Le traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne (UE) et le Canada arrive à l’Assemblée nationale, mercredi 17 juillet. Forts du soutien des agriculteurs et des écologistes, tous les groupes d’opposition, sans exception aucune, ont fait savoir qu’ils voteront contre le projet de loi de ratification.
C’est un vote clé qui arrive à l’Assemblée nationale, mercredi 17 juillet. Et pourtant, les nombreux débats qu’il suscite n’auront certainement pas le temps d’être développés dans l’hémicycle, où les quelque soixante amendements déposés ont toutes les chances d’être rejetés. Une fois les élections européennes passées, l’exécutif a choisi de profiter de la torpeur estivale pour faire ratifier le traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada (Ceta) par les quelques députés encore présents en session extraordinaire.
Un calendrier que le secrétaire d’État en charge du commerce, Jean-Baptiste Lemoyne, avait justifié par la nécessité de mener à bien l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi de ratification. « Les questions commerciales ont été au cœur de la campagne, on ne les a pas du tout escamotées », faisait-il valoir dans un débat organisé par Mediapart, fin juin. Pour que « le Parlement soit pleinement informé », il fallait conduire une inspection visant « à travailler sur les filières agricoles sensibles », et une étude d’impact du Ceta sur l’économie française, réalisée par des économistes du CEPII, ajoutait-il.
Deux séries de travaux qui, selon Jean-Baptiste Lemoyne, « ont pris du temps ». D’où un vote en juillet. Ces études étant désormais sur la table, l’exécutif et la majorité estiment que tous les voyants sont au vert pour une ratification de l’accord commercial, avant le deuxième anniversaire de l'entrée en vigueur provisoire de l'essentiel du texte, le 21 septembre 2017. Malgré les « garanties » mises en avant par le rapporteur du projet de loi, le député La République en marche (LREM) Jacques Maire, les inquiétudes sont encore vives dans les rangs de l’opposition.
En témoignent les échanges qui ont précédé l’adoption du texte en commission des affaires étrangères, dans la soirée du 9 juillet. Forts du soutien des agriculteurs et des écologistes qui, une fois n’est pas coutume, se retrouvent pour dénoncer ce que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qualifie de « mauvais coup » du gouvernement, les élus d’opposition ont donné ce soir-là un avant-goût des débats qui ne manqueront pas d’agiter l’hémicycle, mercredi après-midi.
Des socialistes à la droite de Les Républicains (LR), en passant par La France insoumise (LFI) et Libertés et territoires, la totalité des représentants qui se sont exprimés en commission ont affirmé que leur groupe voterait majoritairement contre la ratification du Ceta, à l’exception des députés d’Agir – rattachés à l’UDI, mais proches de la majorité – qui opteront sans doute pour l’abstention. Pendant plus de trois heures, chacun a exprimé ses réticences à l’encontre d’un accord qui, selon l’élu communiste Jean-Paul Lecoq, « menace notre environnement, notre agriculture et notre modèle social à long terme ».
Pour LR, Pierre-Henri Dumont a conditionné le vote de son groupe à une demande : rouvrir la discussion sur la viande bovine. Sans grand espoir que la majorité y réponde favorablement, comme il le confiait à Mediapart quelques jours plus tard. « Nous ne voulons pas que l’agriculture, ses hommes, ses productions, ses traditions, ses paysages, soit demain le secteur de notre économie sacrifié au nom d’un libéralisme sans barrières, sans régulation », a fait valoir le député en commission, en précisant toutefois que la droite n’était pas « hostile par nature » aux accords de libre-échange, à condition d’en revoir le modèle.
S’il a lui aussi ringardisé le Ceta, dont il estime qu’il est la « lointaine queue de comète d’une autre vision du monde », Jean-Luc Mélenchon a critiqué de façon plus générale le libre-échange avec lequel il souhaiterait « en finir ». « Nous sommes au contraire pour la relocalisation maximale de toutes les activités. Ce n’est pas faire du repli, c’est se demander à quoi sert de déménager le monde quand ça ne sert à rien », a-t-il souligné au nom de son groupe, soulignant également le risque de « surproduction » des « produits les plus discutables », comme le gaz de schiste.
C’est sur le volet environnemental que la députée socialiste Laurence Dumont a consacré l’essentiel de son intervention. « Tous les jours, les effets du réchauffement climatique se révèlent au monde et votre majorité avance à marche forcée vers des accords qui amplifient le phénomène et n’apportent aucune contrainte sur le respect des accords de Paris », a-t-elle souligné, mettant en lumière le double discours d’Emmanuel Macron en la matière. Et l’impossibilité de mesurer les effets du Ceta depuis sa mise en place partielle, « quoi qu’en disent les rapports censés nous convaincre ».
« C’est le niveau zéro de la politique »
C’est aussi pour que « les parlementaires soient assurés que nos ambitions environnementales soient pleinement protégées à long terme », que le député Matthieu Orphelin, qui a quitté le groupe LREM en février, a annoncé déposer une motion d’ajournement du projet de loi de ratification de l’accord. « Dans le cas où cette motion serait rejetée en séance le 17 juillet, je voterai contre », a-t-il indiqué dans un communiqué.
Ce proche de Nicolas Hulot – qui a lui aussi appelé à « rejeter le Ceta » dans les colonnes du JDD – insiste également sur la nécessité d’avoir de vrais débats démocratiques sur les accords de libre-échange, au moment où celui conclu entre l’UE et les pays du Mercosur divise jusque dans les rangs de la majorité. Et rend toutes les discussions autour de la ratification du traité avec le Canada « épidermiques », de l’aveu même de la députée LREM Martine Leguille-Balloy.
