La fiscalité, les prélèvements obligatoires et leurs enjeux en France aujourd’hui
Introduction
La situation sociale explosive de cette fin d’année 2018, outre l’expression de la détresse sociale dans laquelle se trouve plongée une part importante de notre société, a mis en lumière bon nombre de besoins, d’attentes, de revendications pour vivre dignement en France en ce début du 21ème siècle.
Les mots d’ordre qui avaient fusé au départ « trop de taxes » trop de « charges » trop d’impôts » firent rapidement la place à des revendications au caractère de classe plus marqué : plus de pouvoir d’achat, plus de salaires et de minima sociaux, ainsi que des besoins de services publics. Un certain nombre de revendications que l’on croyait enfouies chez beaucoup, ont resurgi tout d’un coup, décontenançant totalement nos dirigeants qui ne s’y attendaient guère manifestement.
Chez beaucoup d’entre nous est apparue cette nécessité d’avoir un regard et une réflexion sur les aspects fiscaux et sociaux dans notre société aujourd’hui en France, pour essayer de comprendre les raisons de la colère et aussi pour tracer d’autres perspectives dans le sens d’une fiscalité plus juste, permettant de répondre aux attentes des citoyens.
Dans notre réflexion nous nous sommes aidés, d’une part de l‘ouvrage « pour une révolution fiscale » coécrit en 2011 par Landais, Piketty et Saez, et d’autre part par un document de la fédération des finances CGT et de ses propositions pour la mise en œuvre d’une autre fiscalité.
Nous avons également intégré dans cette réflexion les idées avancées dans un rapport de mars 2008 du Conseil des Prélèvements Obligatoires dépendant de la Cour des comptes.
En préalable, comme le disent Piketty, Landais et Saez :
« La question des impôts est tout sauf technique. Il s’agit d’une question éminemment politique et philosophique, sans doute la première la première d’entre toutes. Sans impôts il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. »
I Les prélèvements obligatoires
Que n’entend-on pas sur la question des prélèvements obligatoires ?
Ainsi le 15 octobre 2018, on pouvait lire dans Le Figaro : « C'est un record dont le contribuable français se serait bien passé… En 2017, le montant des prélèvements obligatoire a dépassé la barre symbolique des 1000 milliards d'euros. Dans le détail, la part des impôts et différentes taxes auxquels ont été soumis les Français cette année-là représente 45.3% du PIB, soit 1038 milliards d'euros exactement, révèle un rapport mené par le député LREM Joël Giraud. C'est 43,3 milliards de plus que la somme atteint en 2016 (994,7 milliards), 59,6 milliards de plus qu'en 2015 (978,4 milliards) et surtout 368,5 milliards de plus qu'en 2002... »
C’est le type même des réflexions constamment et largement véhiculées par les partisans du libéralisme. Les vérités apparentes tirées de ces constats n’ont pour seul objet que de convaincre la majorité de la population de devoir se débarrasser le plus possible des constructions sociales basées sur les couvertures collectives et la solidarité, à partir des financements par l’impôt ou les cotisations sociales.
Qu’entend-on exactement par prélèvements obligatoires ?
Définition:
Selon la définition de l’INSEE les prélèvements obligatoires désignent les impôts et les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques et les institutions européennes.
Qui paye des impôts ?
Selon l'impôt ou la taxe, il peut s'agir de personnes physiques (particuliers) et/ou de personnes morales (entreprises, associations...). Par exemple, les particuliers sont assujettis à l'impôt sur le revenu et une partie des entreprises sont assujetties à l'impôt sur les sociétés.
Trois différents types de prélèvements obligatoires
I) les impôts : payés par tous les contribuables pour financer les dépenses publiques (impôts directs et impôts indirects) ;
- les impôts directs, c'est à dire les impôts payés et supportés par la même personne : par exemple, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, la taxe d’habitation la taxe foncière, etc...
- les impôts indirects, c'est à dire les impôts et taxes dont le montant est répercuté sur le prix de vente au consommateur d'un produit ou d'une prestation : par exemple, la TVA, les droits de douane, la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques, etc...
