Patrick Le Hyaric en conférence-débat sur l'enjeu des élections européennes à Roscoff le samedi 2 mars avec deux des quatre candidats bretons du PCF aux élections Euopéennes: Cindérella Bernard et Glenn Le Saoût
Note de travail
Sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), quelles conséquences ?
Le Parlement britannique a rejeté plusieurs fois l’accord de retrait négocié avec l’Union européenne.
ACCORD DE RETRAIT, AMBITIONS BRITANNIQUES, DERNIERS DEVELOPPEMENTS, REACTIONS
- L’accord de retrait
C’est l’accord négocié entre Theresa May, la Premier ministre britannique et Michel Barnier pour l’Union européenne. Ce texte de 585 pages agréé le 14 novembre 2018 règle les termes du divorce, financiers d’un côté (le Royaume-Uni s’est engagé sur une suite de dépenses communes à long termes avec l’Union européenne, comment en sortir), et juridiques (quels droits pour les citoyens européens résidants au Royaume-Uni et pour les Britanniques dans l’Union européenne). C’est dans ce texte que se trouvent aussi les garanties juridiques cruciales pour que l’Irlande ne voit pas une frontière physique la diviser de nouveau. C’est cette garantie juridique obtenue grâce à la solidarité complète des autres États européens avec l’Irlande, qui fait tiquer au Royaume-Uni. En vérité, on peut penser que garder une partie de l’Irlande au sein de l’Union européenne reviendrait à garder le Royaume-Uni.
Quel règlement financier ?
-la facture du divorce s’élève à 44 milliards d’euros, c’est le chiffrage de projets européens sur lesquels le Royaume-Uni s’est engagé comme des programmes de recherches communs. La Cour des comptes britannique estime que la somme peut attendre les 60 milliards auquel il faudra ajouter 14 milliards d’engagements sous la forme de prêts à rembourser.
-le Royaume-Uni contribuera aux budget 2019 et 2020 comme s’il était un membre à part entière.
-si la plupart des engagements financiers seront réglés d’ici 2025, certains pourraient courir jusqu’à 2064, notamment le paiement des retraites des fonctionnaires européens britanniques.
Les droits des citoyens
-les droits à la sécurité sociale des 3 millions d’Européens au Royaume-Uni et 1 million de Britanniques dans l’Union européenne sont maintenus.
-les citoyens européens dans le Royaume-Uni pourront demander la résidence, garder leur droit au regroupement familial et aides familiales britanniques.
-l’accord n’est pas soumis à la supervision directe de la Cour européenne de justice mais les tribunaux britanniques devront indéfiniment « prendre en compte » la jurisprudence de la Cour européenne de justice dans les questions relatives aux droits des citoyens européens. C’est une façon de donner aux Britanniques l’indépendance juridique complète qu’ils demandaient, notamment celle de la Cour européenne de justice, tout en maintenant les droits des citoyens en garantissant une cohérence juridique.
La période et la méthode de transition
-la période de transition ira jusqu’à 2020. Durant cette période le Royaume-Uni n’aura plus son mot à dire sur les politiques européennes mais devra appliquer le droit européen, ce qui maintiendra la liberté de circulation le temps de se mettre d’accord sur la future relation.
-si la période de transition est étendue au-delà de 2020 (on parle de deux années supplémentaires dans le cas où on n’arriverait pas à se mettre d’accord sur la future relation), le Royaume-Uni devra contribuer à hauteur de 10 à 15 milliards d’euros annuels au budget européen.
L’Irlande : le filet de sécurité ou « Backstop »
-c’est un protocole spécial prévu pour l’Irlande du Nord avec le « filet de sécurité » qui garantit la libre circulation des personnes et des biens en Irlande (pas de frontière physique) le temps qu’un nouvel accord le remplace. Ceci lie l’Irlande du Nord à l’union douanière et au marché unique européen, mais il n’est pas précisé pour combien de temps.
-ce « backstop » doit être accompagné d’une union douanière Union européenne-Royaume-Uni allégée qui doit éviter les contrôles, droits de douanes entre les deux ensembles.
