Carola Rackete, aux commandes du Sea-Watch 3, a été interpellée en Sicile, après quinze jours d’errance forcée en mer, avec 42 migrants à bord de son bateau.
«Dévoué, le marin accepte l’incertitude du lendemain, est prêt à affronter le danger et à agir par tous temps et en tous lieux, quelles que soient les circonstances. » Ces mots sont inscrits en première page du Livret des valeurs de la marine française. La capitaine Carola Rackete, aux commandes du navire humanitaire Sea-Watch 3, n’a fait qu’obéir à ces valeurs. Elle force le respect. À son arrivée, samedi, dans le port de Lampedusa (Italie), pour y débarquer 42 exilés sauvés des eaux 17 jours plus tôt, la jeune femme a dû faire face à l’attaque d’un navire de guerre, envoyé pour la stopper par le très xénophobe ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini. Mais au final, rien n’aura empêché cette scientifique, spécialisée dans la navigation en Arctique et en Antarctique, de mener jusqu’au bout sa mission de sauvetage. Une vingtaine de policiers l’attendaient à sa descente du navire pour l’assigner à résidence. De nombreux militants de la solidarité étaient là aussi, venus l’applaudir pour avoir su tenir tête au nouveau « duce » (guide – NDLR) de l’extrême droite européenne et avoir fait revenir de force l’humanité en Europe.
Des messages haineux, sexistes et xénophobes...
« Carola, merci d’avoir mis ton corps dans cette bataille de civilisation », a publié sur Twitter l’écrivain antimafia Roberto Saviano, parmi des centaines d’autres messages rendant hommage à la jeune capitaine allemande. « Vous avez obéi à la loi des hommes, les mêmes hommes qui, il y a plus de 70 ans, ont plongé dans le trou noir de l’histoire, ceux qui relèvent encore la tête aujourd’hui. »
Ces derniers étaient, pour leur part, une poignée à vociférer sur le quai. « Les menottes ! », « J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres », ont-ils aboyé, se plaçant à la même hauteur de langage et de pensée politique que leur mentor, Matteo Salvini, qualifiant, l’avant-veille, Carola Rackete d’« emmerdeuse » qui lui « casse les couilles ». La fachosphère française également, sur le site de Riposte laïque notamment, diffuse depuis toute une série de messages haineux, sexistes et xénophobes, et qualifiant les naufragés secourus par le bateau humanitaire de « 42 futurs égorgeurs ».
La justice italienne doit annoncer aujourd’hui, à l’issue d’un interrogatoire mené par le parquet d’Agrigente, en Sicile, si la capitaine de 31 ans sera effectivement poursuivie. Comme sa consœur Pia Klemp, en attente de son procès depuis 2017, elle est passible de quinze ans de prison. Elle pourrait également être accusée de « résistance à un bateau militaire ». Un délit passible de trois à dix ans de réclusion.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, demande, quant à lui, une « clarification rapide » des accusations. « Sauver des vies est une obligation humanitaire, a-t-il déclaré samedi. Le sauvetage en mer ne doit pas être criminalisé. » La France, elle, se contente d’annoncer qu’elle peut accueillir dix des exilés mis à l’abri par Carola Rackete. « Ni la Commission européenne ni aucun gouvernement européen n’ont trouvé la solution pour le débarquement des 40 survivants, déclare pour sa part l’ONG qui affrète le navire humanitaire. C’est finalement la capitaine Carola Rackete qui, étant à la fois forcée et aussi prête à prendre ses responsabilités, a enfin mis en sécurité ces personnes. »
Une cagnotte pour l’aider à financer ses frais de justice atteignait bientôt, hier après-midi, les 400 000 euros tandis que dans plusieurs communes d’Europe se tenaient des rassemblements de soutien à la « capitaine Courage ».
https://you.wemove.eu/campaigns/avec-carola-rackete-et-pia-klemp-pour-la-justice-et-l-humanite
Au gouvernement italien
Au Parlement européen, à la Commission européenne et aux gouvernements de l'Europe
A tous les citoyens et citoyennes de l'Europe
Cette pétition prend la suite de l’appel publié les 27 et 28 juin sur Le Monde, Paris, et Il Manifesto, Rome : « Sea-Watch 3 : C’est maintenant qu’il faut inverser la destruction du droit et de l’humanité », avec 700 signataires. Elle est proposée par le Comité Européen contre la Criminalisation du Sauvetage en Mer (CECCSM).
