nombreux Américains avec une série de tweets contre quatre congresswomen, toutes des femmes de couleur de nationalité américaine. Ces élues de la gauche du parti démocrate, Trump les a enjointes à « rentrer » dans « les endroits totalement en faillite et infestés de crimes d’où elles viennent ».

Mercredi 17 juillet, en meeting en Caroline du Nord, Trump a laissé ses supporteurs chanter « Renvoyez-la » à destination de la représentante Ilhan Omar, élue au Congrès et d'origine somalienne. Pour Ruth Ben-Ghiat, spécialiste du fascisme et professeure à la New York University, il s'agit bien d'une « escalade notable » vers un régime de plus en plus autoritaire, qui emprunte des éléments au fascisme. Donald Trump a d'ailleurs récidivé en s'en prenant à l'élu noir de Baltimore (Maryland) Elijah Cummings, président de la Commission de la justice à la Chambre des représentants.

 

En 1989, Donald Trump achète une page de publicité dans le New York Times pour réclamer la condamnation à mort de cinq jeunes hommes noirs après une agression à Central Park. Ils seront plus tard innocentés.

 

Après le « Renvoyez-la » chanté par ses partisans à l’attention d’Ilhan Omar, Donald Trump a fait mine de s’excuser. Mais il ne s’agit pas de ses premiers propos racistes, loin de là. Quelle est la différence cette fois ?

Ruth Ben-Ghiat : C’est une escalade notable. Le racisme a toujours fait partie de l’ADN de Donald Trump, depuis des décennies, alors qu'il était homme d'affaires à New York [la mini-série Dans leur regard, diffusée actuellement sur Netflix, rappelle que Trump avait acheté en 1989 une page de publicité dans le New York Times pour exiger la condamnation à mort de cinq jeunes Noirs accusés, à tort, du meurtre d’une joggeuse à Central Park. Le New York Times rappelle aussi ses saillies racistes dans The Apprentice, la téléréalité qui l’a rendu célèbre – ndlr].

Mais en tant que président, il n'avait jamais désigné ainsi une personne de couleur par son nom. Tout en Ilhan Omar, Noire, ancienne réfugiée, musulmane, enrage les nationalistes blancs. Venant du président des États-Unis, il s'agit d'une immense menace, une menace physique, qui met en danger la sécurité d'une élue du Congrès. Trump cherche à faire d'Omar le symbole de tout ce que l'Amérique est censée détester.

Meeting de Trump à Greenville (Caroline du Nord), le 17 juillet. Il laisse la foule clamer « Renvoyez-là » à propos d'Ilhan Omar, représentante élue au Congrès, réfugiée née en Somalie, naturalisée américaine. © PBS

 

Ce régime est-il en train d'évoluer vers quelque chose qui n'est déjà plus une démocratie ?

Aux États-Unis, nous avons eu la ségrégation, les lois racistes dans le Sud. Mais nous n'avons pas été occupés par les nazis, nous n'avons pas eu de régime communiste, pas de coup d'État militaire. Notre idée d'un régime autoritaire, ce sont les Chemises noires de Mussolini, un coup d'État, etc.

Les Américains ont donc du mal à concevoir qu'un régime autoritaire peut en réalité s'installer peu à peu, même avec une apparence de démocratie, comme c'est par exemple le cas avec Orbán et Poutine. Mais il est indéniable que Trump emprunte au fascisme. Prenons par exemple son comportement pendant les meetings, sa relation à la foule, la façon dont il laisse son auditoire exprimer sa joie d'avoir un ennemi. Cette joie de la haine, autorisée par l'État, c'est extrêmement puissant. 

 

Faut-il donc parler de moment fasciste – c'est le mot qu'a utilisé Ilhan Omar en réponse à l'attaque présidentielle ? Ou bien « juste » d'une escalade raciste, une de plus ?

Les gens attendent souvent un signe magique où l'on pourrait dire, « ça y est, le fascisme est arrivé ». Mais cela ne se passe pas comme ça. Clairement, la façon dont il orchestre la foule lors de ses meetings, la désignation d'une cible, les tweets haineux, l'absence quasi totale de réaction au sein du parti républicain, tout cela marque une évolution, un durcissement, qui était d'ailleurs prévisible.