-pour les unionistes d’Irlande du Nord du DUP, le partenaire de coalition de Theresa May, le problème cela revient à s’éloigner du Royaume-Uni alors que l’essence même de leur mouvement est le maintien dans le Royaume-Uni. Ce qui était censé être une question mineure devient finalement un des points d’achoppement de l’accord de retrait du fait de l’importance du DUP pour la coalition de Theresa May.
Les engagements britanniques
-pour s’assurer que les Britanniques ne vont pas chercher à contrebalancer les effets économiques du Brexit par une fuite en avant dans le dumping fiscal et social, le Royaume-Uni s’engage à suivre les règles de concurrence et maintenir l’environnement juridique en termes de droits du travail, fiscalité et environnement.
Rien n’est par contre réglé sur la question de l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques riches en poisson après 2020. C’est pourtant une question vitale pour les pêcheurs normands et bretons, comme j’ai pu le constater lors d’un déplacement à Roscoff.
La « gouvernance » de l’accord
-la « gouvernance » de l’accord est le système juridique qui garantit son application. Tout accord intra-européen est placé sous l’autorité de la Cour européenne de justice, mais comment faire avec un Royaume-Uni qui refuse cette supervision ? Le résultat est le système de gouvernance le plus complexe jamais négocié, il est calqué sur l’accord d’association avec l’Ukraine, mélangeant un système de résolution des différends entre États lorsque leurs positions diffèrent sur un point juridique et des dispositions qui assurent à la Cour européenne le dernier mot en ce qui concerne les aspects liés au droit européen.
La déclaration sur les futures relations
-le texte est accompagné d’une déclaration politique de bons sentiments réciproques sur des relations commerciales « aussi proches que possible », mais qui n’engage en rien. Les Britanniques voulaient un texte beaucoup plus explicite, notamment le gouvernement May pour faire passer l’accord de divorce auprès de son Parlement. Or la déclaration n’est pas suffisamment claire sur la limitation du « backstop » dans le temps, et au lieu de parler « d’équivalence » des normes industrielles, financières et sanitaires, ce qui faciliterait un accès des Britanniques au marché européen, on s’en tient à de vagues engagements. Pour résumer : les négociateurs européens n’ont rien lâché à leurs homologues britanniques qui voulaient peser sur les négociations de la future relation avec ce texte.
Un des points de sortie du blocage actuel pourrait être de modifier ce texte en donnant aux Britanniques quelques assurances.
- Ce que voulait le gouvernement britannique
Voici ce qui était défini dans le plan de Chequers (lieu de villégiature du Premier ministre britannique) du 12 juillet 2018 :
-des règles communes Union européenne-Royaume-Uni pour tous les biens et marchandises MAIS « avec des arrangements différents pour les services », « lorsqu’il est dans notre intérêt d’avoir une flexibilité règlementaire » (donc la possibilité de faire du dumping).
-une coopération dans la politique de concurrence MAIS une politique de concurrence britannique autonome.
-une harmonisation continue des normes entre Union européenne et Royaume-Uni, l’absence d’une frontière physique en Irlande et un commerce fluide via un « territoire d’union douanière combinée » MAIS une politique commerciale britannique indépendante. C’est très dangereux car si les Britanniques acceptent dans le cadre de futures accords commerciaux des produits que nous refusons comme du bœuf aux hormones américain, ces produits pourraient se servir du Royaume-Uni comme porte dérobée pour rentrer sur le territoire européen. Il était même proposé que ce soit les Britanniques qui collectent les droits de douanes pour l’Union européenne à l’entrée de produits destinés au continent.
-un « cadre de mobilité » pour les citoyens européens donc la possibilité de circuler, MAIS le contrôle de la circulation des personnes laissé aux Britanniques.
-la reconnaissance de la primauté de la Cour européenne de justice sur les affaires liées au droit européen MAIS elle n’aurait pu trancher les futures disputes entre Union européenne et Royaume-Uni.
