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10 octobre 2018 3 10 /10 /octobre /2018 07:53

 

Comme sous Hollande, la présidence Macron aligne sa politique moyen-orientale sur les intérêts de Riyad. Un choix immoral – les ventes d’armes utilisées dans la sale guerre du Yémen – et irresponsable – il accentue une dépendance énergétique et géopolitique désastreuse.

Régulièrement, depuis un an et demi, des responsables d’ONG humanitaires ou travaillant sur les droits humains sont reçus à l’Élysée pour évoquer la tragédie engendrée par la guerre au Yémen ou se plaindre des abondantes ventes d’armes françaises à des dictatures, notamment aux pays du golfe Persique et à l’Égypte. À chaque fois, ils sont très bien accueillis par des conseillers qui écoutent attentivement leurs points de vue et semblent même « approuver [leurs] messages d’alertes et [leurs] recommandations », selon un humanitaire qui a participé à plusieurs de ces rendez-vous.

Pourtant, invariablement, dans les jours et les semaines qui suivent, ces émissaires constatent qu’ils n’ont pas été entendus et surtout pas considérés. Comme s’ils avaient parlé à des sourds. Un point de contentieux géographique revient régulièrement dans leur bouche : l’Arabie saoudite. La monarchie théocratique absolue paraît intouchable.

Elle peut bombarder sans précaution des civils au Yémen ; elle peut emprisonner indéfiniment des militants de la démocratie et des droits des femmes et exécuter un nombre croissant de condamnés ; elle peut pratiquer un islam des plus rigoristes qui n’a rien à envier aux théories de Daech ; elle peut appauvrir sa population pendant que ses élites se gorgent de yachts et de châteaux à l’étranger ; elle peut kidnapper le chef de gouvernement d’un pays ami, le Liban ; elle peut tout cela, la France ne hausse jamais la voix. Pis, elle flatte Riyad ou lui déroule le tapis rouge à la moindre occasion. Que ne ferait pas Paris pour se concilier les bonnes grâces de l’Arabie saoudite ? Apparemment tout.

Le phénomène n’est pas entièrement nouveau, mais il a pris de plus en plus d’importance ces dernières années, d’abord sous la présidence de François Hollande, puis sous celle d’Emmanuel Macron — Nicolas Sarkozy, lui, préférait le Qatar. La nomination toute récente d’un fidèle macronien, Sylvain Fort, pour gérer le pôle communication de l’Élysée risque encore d’accroître cette inclination pour les Saoud : l’agence qu’il a fondée, Steele & Holt, a été chargée, après son départ pour l’Elysée, d’assurer la communication du royaume et du prince héritier en France afin d’y améliorer leur image et, précise Le Monde, d’accompagner la signature d’un accord de partenariat avec l’Opéra de Paris.

Les armes, le pétrole et l’Iran : voici le triptyque qui dicte la relation de la France avec le royaume wahhabite et la conduit à fermer les yeux sur une des autocraties les plus régressives et mortifères de la planète.

Sous François Hollande, son fidèle Jean-Yves le Drian était tout autant le ministre de la défense que celui de l’armement. Avec son cabinet, l’ancien baron socialiste de Lorient, fief de la Direction des constructions navales (devenue Naval Group), était connu comme le plus farouche promoteur des ventes d’armes françaises auprès des pays soucieux de s’équiper en missiles, avions et chars. Il fut le premier à parvenir à écouler les avions Rafale de Dassault à l’étranger. Surtout, il fait exploser les ventes d’armes auprès de l’Arabie saoudite, qui passent de 400 millions d’euros en 2013 à 600 millions en 2015 et à 1 milliard en 2016.

Passé en mai 2017 chez Macron et au Quai d’Orsay, il s’y est installé avec sa garde rapprochée et, selon les confidences de plusieurs proches du pouvoir, « il continue d’avoir un œil sur les ventes d’armements et reste un des interlocuteurs privilégiés de nos gros clients ». La diplomatie française n’est donc pas celle du respect des droits humains, comme on le proclame souvent, mais des intérêts de l’industrie canonnière. Sachant que Riyad ne manque pas de courtisans dans ce domaine, en premier lieu les États-Unis, Paris s’efforce donc de tout faire pour maintenir la relation au beau fixe. On ne tance pas l’Arabie saoudite sur les morts évitables de civils au Yémen, même si des armes françaises peuvent être employées à cet escient, comme ne l’a pas exclu la ministre des armées Florence Parly. On se tait quand les défenseures des droits des femmes sont emprisonnées arbitrairement depuis plus de 100 jours, contrairement au Canada (voir l’article de Mediapart).

Et quand l’ONU essaie péniblement de jeter un peu de lumière sur le sort des populations au Yémen par l’intermédiaire d’un groupe d’experts des Nations unies, Paris met des bâtons procéduraux dans les rouages onusiens, puis reste muet quand son président évoque à mots couverts la possibilité que l’Arabie saoudite soit coupable de crimes de guerre (lire sur Mediapart : Face aux possibles crimes de guerre de la coalition, Paris se tait).

De la même manière, quand Emmanuel Macron se vante d’avoir permis l’affranchissement de Rafic Hariri en novembre 2017 lors d’une escale à Riyad, « c’est après avoir bataillé ferme pendant plusieurs heures de discussion face au prince hériter Mohammed ben Salmane, qui manquait tellement de respect à l’égard de la France que le président a dû lui rappeler qu’il parlait à une puissance membre du Conseil de sécurité », racontait il y a quelques mois un diplomate mis au courant de l’échange.