II) les cotisations sociales obligatoires : pour financer les prestations sociales ;Les cotisations sociales assises sur les salaires (part ouvrière et part patronale) et la CSG, CRDS et prélèvements sociaux
III) les taxes fiscales : versées en contrepartie d'un service spécifique en échange de la fourniture d'un service, sans équivalence entre le montant de la taxe et le prix du service fourni : par exemple, la contribution à l'audiovisuel public ou le timbre fiscal pour obtenir un passeport, la taxe d'équipement, taxe funéraire, taxe pour la formation professionnelle, taxe sur les spectacles, etc. et dues par tous les contribuables susceptibles d'en profiter. Le produit est affecté contrairement à l'impôt.
En 2015, le niveau de prélèvements obligatoires en France était de 44,6 % du PIB (ratio entre les prélèvements et la richesse nationale).
Le taux augmente chaque année en raison de la hausse des impôts et cotisations, notamment des cotisations sociales (42,5 % en 2010).
Pour rappel, le taux était de 34 % en 1970, 40 % en 1980 et 41,6 % en 1990.
Officiellement, les prélèvements obligatoires sont supportés approximativement aux 2/3 par les ménages (28 % du PIB) et au tiers par les entreprises (16 %). (NB : cf remarques Piketty « pour une révolution fiscale p.36 ,37 et 38).
A quoi servent les Prélèvements sociaux ?
prélèvements obligatoires perçus par l’État et les ODAC
-
l’enseignement scolaire : 67 milliards d’euros ;
-
les engagements financiers de l'État (charge de la dette et trésorerie de l’État, appels en garantie de l’État, épargne et majoration de rentes) : 45 milliards d’euros;
-
la défense : 40 milliards d’euros ;
-
la recherche et l’enseignement supérieur : 26 milliards d’euros ;
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la sécurité : 19 milliards d’euros ;
-
la solidarité, l’insertion et l’égalité des chances : 18 milliards d’euros.
Source : « Les chiffres-clés du budget 2016 », www.economie.gouv.fr, 19 janvier 2016
Prélèvements obligatoires perçus par les administrations de Sécurité sociale (54 % des prélèvements obligatoires). Ils financent l'assurance maladie, les retraites, l'indemnisation du chômage, les établissements de santé.
Prélèvements obligatoires perçus par les collectivités locales et les ODAL (15 % des prélèvements obligatoires) (taxe foncière, taxe d'habitation, contribution économique territoriale) financent essentiellement : aide sociale, entretien de la voirie, formation professionnelle, achats mobiliers et immobiliers, gros travaux et réparations, etc....
Il faut aussi noter noter l’Union Européenne : 1 % des prélèvements obligatoires
Des prélèvements obligatoires trop importants en France ?
Le taux de prélèvement obligatoire est-il trop élevé en France ? C’est ce que soutiennent certains économistes. Selon eux, l’importance des impôts sur le revenu, par exemple, réduirait les incitations au travail, notamment ; l’importance des cotisations sociales augmenterait le coût du travail et donc serait source à la fois de chômage et de perte de compétitivité des entreprises résidentes. Plus largement, l’intervention de l’Etat réduirait la liberté des acteurs économiques, l’Etat décidant à la place des entreprises ou des individus ce qu’il faut faire de l’argent gagné.
Mais, d’autres économistes insistent sur le caractère démocratique des choix de l’Etat : il n’y aurait pas véritablement contrainte. Ils mettent aussi en évidence la protection qu’offre l’intervention de l’Etat ce qui nécessite des ressources stables. Ces prélèvements financeraient aussi des investissements humains et collectifs source de croissance future et de plus grande liberté réelle (santé, éducation, routes, etc.). Lors de la crise de 2008, le système a même servi « d’amortisseur social » aux dires de tous.
Sens et limites de la comparaison des taux…
C’est sous ce titre qu’en mars 2008 le Conseil des Prélèvements Obligatoires (dépendant de la Cour des comptes, alors placée sous la présidence de Philippe Seguin) a jugé utile de publier un rapport dans lequel il insiste sur la totale relativité qu’il convient d’accorder à cette notion, compte tenu de la diversité des situations et des constructions sociales rencontrées au plan international.
