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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 18:45
Ian Brossat: l'Europe peut être autre chose que cette machine à pourrir la vie (L'Humanité, 18 mars 2019)
Ian Brossat « L’Europe peut être autre chose que cette machine à pourrir la vie »
Lundi, 18 Mars, 2019

Vous avez lancé une grande mobilisation à la suite de votre éviction du débat télévisé de France 2 sur les élections européennes, programmé le 4 avril. Que révèle cette situation du débat démocratique en France ?

Ian Brossat Nous n’allons pas lâcher. Parce que ce sont les principes démocratiques qui sont foulés aux pieds. Rappelons dans quel contexte tout cela s’inscrit. Il y a deux mois, France 2 a organisé un débat sur les gilets jaunes et le lancement du grand débat national. Toutes les forces politiques étaient invitées. Toutes, sauf la nôtre. Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, avait alors protesté. Depuis sept ans, France 2 a invité onze fois Mme Le Pen en première partie de soirée. Aucun secrétaire national du PCF n’a eu un tel honneur, pas même une fois. La coupe est donc pleine, elle déborde même. France 2 nous traite plus mal que n’importe quelle chaîne privée. Le PCF exige le respect. On ne nous balaye pas d’un revers de main. Nous avons 7 000 élus, 800 maires, 3 groupes parlementaires à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Parlement européen, nous avons plus de 50 000 adhérents à jour de cotisation. Ce n’est pas à une chaîne et à ses dirigeants de décider qui est le digne opposant à M. Macron. J’en appelle donc à tous ceux qui aiment le débat démocratique, qu’ils soient de gauche ou de droite. Je leur donne rendez-vous ce mardi à 18 heures, devant le siège de France Télévisions. Et vous verrez, à la fin, nous serons entendus.*

Le chef de l’État tente d’enfermer le débat dans un duel avec Marine Le Pen. Comment en sortir ?

Ian Brossat Toute sa stratégie est là. Lui ou Le Pen. Les libéraux ou les fachos. Les libéraux ou le chaos. Comme si les libéraux n’étaient pour rien dans le chaos actuel. Comme si l’Europe libérale et ses 86 millions de pauvres n’étaient pas à l’origine de la poussée nationaliste qui menace notre continent. Le rêve de Macron, c’est un « mano a mano » avec l’extrême droite. Ce scénario est périlleux. Car il revient à jeter dans les bras de l’extrême droite tous ceux qui refusent les politiques libérales. Il faut donc déjouer ce piège en menant une opération vérité sur ce qu’est réellement l’extrême droite. Elle n’est pas favorable à la hausse du Smic et des salaires. Pas davantage au rétablissement de l’ISF. Mme Le Pen a dit d’ailleurs qu’elle souhaitait exclure du calcul de l’ISF la résidence principale. Sans doute parce que la châtelaine de Montretout se sent elle-même concernée. Au Parlement européen, les députés du Rassemblement national n’ont rien fait pour défendre les droits sociaux. Ils ont voté la directive sur le secret des affaires, qui protège les grosses multinationales contre les investigations des journalistes sur l’évasion fiscale. Quant à ses alliés en Europe, que font-ils ? En Autriche, ils ont mis en place la semaine de 60 heures de travail ! Voilà qui sont les vrais amis de Mme Le Pen. Dès lors, il ne sortirait rien de bon d’une élection qui se limiterait à un tel affrontement. Les Français comme les Européens méritent mieux que ça !

Le président de la République est déjà en campagne. Sa « lettre aux Européens » a été fraîchement accueillie dans l’UE. Comment jugez-vous son bilan sur les enjeux européens ?