Dès le départ, les propositions des conservateurs britanniques étaient irréalistes et contradictoires avec les éléments d’apaisement destinés aux Européens. On s’inscrit donc dans une négociation tentant d’obtenir le plus possible des partenaires européens, c’est à dire garder un statut quo sur le marché unique si important pour le patronat britannique tout en réaffirmant la souveraineté britannique sur le commerce, la circulation des personnes et la supervision de la Cour européenne de justice.
- La stratégie de Mme May
Après trois rejets de son accord de retrait par son Parlement (le dernier ce vendredi), puis avoir caressé l’espoir de le faire passer lors d’une quatrième tentative, Theresa May s’apprête enfin à parler avec l’opposition, alors que la date prévue du Brexit, le 29 mars, est déjà dépassé. Pourquoi cette approche ?
Le calcul de Theresa May a toujours été de mettre son Parlement au pied du mur. Dans l’opposition à l’accord de retrait négocié par son gouvernement, deux visions s’opposent : les « soft-brexiters » (ceux qui veulent un Brexit doux) menés par les travaillistes du Labour et Jeremy Corbin, qui veulent pousser May vers un accord comme celui avec la Norvège pour rester dans le marché unique, et les « hard-brexiters » (partisans Brexit dur) qui ne veulent pas d’accord et encore moins d’un Brexit doux. Mais si Theresa May perd la main, les « soft-brexiters » pourraient imposer leur vision, et peut-être même pousser pour un second référendum, ce qui pouvait les pousser « hard-brexiters » à se rallier finalement à l’accord de retrait comme un moindre mal.
Dans cette tragique histoire Theresa May n’a compté que sur l’arithmétique au sein de son propre parti, les conservateurs, pourtant responsables du Brexit. C’est pourquoi elle a la semaine dernière encore fait monter la pression sur les « hard-brexiters » en retardant le Brexit. Après un premier délai du 29 mars au 12 avril, un second délai était annoncé toujours avec le risque d’un « soft-Brexit » qui pourrait prendre le dessus, toujours pour mettre la pression sur son propre camp.
Le vote de ce vendredi marque l’échec de sa stratégie et oblige May à se détourner d’une partie des conservateurs pour faire en quelques jours ce qu’elle s’est refusée à faire pendant deux ans : parler avec l’opposition. Cette situation est affligeante et démontre le niveau d’irresponsabilité atteint par les conservateurs dans cette histoire. Elle démontre aussi la profonde division qui traverse la société britannique sur le Brexit. La plus raisonnable des choses à faire aurait été de consulter les Britanniques pour définir quel type de sortie ils veulent, et à défaut de faire ce nécessaire dialogue avec son opposition.
Devant ce chaos les Européens sont prêts à faire des concessions sur la future déclaration. Leurs seules conditions sont que les Britanniques organisent des élections européennes chez eux si nous dépassons le 22 mai pour le délai et qu’ils s’engagent à ne pas influencer sur les décisions européennes tant que durera cette transition.