Dans son introduction celui-ci indique ainsi : « La notion de prélèvements obligatoires et le taux qui lui correspond (rapport des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut - PIB -) sont d'un usage si fréquent qu'on en oublie souvent de préciser ce qu'ils signifient et de relativiser les évolutions qu'ils traduisent. Ces grandeurs sont pourtant d'un maniement particulièrement délicat, qu'il s'agisse d'analyser leurs variations dans un pays donné ou - plus encore - d'effectuer des comparaisons internationales, qui peuvent alors aboutir à des conclusions hâtives ne tenant pas compte des caractéristiques propres de chacun des pays étudiés. Les débats qu'ils suscitent sont, en effet, lourds d'enjeux économiques, sociaux et politiques engageant de véritables choix de société et de mode de vie. Le Conseil des prélèvements obligatoires a souhaité apporter sa contribution. »
Seuls les prélèvements publics et obligatoires sont retenus dans le calcul
Par conséquent toutes les couvertures volontaires et facultatives (mutuelles, assurances…) n’entrent pas dans le calcul, et de plus, selon que les organisations économiques et sociales différentes rencontrées dans les divers pays de la planète, retenir le seul prisme des prélèvements obligatoires revient à comparer des situations qui ne le sont pas.
Le concept de « prélèvements obligatoires » est donc à manier avec d’infinies précautions
Le CPO précise ainsi : « Seuls les prélèvements publics “obligatoires” sont retenus, ce qui exclut les versements correspondant à une décision “volontaire” de la part de celui qui les acquitte ou qui sont la contrepartie d'un service rendu. Sont exclues des prélèvements obligatoires les cotisations sociales “fictives” ou “imputées” correspondant aux prestations versées par les employeurs eux-mêmes sans qu'un organisme tiers soit impliqué. Leur financement repose sur des cotisations du personnel et sur une contribution de l'employeur qui doit assurer l'équilibre du compte. Plus leur importance est grande, plus le taux de prélèvements obligatoires s'en trouve allégé. En matière de santé, le recours aux régimes d'entreprise est précisément la norme aux États-Unis puisque plus de 65 % des Américains de moins de 65 ans sont assurés par leur employeur ou par celui d'un membre de leur famille. »
Il convient également de prendre en compte les dépenses financées par les prélèvements obligatoires.
Le niveau réel de la dépense publique ne se réduit pas aux prélèvements obligatoires.
Les prélèvements obligatoires ne peuvent se comparer d'un pays à un autre sans prendre en considération les dépenses qu'ils financent, c'est-à-dire en tenant compte de la place des services publics et des transferts sociaux dans l'économie du pays.
Cela résulte des choix que retient chaque société pour financer les dépenses de protection sociale : maladie, retraite, famille, chômage, etc.
De plus nous dit le rapport : « Structurels, caractérisant chaque société, les choix de financement de la protection sociale ne font pas qu'expliquer largement les écarts entre les taux de prélèvements obligatoires. Ils ont aussi des répercussions profondes sur la société d'une part, les systèmes ainsi financés, d'autre part. »
Ecrits quelques mois seulement avant la survenance de la crise de 2008, ces propos étaint tout à fait pertinents, car quelques mois plus tard on allait aussi s’apercevoir de l’influence des systèmes sociaux sur les effets des crises, en l’occurrence le système français ayant servi, de l’avis des économistes de tous bords, d’amortisseur social alors qu’il en allait tout autrement dans des pays où le libéralisme était plus débridé.
Le CPO retient quatre points nécessaires pour l’analyse :
- « Pour effectuer et commenter utilement les comparaisons internationales entre les taux de prélèvements obligatoires, il faut davantage s'attacher à l'analyse de l'évolution des écarts plutôt que d'en simplement constater l'existence. »
- « L'efficience de la dépense publique n'est pas partout la même : selon les pays, le même service ou la même fonction, est assuré avec une qualité équivalente mais par des montants de dépenses différents...Une partie des écarts de taux de prélèvements obligatoires entre pays tient à ces efficiences différentielles du service public ».