Ian Brossat Emmanuel Macron vante désormais une « Europe qui protège », sans qu’on sache très bien s’il parle de l’Europe telle qu’elle est ou de l’Europe telle qu’il la souhaite. Une chose est sûre en tout cas : sur l’Europe, il a beaucoup parlé et très peu fait. Il a multiplié les grands discours. Cinq en tout. La grandiloquence des paroles contraste singulièrement avec la petitesse des actions concrètes. Son bilan a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Le fameux « budget de la zone euro » tant vanté au mois de juin va se résumer à quelques dizaines de milliards d’euros, soit une somme dérisoire à une telle échelle. Quant à sa « lettre aux citoyens d’Europe », elle est tellement truffée de contradictions qu’elle en devient risible. Comment prétend-il « protéger » en Europe après avoir tellement précarisé en France ? Comment ose-t-il proposer une « préférence européenne » dans les marchés publics tout en signant à tire-larigot des traités de libre-échange qui déversent chez nous des produits low cost venus de l’autre bout du monde, exposant nos travailleurs à une concurrence sauvage et déloyale ? Comment peut-il vanter une « Europe indépendante » tout en réaffirmant dans le même texte la soumission de la France à l’Otan, c’est-à-dire aux États-Unis de Trump ? Quelle farce ! Ce n’est pas une lettre, c’est une blague Carambar.

Brexit, poussée des nationalismes… En quoi ce scrutin, qui enregistre des records d’abstention, est-il pourtant décisif ?

Ian Brossat Parce que le contexte est inédit. Inédit en France, avec une montée de la colère partout. Inédit en Europe, car c’est l’existence même de l’Union européenne qui est en jeu. À force de se servir de l’Europe pour imposer partout des politiques de régression sociale, les libéraux ont fini par dégoûter les Européens de l’Europe. Si l’Europe, c’est la loi du fric et son cortège de malheurs – les délocalisations, le travail détaché, les services publics qu’on privatise pour les livrer aux marchands –, qui peut encore vouloir de l’Europe ? Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que les nationalismes progressent. Tout l’enjeu est de faire la démonstration que l’Europe pourrait être autre chose que cette machine à nous pourrir la vie. D’autant que, sur beaucoup de sujets, nous aurions besoin de batailler à une échelle plus grande que la seule échelle nationale. Face aux multinationales qui pratiquent l’évasion fiscale, nous aurions besoin d’Europe. Face au défi climatique, nous aurions besoin d’Europe. Face à la crise de l’accueil des réfugiés, nous aurions besoin d’Europe. Mais d’une Europe des gens, pas d’une Europe de l’argent.

La « marche du siècle », samedi, a rassemblé 350 000 personnes, avec une jeune génération qui refuse l’opposition entre « fin du monde » et « fin du mois ». Comment cet enjeu environnemental structurant se concrétise-t-il dans votre projet européen ?

Ian Brossat C’est une joie immense de voir autant de monde se mobiliser sur un tel sujet. La lutte contre le changement climatique passe, au même titre que le combat pour la justice sociale, par une rupture avec la loi de l’argent. Ces deux défis doivent être relevés conjointement. L’Union européenne actuelle ne permet d’en relever aucun des deux. Notre mot d’ordre est donc simple : changeons l’Europe, pas le climat. Et pour cela, deux propositions clés. La première, un service public européen dédié à la rénovation énergétique des bâtiments. La mauvaise isolation des bâtiments, c’est 40 % de nos dépenses énergétiques en Europe. Nous voulons un vaste programme de grands travaux pour y remédier. Et, quand on fait cela, on fait coup double, triple même : moins de dépenses énergétiques, des charges moins élevées, qui font du bien au pouvoir d’achat, et des emplois à la clé. Notre deuxième proposition phare : un investissement massif dans le ferroviaire public. De quoi bâtir une écologie sociale, loin de l’écologie punitive promue par le gouvernement.

Sur ce sujet notamment, le mouvement des gilets jaunes a permis de replacer les enjeux de justice sociale au cœur du débat public. Votre parti défend depuis de nombreuses années un grand nombre de leurs revendications. Pour autant, le chemin des ronds-points aux bulletins semble encore long…

Ian Brossat C’est vrai. Mais je dis une chose à ceux qui doutent ou s’interrogent sur leur vote. Les communistes ont peut-être des défauts, mais eux au moins n’ont pas découvert les injustices sociales au détour d’un rond-point. Nous sommes des combattants de la justice sociale, partout où nous sommes. Nous n’avons pas improvisé sur ce sujet parce qu’il était dans l’air du temps.

Au moins six listes de gauche sont en lice pour les européennes. Que répondez-vous aux électeurs qui déplorent et s’inquiètent de cette situation ?