Si le Ceta a été signé avant l’accord de Paris, la France se veut toutefois rassurante quant aux engagements du Canada en matière climatique. Le rapporteur du projet de loi de ratification, Jacques Maire, a ainsi rendu public un courrier récemment adressé par Jim Carr, le ministre canadien de la diversification du commerce international à son homologue français, Jean-Baptiste Lemoyne. Le Canada s’y montre favorable au « veto climatique ». « Avec ce veto (…) nous avons l’assurance qu’aucune entreprise canadienne ne pourra remettre en question devant un tribunal d’arbitrage notre réglementation environnementale », promet Lemoyne, dans le JDD.
Mais comme l’a souligné la députée LREM Nicole Trisse en commission, et comme s’en inquiétait déjà Matthieu Orphelin dans Les Échos, le sujet reste tout de même suspendu aux résultats des prochaines élections fédérales du Canada, prévues fin octobre. Le leader du parti conservateur Andrew Scheer, qui a voté contre l’accord de Paris, y est donné favori devant Justin Trudeau. « Pour avoir un débat serein sur le Ceta, je veux avoir des assurances sur le veto climatique, et peut-être aussi, attendre les résultats des élections au Canada », estime Matthieu Orphelin.
Aussi mesurées soient-elles, toutes les interventions des représentants de l’opposition ont provoqué un léger agacement et quelques levées de sourcils parmi les députés de la majorité présents en commission des affaires étrangères, le 9 juillet. Car pour eux, l’heure n’est plus à tergiversation dès lors que les inquiétudes ont été balayées par l’étude d’impact du CEPII. « Cette étude répond dans l’ensemble à ce que nous avions demandé, même si des améliorations sont encore souhaitables », a indiqué la présidente de la commission Marielle de Sarnez, qui s’était pourtant abstenue, lors du vote du texte au Parlement européen, le 15 février 2017.
Rappelant les « liens forts, d’amitié et de compréhension mutuelle » que la France entretient avec le Canada, la députée MoDem a affirmé qu’il n’y avait pas grand risque à signer un « accord innovant » avec « un pays qui nous ressemble et qui partage nos valeurs ». Un argument repris en boucle par les autres élus de la majorité : « Si nous ne signons pas d’accord avec le Canada, avec qui en signerons-nous ? » ont interrogé plusieurs d’entre eux. La députée LREM Annie Chapelier a même cru bon d’apporter un « éclairage historique » en rappelant le nombre de Canadiens tués au cours des deux guerres mondiales.
« C’est hors sujet ! » lui a rétorqué l’élu LR Michel Herbillon, qui avait déjà regretté, quelques minutes plus tôt, que le rapporteur évoque lui aussi dans son introduction le rôle joué par le Canada pendant la guerre. « Pardon de le dire, mais ce n’est pas le sujet. On aime beaucoup le Canada et la question n’est pas de remettre en cause le Canada en tant que pays », a-t-il eu besoin de rappeler. « C’est le niveau zéro de la politique, c’est ridicule. S’ils en sont à dire ça, c’est bien qu’il y a un sujet quelque part », commentait Pierre-Henri Dumont (LR), quelques jours plus tard, auprès de Mediapart.
L’autre argument que la majorité ne manquera pas d’utiliser dans l’hémicycle mercredi a été glissé par la députée LREM Marie Lebec, rapporteuse pour avis, lors d’une conférence de presse organisée à l’Assemblée, juste avant le passage du texte en commission. « Sur la question de nos oppositions et malgré les prises de parole médiatiques, nous espérons un soutien de leur part car l’accord [entre l’UE et le Canada – ndlr] a démarré sous Nicolas Sarkozy et a été validé sous Hollande », avait-elle souligné.
Dans le JDD, Jean-Baptiste Lemoyne s’étonne lui aussi de la position de LR et du PS sur le sujet. « Mon ancienne famille politique est désormais sans cap, sans boussole, sans chef et sans colonne vertébrale, dit-il. Et quand je vois le député socialiste Boris Vallaud demander un référendum alors même qu’il était secrétaire général adjoint de l’Élysée de François Hollande quand celui-ci a signé le Ceta au nom de la France, je me dis qu’au bal des reniements le Parti socialiste est roi. » Également esquissé par Jacques Maire en commission, l’argument a suscité une vague de vociférations.
En février 2017, lors de son adoption par le Parlement européen, la majorité des eurodéputés français s’étaient opposés au traité de libre-échange de l’UE avec le Canada. La plupart des élus LR avaient soutenu le texte, à l’exception de six d’entre eux qui s’étaient abstenus (Michèle Alliot-Marie, Arnaud Danjean, Angélique Delahaye, Michel Dantin, Brice Hortefeux, Nadine Morano). Quant aux libéraux de l’UDI-MoDem, ils s’étaient divisés entre l’abstention (Marielle de Sarnez, Nathalie Griesbeck), l’opposition (Jean Arthuis, Robert Rochefort) et l’approbation (Sylvie Goulard, Dominique Riquet).
Le vote à Strasbourg a entraîné l’application provisoire de la quasi-intégralité du Ceta, à l’exception du chapitre sur l’arbitrage État/investisseur. Depuis, treize parlements nationaux ont donné leur feu vert. Le rejet par un seul parlement suffirait à suspendre le texte.
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