Des armes achetées par la France aux États-Unis ont été retrouvées dans un camp abandonné par le maréchal Haftar, le chef de guerre qui attaque la capitale Tripoli.
L’affaire est pour le moins embarrassante pour le gouvernement français. Le New York Times vient de révéler que les quatre missiles antichars découverts par les forces loyales au gouvernement d’union nationale (GNA) sur une base reprise fin juin au maréchal Haftar (qui a lancé en avril une offensive sur la capitale) étaient la propriété de la France.
« Les missiles Javelin trouvés à Gharyan (ouest) appartiennent effectivement aux armées françaises, qui les avaient achetés aux États-Unis, a déclaré le ministère français des Armées, confirmant les assertions du quotidien américain. Ces armes étaient destinées à l’autoprotection d’un détachement français déployé à des fins de renseignement en matière de contre-terrorisme. » Toutefois, ces munitions, « endommagées et hors d’usage », étaient « temporairement stockées dans un dépôt en vue de leur destruction » et « n’ont pas été transférées à des forces locales », assure Paris, qui se défend de les avoir fournies aux troupes du maréchal Haftar, sans pour autant expliquer comment elles ont fini sur cette base. « Il n’a jamais été question ni de vendre, ni de céder, ni de prêter ou de transférer ces munitions à quiconque en Libye », insiste le ministère français des Armées, qui ne dit pas non plus pourquoi ces munitions, stockées dans un pays en guerre, n’ont pas été rapidement détruites.
Le nœud gordien libyen
En réalité, l’affaire aurait pu en rester là. Mais dans le dossier libyen, depuis la guerre menée en 2011 sur volonté de la France de Sarkozy entraînant avec elle les États-Unis d’Obama et bien d’autres pays dont le Royaume-Uni, mais également les Émirats arabes unis, les antagonismes sont forts. Emmanuel Macron cherche à être le deus ex machina pour trancher le nœud gordien de cette Libye déchirée, affirmant soutenir le GNA mais aidant, en sous-main, les forces du maréchal Haftar, ce que montre la découverte de ces missiles. Ce n’est pas du goût de Washington, qui appuie, comme Moscou, au grand jour le maréchal et n’apprécie pas le double jeu de Paris. D’autant que le GNA bénéficie de l’aide de Doha et d’Ankara. D’où les révélations du New York Times. Selon l’agence de coopération pour la défense et la sécurité du Pentagone, la France a bien donné son accord, en 2010, pour l’acquisition de 260 missiles Javelin de fabrication américaine et les éléments associés, pour un coût total estimé à 69 millions de dollars (soit au cours actuel un peu plus de 61 millions d’euros).
Ces missiles particulièrement efficaces ont été utilisés notamment lorsque le maréchal Haftar a lancé la bataille pour reprendre Benghazi (est) aux islamistes épaulés par le Qatar et la Turquie. Haftar était alors soutenu par les Émirats, l’Égypte et… la France, qui avait dépêché des forces spéciales, comme l’a révélé François Hollande après qu’un hélicoptère dans lequel se trouvaient trois soldats français d’élite a été abattu lors d’une « dangereuse opération de renseignement », selon ses propres paroles. C’était en juillet 2016.
Yémen même salade
Autre fait troublant, ces Javelin auraient été retrouvés dans des caisses sur lesquelles il était indiqué qu’ils avaient été vendus en 2008 aux Émirats, important partenaire militaire des États-Unis. Ce qu’a démenti Abou Dhabi. Volonté de dissimulation pour masquer l’aide de Paris ou imbroglio international comme les armes françaises utilisées au Yémen par l’Arabie saoudite et dont une partie était officiellement destinée (et payée par Riyad) à l’armée libanaise ? Dans ce domaine, tout est possible. Pour notre part, nous avions constaté en avril 2011 alors que les combats faisaient rage entre la rébellion et les troupes de Mouammar Kadhafi dans la localité de Ras Lanouf qu’avaient été abandonnés par les troupes gouvernementales des missiles rangés dans des caisses en provenance de Corée du Nord qui étaient censées renfermer des « pièces détachées pour bulldozer ».
La France a reconnu tardivement avoir apporté du renseignement au maréchal Haftar dans la lutte antidjihadiste dans l’est et le sud du pays mais continue à réfuter tout soutien militaire dans son offensive contre Tripoli lancée il y a trois mois, tuant plus de 1 000 personnes, dont plus d’une centaine de civils et, parmi eux, des dizaines de migrants.
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