LES CONSEQUENCES DU BREXIT POUR LES BRITANNIQUES
- En cas de non accord
Elles sont évaluées dans 28 documents de prospectives du gouvernement britannique :
-fin des financements des programmes européens, à compenser par le trésor britannique
-circulation des voitures britanniques bloquées à la frontière sans documents d’homologation européens
-dans les entreprises, les différends juridiques transfrontaliers sur les affaires font l’objet de plans pour en limiter les impacts, mais les différends familiaux (divorce, garde d’enfants) s’annoncent extrêmement compliqués
-l’homologation des produits britanniques à destination de l’Union européenne par des fonctionnaires britanniques ne sera plus reconnu par l’Union européens, les produits britanniques pour le marché européen devront respecter les règles des pays européens
-dans l’autre sens, certains biens avec des prérequis très techniques comme les voitures ne pourront plus rentrer sur le marché britannique
-les producteurs de voitures au Royaume-Uni mais destinées au marché européen comme la MiniCooper ou les grandes usines Toyota pourraient faire le choix d’avoir des unités de production ne suivant que les normes de l’Union européenne. C’est laborieux, la chaine de valeur serait perturbée, et on perdrait en flexibilité
-la participation des entreprises britanniques aux marchés publics européens sera remise en cause
-les chaines de télévision installées à Londres et qui diffusent en Europe (BBC, Discovery, Disney Chanel) ne pourront plus le faire, d’où les rumeurs d’une délocalisation de BBC international à Bruxelles
-tous les arbitrages de concurrences dans le Royaume-Uni (antitrust, distorsion, monopole, cartels etc.) seront entièrement gérés par des Cours de justice britanniques, on ne sait pas du tout dans quel sens cette nouvelle jurisprudence ira, d’où les incertitudes
-tout transfert de données personnelles européennes vers le Royaume-Uni devra certifier que les données seront traitées selon le cadre européen ce qui amènera lourdeurs et frais juridiques
-les règles de limitations d’émissions de pollution dans l’industrie continueront à être celles de l’Union européenne à la demande de l’industrie britannique. De même pour les règles environnementales qi devront être garanties par des entités locales (mais reconnues par l’Union européenne).
-pour chaque navire britannique rentrant dans un port européen, de nouvelles demandes d’information (10 dernières destinations, liste de l’équipage et passagers) et procédures seront à prévoir
-énorme demande de renouvellement de passeports britanniques car les règles de Schengen imposent un passeport pas plus vieux que 9 ans et avec encore 6 mois de validité
-exclusion du GPS européen Galileo et du programme spécial d’observation de la terre Copernicus (mais côté européen cela met Galileo en retard dans son développement)
- Quelques éléments chiffrés(pour les Britanniques) :
Dans les 28 documents de prospectives du gouvernement britannique, on peut trouver les chiffres suivant (https://www.gov.uk/government/collections/how-to-prepare-if-the-uk-leaves-the-eu-with-no-deal#money-and-tax) :
-Un PIB diminuant de 6% d’ici 2030 comparé à un scénario normal
-5 400 euros en moins par foyer dans un scénario d’accord de libre-échange type Canada
-7,2 milliards de droits de douanes perçus aux frontières européennes sur les produits britanniques
-augmentation du taux de chômage de 1,5% en deux ans (prévision du FMI) soit 950 000 emplois en moins d’ici 2020. PriceWaterhouseCoopers table lui sur +3% de chômage
-manque à gagner pour le Trésor britannique du fait de la perte d’activité de 20 à 40 milliards d’euros annuels d’ici 2020 selon les estimations.
- Les conséquences pour l’État britannique
Le Royaume-Uni se voit obliger de construire une nouvelle administration reprenant en charge tout ce qui avait été délégué à l’Union européenne, de la PAC à Euratom en passant par le rôle des agences européennes (plus d’une cinquantaine).
Dans le droit : Le « Great Repeal Bill » est le projet de loi qui doit abroger l’European Communities Act de 1972 et qui prendra effet au moment effectif de la sortie du Royaume-Uni. C’est lui qui va incorporer le droit européen dans le droit britannique et clarifier la position britannique sur la Cour Européenne de Justice et ses arrêts passés. Tous les textes européens seront intégrés dans le droit britannique via ce Great Repeal Bill (ou loi de grand remplacement) qui va littéralement copier les 19 000 pour les intégrer.
Les arrêts passés de la Cour européenne de justice continueront à s’appliquer et auront la même portée que les arrêts de la Cour suprême britannique.
Enfin pour aligner les textes européens avec la structure de droit britannique (par exemple s’il y a référence à une agence, un régulateur européen qui n’a plus de pouvoir sur le Royaume-Uni), un millier « d’instruments statutaires » sont prévus pour modifier ces textes dans une forme qui les fait passer dans le corpus britannique (donc pas de modification sur le fond). La petite histoire veut que ces instruments statutaires passeront par des pouvoirs établis par Henry VIII au XVième siècle limitant les pouvoirs de suivi parlementaire.