 

« Pensons à tout ce que le pétrole nous fait accepter, oublier et tolérer ! »

Face à une telle servilité, pas étonnant que les ONG et les militants des droits humains aient le sentiment de prêcher dans le désert : ils parlent certes à des conseillers et à des membres de l’exécutif bien intentionnés, mais cette parole est ensuite balayée sans hésitation par les « adultes en charge » : Macron, Le Drian, les industriels, les adeptes de la (real)politik des affaires.

La France n’a jamais eu de photo de famille scellant un pacte « pétrole contre sécurité » avec la monarchie saoudienne à la manière de la rencontre entre Franklin Roosevelt et le roi Ibn Saoud en février 1945, mais les relations entre les deux pays ont toujours été bonnes. En 1979, c’est même Paris qui a sauvé le royaume d’une cruelle humiliation lors de la prise de La Mecque, avec l’appui clandestin du GIGN.

La France a certes des idées et pas de pétrole, mais elle a terriblement besoin d’or noir. De 1990 à 2012, la Russie était le principal fournisseur de Paris en hydrocarbures. Mais, depuis 2013, l’Arabie saoudite est passée au premier plan : en 2015, dernière année connue, Riyad a fourni 18,6 % du pétrole brut acheté par la France. Étant donné les tensions avec Moscou, il est évidemment devenu très compliqué de se fâcher avec les Saoudiens. Contrairement au marché des armes, où c’est l’acheteur qui est en position de force, le pouvoir sur le marché du pétrole appartient au vendeur. Paris est donc doublement perdant face à Riyad.

Outre cette double soumission économique, la France s’est insérée dans les alliances compliquées au Moyen-Orient du côté de l’Arabie saoudite contre l’Iran. Dès lors, elle est de fait emportée dans cette alliance de surenchère guerrière que forment Mohammed ben Salmane et Benjamin Netanyahou, dans un sidérant retournement où le foyer idéologique (et financier) du pire terrorisme islamiste est devenu le plus proche allié d’un État d’Israël livré à l’extrême droite et à ses délires d’apartheid.

Ce choix tricolore est purement politique. Il découle de la lente ascension des néoconservateurs français au Quai d’Orsay et à l’Élysée, entamée sous Sarkozy, poursuivie sous Hollande et maintenant Macron. Cette poignée de hauts fonctionnaires alignés sur la position bushiste de « l’axe du mal » n’a cessé de gagner en influence. Pour eux, l’Iran est une menace sur la paix mondiale bien supérieure à l’Arabie saoudite, en dépit du fait que 15 des 19 kamikazes du 11 septembre 2001 étaient saoudiens, en dépit de la propagation du rigorisme wahhabite sur le reste du globe, en Europe notamment, en dépit de l’absence de contre-pouvoirs d’aucune sorte face à la famille régnante.

La fixation sur l’acquisition potentielle de l’arme nucléaire par Téhéran est devenue un obstacle à toute évaluation rationnelle du danger. Lors des années de négociation qui ont conduit aux accords de Vienne sur le nucléaire iranien, les négociateurs français, de leur aveu même, se sont montrés bien plus durs et récalcitrants que les diplomates américains.

L’Iran n’est certes pas un parangon de vertu ni un modèle de respect des droits fondamentaux, mais c’est un pays avec des courants d’expression contradictoires, des élections, une population hautement éduquée et désireuse de rompre des décennies d’isolement. Surtout, ce n’est pas un pays où les humeurs d’un souverain, ou de son fils, sont capables de chambouler en une nuit la gouvernance des institutions, de menacer de guerre un voisin si celui-ci ne se soumet pas à une liste de desiderata, ou de bâtir des plans de développement sur la comète, qui serviront surtout à enrichir les banques étrangères. Tout ce que l’Arabie saoudite est sous la direction actuelle du prince héritier ben Salmane.

Ce choix de courtiser Riyad plutôt que de discuter paisiblement avec Téhéran et, ce faisant, de s’aligner sur la position des États-Unis version Trump, a conduit Paris à retirer immédiatement ses billes quand Washington a dénoncé l’accord sur le nucléaire en mai 2018. Alors que le ministre de l’économie Bruno Le Maire, dans un sursaut (gaulliste ?) avait promis que la France ne se laisserait pas dicter sa politique commerciale, les entreprises françaises qui étaient retournées en Iran (Peugeot, Total, Airbus) ont très vite fait leurs bagages pour complaire aux États-Unis, mais aussi à l’Arabie saoudite.

« Pensons à tout ce que le pétrole nous fait accepter, oublier et tolérer ! » En 2006, il y a donc plus de dix ans, un haut responsable politique français exprimait à haute voix sa colère contre une situation qui conduit à ne pas mettre « suffisamment en cause ces royaumes, ces émirats, ces régimes totalement corrompus et aucunement démocratiques, auxquels nous vendons des armements dont nos présidents se font les représentants de commerce, tandis que le statut de la femme se limite à l’arrivée de rares élues aux chambres de commerce de Riyad ou de Djeddah ».

Dans un fort credo écologique, il appelait à « sortir le plus vite possible du pétrole », ajoutant que cette révolution est « nécessaire à tout point de vue, pas seulement environnemental ». « La dépendance pétrolière, résumait-il, n’est pas uniquement une question écologique ni même une affaire de source d’approvisionnement. C’est un problème politique : tant que nous n’aurons pas pris nos distances, construit notre indépendance, repris notre liberté, nous serons faibles, mous et sans principes. »

Ce dirigeant français parlait d’or, dans un livre qui, d’ailleurs, revendiquait Le Devoir de vérité (Stock). Il se nommait François Hollande et est devenu, six ans après ces propos lucides, président de la République française, un président qui sera le plus assidu de la Ve République auprès de la monarchie absolue saoudienne. « Faibles, mous, sans principes… » Oui, en effet.

 

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