Washington veut régler la question palestinienne à coups de milliards de dollars, sans évoquer le droit à l’autodétermination et donc à un État. But ultime : rapprocher ses alliés du Golfe et Israël face à l’Iran.
Bande de Gaza, envoyé spécial.
Vue de la bande de Gaza, l’ouverture, aujourd’hui, à Bahreïn, de la conférence voulue par les États-Unis, consacrée à la Palestine et intitulée « De la paix à la prospérité », est tout simplement surréaliste. Depuis près de douze ans maintenant, près de deux millions de personnes de ce territoire palestinien subissent un blocus inhumain de la part d’Israël avec un lâche silence international, qui se traduit par une asphyxie de leur économie et un délabrement de leurs conditions de vie, qu’on les enferme comme du bétail, qu’on les bombarde à intervalles réguliers sous prétexte qu’ils refusent cet état de fait ou qu’ils soeint sous la surveillance permanente des drones israéliens. Voilà maintenant qu’il leur faudrait découvrir le bon Donald Trump, déguisé en roi mage, apportant son offrande sur un plateau.
Un plateau sur lequel il manque néanmoins l’ingrédient principal sans lequel aucune recette n’est réalisable : l’autodétermination du peuple palestinien. Ce volet économique – dévoilé samedi –, qui voudrait éteindre une fois pour toutes les velléités palestiniennes d’indépendance, promet monts et merveilles. 50 milliards de dollars seraient levés au cours de la prochaine décennie. Le PIB des Palestiniens serait doublé. Un million d’emplois seraient créés… « Il représente l’effort international le plus ambitieux et le plus complet pour le peuple palestinien jusqu’ici », prétend la Maison-Blanche.
On peut même lire dans le document qu’« aucune vision pour les Palestiniens ne peut se réaliser sans le soutien total du peuple palestinien et de ses dirigeants » ! Ces derniers ont déjà exprimé leur sentiment sans ambages. Vendredi, en différents points de la bande de Gaza, des milliers de Palestiniens ont participé à la Marche du retour sous une banderole on ne peut plus claire : « La terre n’est pas à vendre ». Comme en réponse, les snipers israéliens, postés tout le long de la frontière, ont appuyé sur la détente de leurs fusils à lunette. Abbas, 23 ans, blessé à cinq reprises, était là une fois de plus « pour lancer un message à Israël. Nous demandons pacifiquement nos droits. Nous voulons notre terre ». Hamza, infirmier de 25 ans, l’affirme tout de go : « Ce plan ne m’intéresse pas. La patrie est dans nos gènes. C’est nous qui devons décider. » Ni l’un ni l’autre ne sont des militants.
L’ensemble des organisations palestiniennes, pour une fois passant outre leur division, rejettent ce plan et ne feront pas le déplacement à Bahreïn. « Le potentiel économique total de la Palestine ne peut être atteint qu’en mettant fin à l’occupation israélienne, en respectant les lois internationales et les résolutions de l’ONU », a prévenu Saeb Erekat, le secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Pour Talal Abou Zaryfa, du comité central du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), « ce plan est inacceptable car il veut effacer les droits légitimes du peuple palestinien ».
L’atout maître dans la manche de Trump et de son gendre Jared Kushner, qui est à la manœuvre, réside dans la présence de plusieurs pays arabes. Les poids lourds du Golfe que sont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis seront bien là, de même que la Jordanie, l’Égypte (seuls pays arabes à avoir signé une paix avec Israël) et le Maroc (où des milliers de personnes ont manifesté samedi en signe de protestation). L’ONU sera représentée, de même que l’Union européenne (UE) ainsi qu’une délégation israélienne, sans doute des chefs d’entreprise, comme l’a laissé entendre Benyamin Netanyahou, histoire de ne pas trop choquer. En revanche, la Russie et la Chine ne seront pas au rendez-vous. Un tableau qui dresse à lui seul les antagonismes et affrontements régionaux. « Ceux qui participent à cette conférence sont des partenaires pour la destruction de la cause palestinienne », a confié à l’Humanité Khaled Al Batch, dirigeant du Djihad islamique, alors que Abdellatif Kanwa, porte-parole du Hamas, également rencontré, veut croire que « ce n’est pas parce que des pays arabes participent qu’ils vont nous forcer à adopter les décisions. Personne ne peut nous forcer ».