Deux avantages : on garde une continuité législative qui rassure (les lois en vigueur ne changeront pas du jour au lendemain), et on dispose d’une structure législative compatible avec l’Union européenne facilitant les négociations du futur accord commercial.
Mais deux arguments du Brexit disparaissent : le « plus de démocratie » (on passe par des instruments législatifs d’Henry VIII pour être dans les temps), et le « reprendre le contrôle » prôné par les conservateurs (il est plus que limité étant donné que le passif européen est intégré et que les futurs textes européens seront désormais écrits sans eux, tout en s’imposant via le marché unique quel que soit la forme d’union douanière).
Conséquences sur des politiques clefs :
Avec la sortie de l’Union européenne c’est aussi la sortie du Traité Euratom (traité instituant la communauté européenne de l’énergie atomique datant de 1957). Or toutes les questions de surveillance nucléaire, coopérations et fourniture de combustible nucléaire, venant de l’Union européenne ou d’ailleurs, passent par Euratom ou des accords entre l’Union européenne et des pays tiers. De plus le traité est garanti par la Cour européenne de justice. Pour les Britanniques, il y a donc des questions vitales sur la fourniture de combustible à leurs centrales (qui passent par Euratom) ou la gestion des déchets nucléaires sur le sol britannique pour le compte d’Euratom (les Britanniques ont le plus gros stock du monde de plutonium civil).
–L’agriculture britannique est dépendante des subsides de l’Union européenne pour 50 à 60% de ses revenus, il n’est pas sûr que l’OMC permette légalement que ces subsides puissent être réintroduits par les Britanniques.
Concernant la qualité : toutes les lois de protection de l’environnement (environ 800) sont européennes, avec le « Great Reppeal Bill » on peut les copier mais comment les faire respecter sans Cour européenne de justice pour les garantir légalement, et sans agences pour faire les inspections (ou surveiller la façon dont sont faites les inspections). Cela vaut également pour toutes les questions de sécurité sanitaire. Il y a donc danger pour les Britanniques sur la qualité de leur alimentation mais aussi risque de dumping.
-Concernant les services financiers, on a mis en avant la notion « d’équivalence » (on estime que les standards nationaux respectent les standards européens). Mais on est bien loin du « passeport pour les services » voulu par les Britanniques. Ce dernier permettait à toute entreprise établie au Royaume-Uni de proposer ses services financiers dans l’Union européenne. Avec l’équivalence, on est sur une autorisation par type de service (donc moins large) accordée par l’Autorité européenne de surveillance des marchés qui peut être retirée à tout moment (ce qui crée une instabilité juridique dont les marchés ont horreur). Les Britanniques seront alors dépendants du bon vouloir des régulateurs européens pour le rayonnement de leur place financière, la City.
-Le Royaume-Uni a beau ne pas être membre de Schengen, en termes d’immigration les règles de Dublin permettaient de renvoyer chaque année un millier de demandeurs d’asile vers les autres pays de l’Union européenne (ces règles prévoient de pouvoir les renvoyer vers leur premier pays d’entrée sur le continent). Avec la fin de ces règles, l’immigration vers le Royaume-Uni pourrait finalement devenir beaucoup plus tentante puisque que le Royaume-Uni deviendrait le seul pays de l’Europe dont l’on ne peut vous pas renvoyer (vers un autre pays de l’Union européenne).
-Enfin, dans l’optique d’un nouvel accord de commerce Union européenne-Royaume-Uni, se trouvera forcément une clause de règlement des différends. Quel est alors l’intérêt de vouloir se sortir de la juridiction de la Cour européenne de justice pour tomber sous celle d’un tribunal d’arbitrage privé ?
Gibraltar, Ecosse Irlande
Les Espagnols ont d’abord bloqué l’accord de retrait, ces derniers voulant que tout accord avec le Royaume-Uni « ne s’appliquera (pas) à Gibraltar sans le consentement du Royaume d’Espagne et du Royaume-Uni ». Ils ont ainsi obtenu dans l’accord de retrait qu’un passage sur le futur accord mentionne qu’il est flexible territorialement et donc que ce futur accord ne s’appliquera pas automatiquement à Gibraltar.
