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28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 05:17
Afghanistan. A Kaboul, elle portait un turban pour le turbin - l'incoyable histoire de Nadia Ghulam, par Pierre Barbancey, L'Humanité, 25 février 2019
Afghanistan. À Kaboul, elle portait un turban pour le turbin
Lundi, 25 Février, 2019

L’incroyable histoire d’une jeune Afghane, défigurée à l’âge de 8 ans, qui s’est fait passer pour un garçon afin de subvenir aux besoins de sa famille.

Assise dans un café en plein Paris, Nadia arbore un grand sourire. Dans ses yeux, la vie luit à pleins feux. D’un geste empli de grâce, elle nous invite à nous asseoir. À voir ainsi cette jeune femme de 33 ans – elle est née en 1985 à Kaboul –, qui pourrait bien songer à la vie qui a été la sienne ? Tout juste si l’on remarque, masquée par une mèche de cheveux bouclés, noirs, une cicatrice sur le côté gauche de son visage. Qui pourrait penser que Nadia a, un beau jour, décidé de quitter son pays, de dire « adieu et à jamais » à tous ceux qu’elle aime et à tout ce qu’elle aime, pour s’établir en Catalogne où elle étudie ? Son histoire, témoignage émouvant à l’image de son courage, est bien sûr très personnelle.

Mais ce récit, maintenant publié (1), a valeur universelle par sa force, le théâtre de la souffrance qui est donné à voir, la cruauté des événements mais surtout peut-être par la détermination sans faille d’une toute petite fille frappée de plein fouet qui, au lieu de sombrer dans une dépression, décide d’affronter les éléments qui la secouent au plus profond d’elle-même. Mourir ou grandir. Elle a choisi. « J’avais beaucoup de raisons d’écrire mon histoire, explique-t-elle. Je me suis aperçue que beaucoup de gens ne savaient rien de mon pays, qu’ils ne connaissaient que les talibans. J’ai voulu montrer que les enfants comme moi n’avaient rien à voir avec la guerre, que nous rêvons de paix. »

Le paradis fait vite place à l’enfer

Nous sommes en 1992. Nadia n’a que 8 ans. Les troupes soviétiques ont quitté le pays depuis trois ans et l’Afghanistan est alors dirigé par le communiste Mohammad Najibullah, qui doit faire face aux attaques répétées des moudjahidine largement soutenues par les pays occidentaux et ceux du Golfe. Leur but, qu’ils atteindront : instaurer une République islamique. Haute comme trois pommes, Nadia ne comprend évidemment pas ce qui se passe. Insouciance de l’enfance, émerveillement devant des sachets de cerises et d’amandes vendues par l’épicier du coin, jeux à n’en plus finir, des parents aimants. Elle adorait aussi les études puisque les filles pouvaient, à cette époque, se rendre à l’école, malgré les exécutions sommaires des instituteurs par les fameux moudjahidine, pour qui la place des femmes est à la maison ou sous une burqa. Son frère, Zelmaï, sur lequel les espoirs de la famille reposent, préfère le farniente, les dessins animés à la télévision, le rire plutôt que la lecture studieuse. Le paradis fait vite place à l’enfer. Najibullah est tué dans les conditions les plus atroces et les factions islamistes se disputent le pouvoir à coups de canon.

« Tout vola en éclats. Et l’obscurité se fit. » Un obus a touché la maison de Nadia. Elle se réveille à l’hôpital. Défigurée du côté gauche. Le rêve d’avant se fait cauchemar. Huit opérations à Jalalabad avec l’aide d’une ONG allemande, la survie dans un camp de déplacés, le père qui perd la raison et, quelque temps plus tard, l’assassinat de son frère Zelmaï. Malgré son jeune âge et ses souffrances, elle doit subvenir aux besoins de la famille. Comment faire lorsqu’on est une femme dans un pays tenu par des obscurantistes ? Nadia, à force de vêtements masculins et d’un turban qui masque sa féminité à peine naissante, décide de passer pour un homme et se fait appeler… Zelmaï. « Il » travaille dans les champs, surveille les troupeaux. Le tout pour quelques afghanis. Autant dire une poignée de figues. De ces fruits et de ces légumes, Nadia/Zelmaï en a malgré tout appris la richesse. « En Afghanistan, cultiver ce n’est pas seulement pour le trafic de drogue, souligne-t-elle. C’est important pour moi de partager ça. En Catalogne, ils sont fiers de leur raisin mais je leur dis qu’ils n’ont pas goûté les grappes d’Afghanistan. »

Inutile de raconter toute cette histoire. Le livre est bien plus riche ! Seulement savoir que, la puberté venant, la dissimulation a été de plus en plus difficile. Pas seulement pour des raisons physiques (poitrine naissante, sang qui coule soudain sur les mollets) mais aussi pour des raisons sentimentales. Tomber amoureuse d’un garçon, alors qu’on est soi-même perçue comme un garçon et qu’on n’en est pas un. Pas facile, on en conviendra. Au bout de huit ans d’une vie terrible, elle parvient à s’inscrire à nouveau dans une école puis obtient son baccalauréat et s’inscrit à l’université, avant de quitter l’Afghanistan et de s’installer en Espagne, à l’âge de 21 ans.

Mal du pays, besoin de revoir sa famille

Autant de raisons qui la poussent à entreprendre le chemin inverse, douze ans après, pour une courte période. L’incroyable se produit : pour passer en Afghanistan clandestinement depuis le Pakistan, elle revêt son déguisement d’homme. Là, elle retrouve un pays « triste », où « les talibans qui négocient sont pires que leurs aînés parce qu’avant ils frappaient les femmes avec un bâton, maintenant ils les tuent » ; où « la corruption ne cesse d’augmenter » ; où « tout est privé » ; où « le prix des médicaments équivaut à celui de l’or » ; où « le gouvernement ne cesse de taxer les petites gens alors qu’il ne fait jamais payer les entreprises ». Nadia, qui se veut aujourd’hui un « pont » avec son pays, sait bien que « personne n’a la solution magique ». Pour elle, « donner du travail permettra de faire diminuer la violence et la guerre ». Avec lucidité, elle regrette qu’aujourd’hui l’Afghanistan soit coupé en deux. Pas géographiquement : « il y a un pays pour les riches et un pour les pauvres », déplore-t-elle.

(1) Cachée sous mon turban, Nadia Ghulam avec Agnès Rotger. Éditions l’Archipel, 312 pages, 21 euros.
Pierre Barbancey
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