Ian Brossat Je leur réponds trois choses. La première, c’est que je regrette cette division et que ce n’est pas faute d’avoir personnellement tendu la main aux autres forces de la gauche anti-austérité. La deuxième, c’est que cette division sur les questions européennes ne date pas d’hier. Cela fait longtemps que la gauche est traversée de débats sur ces enjeux. Je rappelle que le PCF est la seule force de gauche à avoir rejeté tous les traités européens. Vu la situation de l’Europe, les faits nous donnent raison. Nous avons donc sur ce sujet une voix originale. La troisième, c’est que, dans un contexte politique tel que celui-ci, il vaut mieux choisir ceux qui disent des choses claires, constantes, cohérentes. Nous, nous n’avons jamais raconté de salades sur l’Europe. Nous n’avons jamais fait croire qu’il est possible de faire l’Europe sociale avec des traités qui sanctuarisent l’Europe libérale.

Et quelle est concrètement la singularité du projet porté par votre liste ?

Ian Brossat Notre originalité est double. D’abord, nous portons au quotidien ce combat opiniâtre contre l’Europe libérale. Nos députés européens n’ont jamais été pris en défaut sur ce point. Nous avons croisé le fer à chaque fois que nécessaire, sur le quatrième paquet ferroviaire (seules 24 voix nous ont manqué pour y faire échec) comme plus récemment encore sur le « paquet mobilité », une directive qui porte sur les conditions de travail des chauffeurs routiers. Ensuite, notre originalité, c’est notre liste. Il y a une cohérence entre notre liste et notre programme. L’Europe des gens, c’est celle que vous retrouvez sur notre liste avec plus de 50 % d’ouvriers et d’employés, comme dans la société française. Nous serons les seuls à faire ce choix.

La sortie des traités budgétaires est au cœur des désaccords à gauche. Comment le PCF s’y prendrait-il pour rompre avec ces traités d’austérité sans quitter l’UE ?

Ian Brossat Ces traités sont mauvais. Ils nous plombent, en France comme en Europe. Ils sacrifient tout sur l’autel de deux dogmes intouchables : l’austérité, avec cette règle absurde des 3 % de déficit public qu’il serait interdit de dépasser, et la « concurrence libre et non faussée ». Tous les gouvernements qui se sont soumis à ces règles ont failli. Il faut donc s’en affranchir. C’est d’ailleurs la voie empruntée par le Portugal. Ils ont rompu avec l’austérité. L’Union européenne leur a tapé sur les doigts. Ils ont poursuivi leur politique malgré tout. Ils n’ont pas quitté l’UE pour autant. Et ça marche. Voilà la voie à suivre.

Entretien réalisé par Maud Vergnol
 
* Depuis nous avons su que France 2 aurait renoncé à son projet initial d'exclure Ian Brossat et France 2 du débat sur les élections européennes.  La mobilisation des communistes et sympathisants a payé!!!
 
VICTOIRE : LE PCF FINALEMENT INVITE PAR FRANCE 2 AU DEBAT DU 4 AVRIL
 
France 2 va finalement inviter la tête de liste du PCF à participer au débat entre candidats aux élections européennes le 4 avril, a-t-on appris lundi 18 mars auprès de Ian Brossat. "France 2 nous a confirmé ce matin" l'invitation, a indiqué Ian. Dans un courrier adressé à Delphine Ernotte et transmis à la presse mardi dernier, Ian Brossat avait souligné que l'"effacement du PCF serait, sur la première chaîne du service public, une véritable anomalie démocratique". Le parti est "présent dans les deux assemblées, avec plus de trente parlementaires", et a "plus de 7.000 élus locaux et nationaux", "plus de 800 maires et trois parlementaires européens", et est "le seul parti de gauche à avoir rejeté tous les traités européens libéraux depuis le début de la construction européenne", avait-il insisté. La campagne du PCF sur les réseaux sociaux, "#Pas sans nous", avait été notamment soutenue sur les réseaux sociaux par les sénateurs LR Roger Karoutchi et PS Rachid Temal. Les communistes avaient appelé à un rassemblement devant les locaux de France Télévisions, mardi 19 mars. L'Humanité a consacré plusieurs articles, dont un éditorial (signé de votre serviteur), lundi 18 mars. 
Jean-Emmanuel Ducoin, L'Humanité
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