- Un troisième facteur tient aux choix retenus par les états pour financer ce que l'on peut appeler les fonctions existentielles ou de développement. Mais le CPO analyse que cela influe peu sur l’explication des écarts.
- Le quatrième facteur retenu par le CPO est, selon lui, « de loin le plus important : l'ampleur des fonctions de santé et de protection sociale, et celle de leur financement public, extrêmement différentes toutes deux d'un pays à l'autre, jouent le rôle principal. Ces deux éléments, le second surtout, sont susceptibles d'expliquer non pas quelques points de différence entre taux de prélèvements obligatoires, mais beaucoup plus (jusqu’à environ trois quarts de l'écart). A vrai dire et sans négliger les autres facteurs, ces deux éléments expliquent la très grande majorité de l'écart entre les taux de deux pays donnés... Se jouent ainsi, autour de ces deux fonctions centrales, des modes de vie et de conception propres à chaque société, que la valeur du taux de prélèvement obligatoire de chaque pays reflète pour une très grande part ».
Ainsi, la question de la structure des prélèvements obligatoires est bien plus importante que celle de son niveau : les cotisations sociales sont sans doute d’un haut niveau en France , mais ne sont-elles pas la source d’une démocratie sociale ? ou encore d’une stabilité économique et sociale ? Souvenons-nous de la crise de 2008, et qu’aux dires de tous, le système a servi « d’amortisseur social ». A partir de là la question essentielle est, non pas tant celle du niveau des prélèvements obligatoires, mais bien plutôt celle des moyens de leur financement à partir des richesses créées par le travail.
II Vision d’ensemble de la réalité des revenus et des impôts en France
1) Un revenu moyen de 33 000 € par adulte et par an en 2010 (source INSEE)
Chiffres comptabilité nationale 2017
Produit intérieur brut (PIB) 2017 2 292 Mds €
revenu national brut 2 348 Mds €
nombre d’habitants en 2017 67 105 500
Revenu national brut par habitant 34 309 €
2) patrimoine = près de six années de revenus
(Précision : le revenu est un flux, le patrimoine est un stock )
D’après l’INSEE les résidents français possédaient en 2010 environ 9 200 milliards de patrimoine financier et non financier (net de dettes) soit plus de 182 000 € par adulte ( source : Pour une révolution fiscale, Piketty, Landais et Saez, p,22)
Le patrimoine privé représente en 2010 près de 6 fois le revenu annuel, contre moins de quatre années dans les années 80, et moins de trois années dans les années 50. Il faut remonter à la Belle époque (1900-1910) pour retrouver une telle prospérité des fortunes françaises. » (ibid)
En 2010 ce patrimoine se décompose en deux parties égales :
- le logement (résidences principales et secondaires, nettes de taxes), soit environ 91 000 € en moyenne par adulte,
- les actifs financiers et professionnels (grosso modo la valeur des entreprises) soit environ 91 000 € en moyenne par adulte.
Mais la composition du patrimoine des ménages varie suivant selon son importance :
En visualisant ce tableau on comprend pourquoi Macron a remplacé l’ISF par l’IFI (impôt sur la propriété immobilière)
3) Répartition des patrimoines en France en 2010
Groupe |
Nombre d’adultes |
Patrimoine moyen par adulte |
Part dans le patrimoine total |
Population totale |
50 millions |
182 000 € |
100 % |
Classes populaires, les 50 % les plus pauvres |
25 millions |
14 000 € |
4 % |
Classes moyennes : les 40 % du milieu |
20 millions |
154 000 € |
34 % |
Classes aisées : les 10 % les plus riches |
5 millions |
1 128 000 € |
62 % |
Dont classes moyennes aisées (9%) |
4,5 millions |
768 000 € |
38 % |
Dont classes très aisées (1%) |
0,5 million |
4 368 000 € |
24 % |
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