Alors que la tension monte entre les États-Unis et l’Iran, tout semble indiquer que cette conférence n’est qu’un prétexte pour rapprocher nombre de pays arabes et Israël, unis dans leur combat régional contre Téhéran. Pour rendre cela possible, il convient de faire croire que la question palestinienne peut être réglée grâce à la baguette magique économique. Quitte à faire porter la responsabilité de tout échec sur les Palestiniens comme cela est régulièrement le cas de façon mensongère. Car, en réalité, le volet politique qui est censé suivre, régulièrement annoncé et tout aussi régulièrement reporté, est en train de se mettre en place. Les États-Unis ont fermé le bureau de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington, signe que ce n’est pas un partenaire de discussion, ont reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël ainsi que l’annexion du Golan syrien, supprimé leur aide financière à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, afin que disparaisse cette question, et des signaux favorables sont envoyés au gouvernement israélien pour une mainmise quasi totale sur la Cisjordanie, où la colonisation se poursuit. La ficelle est grosse et pourtant… C’est un véritable piège qui est tendu au peuple palestinien.
Maher Mezher, Membre du comité central du Front populaire de libération de la Palestine et dirigeant dans la bande de Gaza, décrypte les enjeux de la conférence qui se tient au Bahreïn jusqu’à mercredi.
Envoyé spécial.
Comment jugez-vous cette conférence de Bahreïn axée sur le volet économique et l’attitude des pays arabes ?
Maher Mezher Cette conférence ne représente pas la Palestine pour qui est un homme d’honneur. Elle concerne ceux qui veulent trahir la cause palestinienne et garder leur poste de roi, de prince ou de président. Le fait même que cette conférence aborde le volet strictement économique montre que le seul but recherché est que les Palestiniens vendent leur terre. Notre cause n’est pas une cause humanitaire, c’est celle du droit d’un peuple qui veut libérer sa terre occupée. C’est pourquoi l’ensemble des forces palestiniennes refusent ce deal et qu’il n’y aura pas de représentants palestiniens au Bahreïn.
De quelle manière pouvez-vous vous opposer à cette stratégie américaine soutenue par Israël alors qu’une grande partie des pays arabes y participent ?
Maher Mezher De grandes actions sont prévues qui vont mobiliser le peuple palestinien. Pour l’ouverture de la conférence, la bande de Gaza sera en grève générale et, demain, une conférence populaire se tiendra à Gaza-ville, à laquelle participeront tous les partis et toutes les organisations de la société civile. L’après-midi, des manifestations se dérouleront le long de la frontière pour dire que nous sommes tous des résistants, opposés à cet « accord du siècle » qu’on veut nous imposer. En Cisjordanie également, des manifestations ont démarré hier et des rassemblements se tiendront devant tous les check-points dressés par l’occupant israélien. Une action est par ailleurs prévue dans le camp de Yarmouk, en Syrie, pour rappeler le droit au retour des réfugiés palestiniens. Enfin, les grandes marches pour le retour, initiées en mars 2018 à l’occasion de la Journée de la terre, vont se poursuivre.
Comment expliquer le blocage concernant la réconciliation entre les deux principales forces palestiniennes, Hamas et Fatah, alors que chacun se renvoie la balle et que la division demeure ?
Maher Mezher Effectivement, jusqu’à présent, tout est bloqué malgré les accords passés entre le Hamas et le Fatah. Chacune de ces organisations a son propre agenda international. On sent bien que certains n’ont pas une réelle volonté d’atteindre l’unité, parce que la division sert leurs propres intérêts. Au détriment du peuple palestinien.
La division interpalestinienne apparaît comme un frein à toute initiative et semble désespérer les Palestiniens. Comment la surmonter ?
Maher Mezher En tant que FPLP, nous invitons le Fatah et le Hamas à en finir avec cette division qui écrase notre cause et à réaliser l’unité pour combattre cet accord du siècle. Il faut oublier la discorde pour être fort et soutenir la société palestinienne. Dans ce cadre, nous avons présenté plusieurs propositions : ouvrir le dialogue avec toutes les organisations, appliquer tous les accords passés entre le Fatah et le Hamas depuis le 4 avril 2011, inviter le président Mahmoud Abbas à réunir la structure de direction provisoire de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) incluant toutes les organisations, membres et non-membres de l’OLP, afin que soit élaboré un nouveau projet, organiser des élections législatives et présidentielle et, enfin, arrêter tout engagement avec Israël prévu par les accords d’Oslo et ceux de Paris (volet économique d’Oslo – NDLR), et cesser la coordination sécuritaire avec les Israéliens.
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