Les Espagnols ont également modifié leur position vis à vis de l’Ecosse. Auparavant l’Espagne était contre toute adhésion de l’Ecosse à l’Union européenne (de peur que ça n’inspire la Catalogne), ce que les autorités britanniques ne manquaient pas de rappeler aux indépendantistes écossais. Désormais la diplomatie espagnole se montre plus ouverte.
L’Ecosse a voté à 62% pour rester dans l’Union européenne. Deux jours après la lettre de Theresa May activant l’article 50, le Parlement écossais vote une motion (69 contre 59) pour un nouveau référendum (le précédent fut perdu le 18 septembre 2014 par 55,4%). Pour les autorités britanniques tant que le Brexit n’est pas négocié c’est impossible.
Irlande. L’accord dit « du vendredi Saint » de 1998 institutionnalise les relations entre l’Irlande du Nord et l’Irlande, il met fin à une lutte fratricide entre partisan de l’union avec le Royaume-Uni (unionistes) et ceux d’un rattachement avec l’Irlande comme le Sinn Fein. Cet accord introduit une large autonomie vis à vis du Royaume-Uni. Les Irlandais refusent que le Brexit déstabilise cet équilibre et qu’il réintroduise une frontière physique entre l’Irlande du Nord et l’Irlande.
Les conséquences pour l’Union européenne:
-le manque de financement pour le budget de l’Union européenne s’élèvera à 10 milliards d’euros annuels. Pour la Politique agricole commune (PAC), on estime le déficit de financement entre 1,2 et 3,1 milliards d’euros.
-des effets de transferts de quotas d’importations agricoles joueront. Par exemple les viandes sud-américaines qui rentraient dans le marché britannique le faisaient via des quotas européens. Le Royaume-Uni sorti, les quotas resteront en place, donc ces viandes pourront au lieu d’aller au Royaume-Uni aller en France ou ailleurs dans l’Union européenne. Ce surplus de viandes déséquilibrera un peu plus l’élevage déjà bien en difficulté et menacé par d’autres accords de commerce en négociations.
-les perturbations sectorielles sur des industries de réseaux comme les télécoms, l’énergie, le transport aérien et toutes les chaines de production industrielles.
– Le 13 mars, le gouvernement britannique a publié les droits douaniers qu’il appliquerait aux produits européens en cas de sortie de l’Union européenne sans accord. Dans ce scénario, et pendant un an à partir du 29 mars à 23h, les entreprises britanniques ne paieraient pas de droits sur 87 % des importations européennes. Seuls 13 % de ces importations se verraient appliquer des droits de douanes ou contingents (limitations) tarifaires. Ce serait le cas, entre autres, de certains produits agroalimentaires et de la pêche, des véhicules, des bananes et du sucre de canne brut. Cette initiative vise à minimiser l’impact d’un ‘no deal‘ sur les consommateurs et producteurs britanniques.
-le partage de l’effort climatique pour la réduction des émissions qui devra être recalculé, ajusté avec le Brexit.
-Pays-Bas, Belgique, Irlande seront les plus touchés (perte de croissance de 1 à 1,8 points d’ici 2021 selon le cabinet Euler Hermes), l’Allemagne perdrait 8,4 milliards d’exports dont 2,4 dans l’automobile. La France sera le 5ème pays le plus touché.
Les risques pour la France :
(synthèse des calculs de différents cabinets d’études)
-50 000 emplois sont menacés dans l’hypothèse d’une réduction de 25% des exports vers le Royaume-Uni (en Allemagne c’est 102 000)
-pour les entreprises françaises, il y a un risque de perte de 3,2 milliards d’euros d’exports vers le Royaume-Uni soit 0,5% de nos exportations. Cela concerne le secteur de la chimie pour 600 millions d’euros, de la machine-outil pour 500 millions, de agriculture pour 400 millions, mais très ciblé essentiellement sur les viandes. L’agriculture bretonne est très exposée.