Trump a très tôt exigé la loyauté de ses supporteurs. Il a décidé de se constituer une base de loyalistes fanatiques. Il nourrit sa base plus qu'il ne cherche à l'étendre. Pour eux, il est un héros charismatique. Son ancienne porte-parole, Sarah Huckabee Sanders, a dit que Trump est président à la suite de l'intervention divine. Cette élévation au rang de quasi-divinité est absolument typique des régimes autoritaires. Par ailleurs, il a réussi, avec Fox News [et d’autres médias, comme la chaîne d’extrême droite OneAmerica – ndlr] à installer ce qui s'apparente à une machine de propagande étatique.

 

Avant de vous parler, j'ai échangé avec l'historien américain Robert Paxton, l'auteur de La France de Vichy, qui a forcé la France à voir la collaboration de Vichy avec les nazis. Comme vous, Paxton trouve que « certains aspects du style de Trump et de son langage ressemblent au fascisme ». Mais que d'autres, et non des moindres, s'en distinguent, comme « sa méfiance du pouvoir étatique et sa volonté de laisser les hommes d’affaires avoir ce qu’ils veulent ». Hitler ou Mussolini, dit-il, « forçaient les milieux patronaux à accepter la planification centralisée de l’économie, dans le but de réarmer et de mener une politique étrangère et coloniale agressive ». Paxton estime donc que le meilleur terme pour définir l'administration Trump est « oligarchie », davantage que fascisme.

Il y a bien sûr cet élément d'oligarchie. Trump est même le dirigeant d'une grande démocratie le plus corrompu depuis Berlusconi, à la tête d'un gouvernement constitué de millionnaires et de milliardaires qu'il a choisis. Avec la détention des migrants, l'existence de camps à la frontière, Trump précipite clairement les États-Unis vers une démocratie du XXIe siècle qui n'est plus libérale.

Là où je diffère un peu de Paxton, c'est qu'il s'intéresse moins à ce que les gens disent qu'à ce qu'ils font. Pourtant, à travers ses discours, Trump rend la violence plus acceptable. Il prépare les Américains à accepter de plus en plus de répression.

Beaucoup disent que Trump est fou, qu'il n'a pas de stratégie. Mais c'est toujours le cas des leaders autoritaires. On disait à l'époque la même chose de Hitler ou de Mussolini. Penser qu'il n'a pas de stratégie, que tout ce qu'il fait n'est que chaos, c'est à mon avis du déni. Comme tout leader autoritaire, Trump cherche à nous coloniser. À coloniser l'État, la société, les médias.

Trump est une brute. Les leaders autoritaires veulent que nous ayons peur d'eux. Trump veut nous intimider. Il utilise l'armée comme un outil politique [à la frontière ou bien avec son tout nouveau défilé militaire, inspiré du 14-Juillet français – ndlr]. Il cherche à humilier, à soumettre la société.

« Le réveil de la société civile reste possible »

 

Là encore, jusqu’où cette humiliation veut-elle aller ? S'agit-il juste d'un « ego trip » autoritaire, pour l'heure contenu par les institutions, ou de la manifestation, désordonnée mais bien réelle, d'un projet de société réactionnaire, nationaliste, destiné à restaurer la suprématie blanche ? Après tout, Trump est parfois entravé par les tribunaux, mais pas toujours, comme le prouve l'autorisation du « muslim ban » par la Cour suprême. La droite dure est organisée derrière lui. Trump a déjà nommé 125 juges, désignés à vie. Il est en train de changer pour longtemps le système judiciaire, souvent amené à approuver ou retoquer des décisions de l'administration.

Trump est très impulsif, narcissique, dans l'autoglorification permanente. Dans tout ce qu'il fait, il y a du chaos, comme chez tous les dirigeants autoritaires, Mobutu, Kadhafi ou Mussolini. Tous ces hommes ont fonctionné au chaos. Mais ils avaient aussi des principes, et ils ont mené des politiques. Et chez Trump, derrière les tweets, il y a une grande continuité. Il est très clair sur sa volonté d'établir un État nationaliste blanc, où l'on peut détenir et expulser les gens de couleur, les musulmans. Regardez aujourd'hui, ses politiques ont un impact sur la vie de millions de personnes.

