Renationalisation des autoroutes : Rejet de la Proposition de loi du groupe Communiste (avec un insoumis et un écologiste) par le Sénat
Hier, la majorité sénatoriale ainsi que l’ensemble des groupes parlementaires, avec l’assentiment du gouvernement, ont rejeté ou se sont abstenus sur la proposition de loi des sénatrices et sénateurs du groupe CRCE permettant d’engager la renationalisation des autoroutes. Seuls quelques sénateurs courageux ont voté notre proposition de loi.
Alors que le Sénat avait ouvert la brèche avec son refus de privatiser ADP, s’appuyant sur l’erreur politique, financière et stratégique que fut la privatisation des concessions par le gouvernement de Villepin, il nage aujourd’hui en pleine contradiction.
Pourquoi refuser de s’engager vers la renationalisation des autoroutes si l’on considère qu’il est nécessaire de préserver la maîtrise publique des infrastructures et de ne pas se priver de ressources fort utile notamment pour permettre le financement des infrastructures de transport et leur rénovation, dans le cadre de la transition écologique.
Les autoroutes, comme les aéroports, ont été financées par le fruit de l’impôt donc par l’argent du peuple. Nous ne pouvons supporter que les investissements publics soient captés par les intérêts privés d’actionnaires avides de dividendes. Les « gilets jaunes » ne s’y sont pas trompés en organisant des opérations « péages gratuits » : récupérer la maîtrise de ces infrastructures permettra d’en finir avec cette spoliation de l’intérêt général sur le dos d’usagers captifs condamnés à payer toujours plus, véritables vaches à lait d’un secteur sans risque.
Nous considérons que l’Etat doit reprendre la main et défendre ses intérêts stratégiques de souveraineté et nos concitoyens.
Tout le monde le sait : ces contrats sont tellement bien ficelés qu’ils ne sont pas renégociables. Toute velléité de renforcer les obligations sur les concessionnaires se soldera mécaniquement par des hausses sur les usagers. Il n’y a donc aucune solution dans le cadre contractuel. Pour cette raison, il faut dès maintenant aller jusqu’à la dénonciation de ces contrats. Attendre la fin des concessions laisse en outre le risque de voir ces contrats renégociés et prolongés à l’infini.
Sur tous les bancs, nous avons entendu un seul argument : « trop cher, attendons la fin des concessions ». Nous répondons faux !
Certes ce rachat a un coût mais celui-ci premièrement se négocie, y compris devant les tribunaux pour dénoncer des contrats viciés et déséquilibrés. Mais quand bien même il faudrait réinvestir, la puissance publique peut s’en donner les moyens, y compris parce que ce sont les péages qui financeront l’emprunt. Nous trouvons 40 milliards pour financer cette année seulement le CICE et nous n’aurions pas 50 milliards à investir sur le long terme. L’Espagne s’est engagée dans cette voie, preuve de la faisabilité d’une telle démarche.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE regrettent cette occasion manquée. Ils sont déterminés à continuer de proposer la renationalisation des autoroutes, y compris dans le cadre du débat sur la LOM à compter du 19 mars prochain.
La proposition de loi de renationalisation examinée au Palais du Luxembourg à l’initiative des élus communistes trouve un écho nouveau avec les gilets jaunes.
On ne pourra pas reprocher aux parlementaires communistes l’inconstance : la proposition de loi (PPL) de nationalisation des sociétés d’autoroutes, examinée aujourd’hui au cours de la niche au Sénat, fait écho à la campagne que les mêmes sénateurs avaient menée en 2014, puis en 2016. À l’heure des gilets jaunes, la PPL pourrait trouver cette fois un écho nouveau. « La question du droit au transport et de son coût, de la place du service public, en lien avec la nécessaire transition écologique, relance l’intérêt de l’opinion, chez les élus et bon nombre d’observateurs, pour une renationalisation des autoroutes », ont plaidé les sénateurs du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE).
Par quelque bout qu’on le prenne, tout dans le dossier des sociétés d’autoroutes suinte le scandale. En 2006, Jacques Chirac et son premier ministre Dominique de Villepin ont vendu la part de l’État qui restait contre 15 milliards d’euros. Brader serait plus exact, puisque la Cour des comptes a ensuite estimé que les trois opérations d’ouverture du capital avaient abouti à une sous-évaluation de 10 milliards d’euros. En 2016, après avoir fait quelque temps les gros yeux, François Hollande devait prolonger les concessions accordées à trois géants du secteur, l’espagnol Abertis, et les deux français Eiffage et Vinci.
L’État organise sa propre spoliation
Derrière les sociétés d’autoroutes, on trouve en effet de gros acteurs du BTP vivant de la commande publique – un secteur dont l’implication dans les campagnes électorales fut notoire par le passé. Les autoroutes croisent souvent le politique, ainsi le conseiller officieux de plusieurs présidents, Alain Minc, fut nommé en 2011 à la tête de la Sanef. En investissant dans l’autoroute, les entreprises du BTP se créaient en somme un marché captif. Mieux, l’ensemble des niches fiscales dont elles bénéficient équivaut… aux 3 milliards d’euros d’investissement promis. Soit une opération blanche pour lesdites sociétés. Dit autrement, ce régime fiscal fait qu’il est plus intéressant de distribuer des dividendes et de financer les investissements par l’emprunt. Ainsi, en 2015, les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) déclaraient un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros, pour une dette de plus de 8 milliards. Mauvaise gestion ? Au contraire, en créant de la dette, les sociétés concessionnaires font coup double : rémunérer l’actionnaire tout de suite, la dette accumulée étant dissuasive pour que la puissance publique la rachète en cas de nationalisation. L’État doit un an de préavis, s’il souhaite reprendre la main.
Les 3,2 milliards d’euros d’investissement auxquels se sont engagées les sociétés en échange d’une prolongation des concessions accordées, et dont la fin théorique s’étale, pour le viaduc de Millau par exemple, de 2027 à… 2079, se transformeront, à la toute fin des contrats en cours, en 14,7 milliards de recettes nettes. Pour 100 euros de péages payés par les utilisateurs, entre 20 et 24 euros sont du bénéfice net pour les concessionnaires, rappelait la sérieuse Autorité de la concurrence en 2013. Et après ? Rien, il ne s’est rien passé en dépit de ces alertes officielles. L’État continue d’organiser sa propre spoliation. Car la privatisation des autoroutes, tout comme celles de la Française des jeux et d’Aéroports de Paris, en cours, ne répond en réalité pas à une nécessité économique. L’État pourrait tout aussi bien emprunter l’argent de la renationalisation. Les ressorts seraient plutôt idéologiques : en 2014, le ministre de l’Économie qui a validé le plan de prolongation des concessions s’appelait Emmanuel Macron.
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