-pour les ports français, il y aura de nouveaux besoins d’infrastructures douanières, et il y aura un transfert des routes Irlande-Royaume-Uni-continent vers des routes directes Irlande-continent passant par la France.
-l’accès des pêcheurs français aux eaux britanniques sera perturbé si ce n’est interdit, alors que pour certaines espèces, l’essentiel est fait dans les eaux britanniques.
Pour conclure
L’Union européenne a fait front, à tel point que ce qui semblait être un point mineur, l’Irlande, est devenu le point de fixation avec le « backstop ». Les droits des citoyens européens ont été défendus comme l’intégrité du marché intérieur.
Pour la première fois de l’histoire de leur relation avec le continent, les Britanniques n’ont pas pu diviser pour mieux régner.
Quelle que soit l’issue, « hard Brexit » ou « soft Brexit », les négociations sur la future relation devront s’assurer que le Royaume-Uni ne pourra tenter la carte du dumping règlementaire ou fiscal.
Le Brexit se voulait l’affirmation du renouveau de la puissance britannique libérée d’un soi-disant frein européen, la réalité est que l’économie du Royaume-Uni est déjà une des plus dynamiques du continent (2% en 2015, 1,9% en 2016) avec un taux de chômage proche de 4,8%. Mais c’est justement la très forte inégalité de la répartition de cette richesse créée et la précarité croissante des classes populaires qui ont fait le vote du Brexit.
A cela s’ajoute une nostalgie de la puissance victorienne, un retour au « Great Britain » puissance globale, avec un Royaume-Uni à l’avant-garde des négociations commerciales. Mais :
1) avec les indépendances relancées directement en Ecosse et la question irlandaise rouverte avec la présence d’une frontière sur l’île le Great Britain, la Grande-Bretagne, peut devenir Little England, petite Angleterre, avec des risques de tensions.
2) Difficile pour le Royaume-Uni de s’affirmer sur la scène commerciale, alors que tous ses partenaires ont annoncé publiquement qu’ils préfèrent négocier avec l’Union européenne que le Royaume-Uni (les négociations seront d’autant plus difficile que le Royaume-Uni n‘a plus de diplomatie commerciale). Le Japon précise qu’il n’offrira pas des termes aussi avantageux que le JEFTA, l’accord signé avec l’Union européenne, seuls les anciens « dominions » Australie, Nouvelle-Zélande, Canada se sont montrés ouverts. Même l’Amérique du Nord semble vouloir la jouer dure (leur dernier mouvement étant de vouloir sortir les Britanniques des négociations sur un pacte mondial des marchés publics en discussion à l’OMC).
Enfin les consommateurs britanniques qui étaient protégés par une Union européenne défendant le principe de précaution et des législations environnementales et sanitaires les plus protectrices au monde ne le seront plus. Seuls face aux Américains, pas sûr que les Britanniques puissent continuer d’interdire viandes aux hormones et OGM.
Sur le fond lorsque l’on compare les objectifs clamés (reprise du contrôle des lois, refus de la Cour européenne de justice) et les réalités (intégration des lois européennes et de la jurisprudence de la Cour européenne de justice, perte d’influence sur les futurs textes et standards européens qui s’imposeront par l’importance du marché unique), on assiste à la perte de la substance du pouvoir pour le mirage de la souveraineté (pour paraphraser un éditorial du Financial Times). De puissance faisant les règles européennes, le Royaume devient exécutant des futures règles.
Enfin on ne peut sortir le Brexit du débat de fond sur le futur de l’Union européenne, et noter une tragique ironie : ce qu’ont toujours demandé les conservateurs au Royaume-Uni, c’est à dire une Union européenne du business, de la concurrence au maximum et des protections réduites au minimum, la Commission européenne le fait. Au moment où le dogme ultra-libéral a triomphé sur le continent, le Royaume-Uni se retire d’un projet politique qu’il a lourdement influencé.
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