J'admets bien volontiers qu'il soit difficile pour les Américains d'accepter l'idée que nous bougeons dans cette direction… Quand je parle de cela, du déclin de la démocratie libérale, d'un futur plus autoritaire, les Américains sont en général très énervés, ils ont du mal à le digérer, parce que c'est trop effrayant. L'Amérique, disent-ils, est le pays des hommes libres. Les gens de couleur, eux, sont sans doute moins étonnés, car la démocratie n'a pas été aussi égale pour eux. Trump force les Américains à regarder leur pays d'une nouvelle façon, leur propre histoire, et aussi leur présent.

Avec Fox News, la chaîne One America est un des nouveaux relais de propagande de Donald Trump. Sans aucune nuance.

 

À quoi faut-il s'attendre d'ici la présidentielle ? Et après novembre 2020, si d'aventure Donald Trump était réélu ?

Trump suggère qu'il pourrait rester à son poste malgré la défaite. Lorsque son ancien confident et avocat Michael Cohen dit que dans ce cas, « la transition du pouvoir ne sera pas pacifique », je le crois. Le nom de sa fille et conseillère, Ivanka, est déjà avancé pour une candidature en 2024. Ils ont besoin de créer une dynastie. Leur présidence est un système de corruption, qui sert à les enrichir. Et par ailleurs, Trump n'a aucune envie d'aller en prison.

 

Trump envisage d'ailleurs sérieusement d'organiser le sommet du G7 de l'an prochain dans un de ses golfs en Floride, à deux pas de sa résidence hivernale de Mar-a-Lago, dans le ghetto pour riches de Palm Beach

Trump fera tout, même lancer une guerre s'il le faut, pour rester à son poste. Il est guidé par son seul intérêt personnel.

 

Certains évoquent une évolution substantielle des institutions ou de la Constitution si Trump est réélu, sans parler de la Cour suprême qu'il pourrait alors définitivement ancrer très à droite. Il dit déjà, faussement, que la Constitution américaine lui permet de faire « tout ce qu’il veut »

Les dirigeants autoritaires disent toujours ce qu'ils vont faire. Ils lancent des ballons d'essai, ils disent des choses affreuses, ils attendent les réactions. Il a parlé d'emprisonner des journalistes, de lois contre la liberté d'expression, je pense qu'il se sentira en capacité de le faire s'il est réélu.

 

Vous écrivez actuellement un livre sur la fascination exercée par les « hommes forts ». Vous évoquez dans ce livre des personnages différents, dans des contextes différents, de Mussolini à Hitler, de Poutine à Erdogan et Trump. Au-delà des différences, vous soulignez des similarités, dans le rapport aux médias, les stratégies de répression, le culte de la personnalité, une masculinité exacerbée… À qui Trump vous fait-il penser ?

Berlusconi, pour la corruption. Et Mussolini. Sa première femme, Ivana, a dit qu'il avait sur sa table de chevet deux livres, son propre livre, The Art of the Deal, et les discours d’Hitler.

 

Comment les peuples peuvent-ils terrasser ces hommes forts ?

Ces gens sont leur pire ennemi. Beaucoup sont incompétents et cherchent à contrôler les médias pour le cacher. Ils n'écoutent personne, créent des bunkers où ils s'entourent de courtisans ou de proches. Cela finit parfois par précipiter leur fin. Ils veulent rembobiner l'histoire en arrière.

Actuellement, même dans des régimes autoritaires comme la Russie ou la Turquie, la société résiste. C'est absolument le cas aux États-Unis aussi, où les gens manifestent et s'organisent, même si cela est trop peu raconté par les médias. Avec des institutions démocratiques, le réveil de la société civile reste possible.

 

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Published by Section du Parti communiste du Pays de Morlaix - dans INTERNATIONAL

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