Un appel international
En faisant arrêter la capitaine Carola Rackete comme « hors la loi » et l’accusant de « rébellion » militaire, en séquestrant son navire comme « bateau pirate », en menaçant l’ONG propriétaire d’une « maxi-sanction » de dizaines de milliers d’euros, le Ministre Matteo Salvini qui semble exercer désormais dans son pays un pouvoir sans limites vient d’ajouter le délire à l’infamie. C’est lui qui place l’Italie en dehors du droit international et des principes fondamentaux dont nos Etats tirent leur légitimité démocratique. De graves conséquences vont s’ensuivre si on n’y fait pas obstacle.
De son côté, en « forçant le blocus » de la douane italienne après 14 jours d’atermoiements de l’UE et l’aveu d’incapacité lamentable de la CEDH, en accostant malgré l’interdiction à Lampedusa pour sauver ses passagers en détresse, la Capitaine du Sea Watch 3 n’a fait que son devoir. Elle en a assumé les risques mais ne doit pas en payer injustement le prix. Il appartient aux citoyens d’Europe et à leurs gouvernements – premiers concernés et impliqués – de faire immédiatement le nécessaire pour que cesse la persécution illégale et déshonorante contre les sauveteurs et l’équipage du Sea Watch 3.
Ne l’oublions pas cependant : une autre capitaine allemande est jugée en Italie pour avoir sauvé plus d’un millier de vies en Méditerranée : accusée d’aide à l’immigration clandestine et de complicité avec les « passeurs », Pia Klemp risque vingt ans de prison pour les vies qu’elle a sauvées – ce qui provoque l’indignation de beaucoup en Europe et dans le monde mais ne semble pas émouvoir nos gouvernements. On veut faire peur aux sauveteurs, mais Carola et Pia ne seront pas les dernières à prendre de tels risques alors que l’hécatombe des noyades se poursuit en Méditerranée avec la complicité des Etats qui devraient l’empêcher.
Nous exigeons donc que le gouvernement italien se ressaisisse, abandonne ses poursuites, libère immédiatement la capitaine Rackete et débloque le Sea Watch 3 pour qu’il puisse poursuivre sa mission. Nous exigeons qu’il accueille les hommes, femmes et enfants rescapés de la guerre et de la noyade, en concertation avec les ONG et les autres pays européens, et instruise correctement leur demande d’asile. Nous exigeons qu’il cesse de criminaliser la solidarité exercée au nom des droits humains par ses propres citoyens. Nous exigeons qu’il cesse d’ameuter l’opinion publique contre les migrants dénués de tout et forcés de quitter l’Afrique.
Nous appelons le nouveau Parlement européen à proposer, la Commission à élaborer, et les Gouvernements à décider enfin, dans l’esprit de la Convention de Genève, la politique commune de l’asile, ainsi que les règles de répartition équitable des personnes qui permettront à l’Europe de remplir ses obligations, de restaurer sa légitimité morale, en faisant preuve de sa capacité politique. Nous les appelons à respecter les conventions SOLAS et SAR qui imposent le débarquement en lieu sûr des personnes secourues en mer, en déclarant que ni la Libye ni la Tunisie ne sont aujourd’hui des lieux sûrs. Nous les appelons à ordonner la reprise des sauvetages en mer et à cesser de financer et d’entraîner les garde-côtes libyens qui traquent et torturent les fugitifs sous prétexte de lutter contre les trafics. Toute autre attitude est en réalité criminelle, elle relève de la lâcheté et de l’idiotie. En voulant épargner des conflits à l’Europe, elle les aiguise et détruit son propre avenir.
Enfin nous appelons tous les citoyens et citoyennes d’Europe à s’élever contre la politique d’hostilité envers les réfugiés et les migrants dont l’Italie aujourd’hui se fait gloire et que d’autres pays pratiquent de façon hypocrite. Nous les appelons à se solidariser avec Carola Rackete et Pia Klemp. A l’heure où Matteo Salvini et d’autres cherchent ainsi à nous entraîner dans l’ignominie, ces femmes courageuses, avec leurs équipages, sont l’honneur du continent européen. Citoyens et citoyennes de l’UE, battons-nous pour les libérer et rejoignons-les dans leur combat qui s’amplifie. Il est certes difficile, mais ses enjeux sont incontestables : contre l’arbitraire, contre l’hystérie xénophobe et le racisme, pour le droit, pour la vie humaine, pour l’hospitalité et aux côtés de tous ceux qui la font vivre. Ne restons pas spectateurs.
Photo: SeaWatch
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