Portrait
Elle vous accueille chaleureusement. Et vous jauge de son regard clair. Comme si elle voulait voir si son interlocutrice partage ses références. D’emblée, elle plante son regard bleu dans le vôtre. « C’est la première fois, depuis 60 ans, que je reviens sur une tragédie qui a bouleversé mon existence. »
Anne Guillou, écrivaine et romancière, sociologue et chercheuse reconnue pour ses travaux en sociologie rurale, vient de sortir un récit sur les jours sombres de l’Algérie.
En l’écoutant, on glisse inéluctablement vers le passé, celui d’un Finistère rural très éloigné de la plupart des tragédies qui agitaient le monde, marqué par ses destins brisés, par l’emprise de l’église, par le quotidien, qui suit son cours…
« Faite pour aimer »
Cette vie est alors la sienne. Celle d’une jeune fille « bonne en calcul mental, dictée et rédaction », qui quitte la ferme familiale de Kerougay, à Guiclan, pour le juvénat (institution destinée à former de jeunes religieuses) de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine). « C’était le prix à payer pour espérer un autre avenir que celui de paysanne… Malgré ma bonne volonté, en fin de 4e, je ne suis pas qualifiée pour poursuivre. »
Anne reprend le fil de son parcours scolaire à Notre-Dame-du-Mur, à Morlaix. « À quinze, seize, dix-sept ans, je sens que je suis faite pour aimer… Mon père acceptera que je m’émancipe quand Raymond se fera connaître comme futur mari. »
Anne est alors institutrice à Landivisiau. Raymond Messager, fils de paysans de Guiclan, est un élève brillant. Il choisit la carrière militaire. Le parcours du jeune officier, formé à Saint-Cyr-Coëtquidan, ajoutait à la renommée de la famille « mais je me suis toujours demandée pourquoi il était allé vers ce métier ? »
Le 12 septembre 1960, le sous-lieutenant est affecté au poste militaire de T’kout dans les Aurès. « Mais il n’atteignit jamais sa destination, il est tombé dans une embuscade tendue par les rebelles. »
« J’avais 20 ans »
À Guiclan, c’est le choc. « Un chaos psychologique, seule avec ma douleur, je suis comme victime d’un dérèglement », se souvient Anne. Sa vie s’écroule. « J’avais 20 ans, qu’est ce que j’allais devenir ? »
En retraite depuis plusieurs années, elle a écrit plusieurs romans. Mais l’époque de ses vingt ans revient comme un boomerang. C’est en 2016, dans les Aurès, en Algérie, qu’elle renoue avec son passé qui l’a durement bouleversée, il y a près de 60 ans. Ce n’est plus la grande Histoire. Mais son histoire à elle.
Un récit autobiographique sensible où elle revit cette longue remontée vers la vie et la reprise de ses études à la Sorbonne, l’enseignement, la lutte joyeuse et confiante du mouvement féministe. Un ouvrage qui donne aussi un éclairage documenté sur le conflit algérien « que les appelés du contingent ont préféré couvrir d’une chape de silence ».
Une embuscade dans les Aurès, chez Skol Vreizh. 15 €.
Dédicaces : 21 juillet, de 10 h à 12 h, chez Dialogues, et de 13 h 30 à 18 h, au centre Leclerc ; 25 juillet, de 10 h à 12 h, maison de la presse à Landivisiau ; 28 juillet, de 10 h à 12 h, à Guiclan.