(Transcription de l’émission spéciale Brésil ce lundi 29 octobre sur la Radio web, Radio Arts Mada. Manque l’interview de Ulysse Gallier à retrouver tous les matins de cette semaine à 9h sur Radio Arts-Mada)
Rabah Bahloul : Ce soir nous consacrons la totalité de l’émission de au Brésil. Vous connaissez certainement le résultat du deuxième tour de l’élection présidentielle dans ce pays : 55% pour le candidat de l’extrême droite, 45% pour celui de la gauche. A Radio Arts-Mada, nous sommes sous le choc. Un fasciste va présider aux destinées d’un pays de 210 millions d’habitants. Les retombées seront dures pour les démocrates et pour l’ensemble du continent latino-américain. Ce soir, José Fort va réagir à chaud, nous aurons en ligne un jeune Français qui vit au Brésil. José, alors que dire, que penser ?
José Fort
Oui, Rabah, nous sommes sous le choc et pourtant nous nous attendions à un tel résultat. Un fasciste ouvertement xénophobe, homophobe, violent à l’extrême particulièrement à l’égard des femmes, des noirs et des minorités, ancien militaire regrettant que la dictature qui a plongé le Brésil dans la sauvagerie de 1964 à 1985 se soit limitée « à torturer alors qu’il fallait tuer » devient président de la République du Brésil.
Quelques jours avant le scrutin, il a demandé aux « rouges marginaux de quitter le pays, sinon ce sera la prison. » Il s’est engagé à maintenir Lula embastillé, promis au candidat de la gauche Haddad de ne plus « rendre visite » (à Lula) mais de le rejoindre dans sa prison. Il a promis de « cogner dur », de « nettoyer » l’Amazonie et donc les Indiens, tout cela à la grande satisfaction de la Bourse en hausse, de la grande bourgeoisie ivre de revanche, des médias aux ordres, des gouvernants états-uniens tireurs des ficelles en coulisse. Un fasciste s’installe dans ce pays continent. Hier soir, lors de sa première déclaration après l’annonce du résultat il a déclaré, je le cite : « Le Brésil au- dessus de tout, Dieu au-dessus de tout ». Une référence assumée au « Deutschland über alles » (l’Allemagne au dessus-de tout)
Rabah Bahloul
As-tu un début d’explication. Je dis bien un début car j’imagine qu’avec du recul des analyses plus approfondies donneront matière à la réflexion
José Fort
Je vois plusieurs premières explications. Il n’y pas eu au Brésil, contrairement à d’autres pays du continent latino-américain des « commissions vérité » chargées de faire la lumière sur les monstruosités commises par la dictature militaire (1964-1985). Lula l’a souhaité mais l’opposition de l’armée et de la droite était tellement forte qu’il a dû composer.
Trente ans de répression féroce et les responsables de l’ordre brun ont pu finir leur vie en toute impunité. Quant aux nouvelles générations, elles n’ont été que peu ou pas du tout instruites sur l’ampleur des horreurs vécues par les plus anciens.
Après une période de transition marquée par plusieurs scandales et magouilles politiques, Lula arrive à la présidence de la République seulement en 2003 après plusieurs échecs électoraux.
Dilma Rousseff lui succède en 2011 et doit subir un coup d’Etat institutionnel en 2016. De 2003 à 2016, le Brésil enregistre d’importants progrès sociaux, la sortie de la misère pour près de 40 millions de Brésiliens, l’accès à l’éducation, à la santé considérablement amélioré et une présence affirmée du pays sur la scène internationale. Avec aussi dans les sphères du pouvoir, sans que Lula et Dilma ne soient directement impliqués, de graves cas de corruption, une augmentation gigantesque de l’insécurité, des alliances avec des gens peu recommandables du type de celle passée avec le vice-président de Dilma, le félon Tremer, qui a trahi la présidente pour mieux prendre sa place. En se débarrassant de Mme Rousseff, de vrais criminels sont arrivés au pouvoir, des gens dont les turpitudes et le comportement mafieux relèguent les acrobaties budgétaires de l’ex-présidente au rang de peccadille.
Depuis des années, la grande bourgeoisie brésilienne bénéficiant de médias à la botte préparait sa revanche.
Il fallait d’abord se débarrasser de Dilma Roussef. Puis chauffer à blanc l’opinion publique en sortant des affaires touchant le Parti des travailleurs en occultant les propres dérives d’une droite expérimentée en ce domaine. Il fallait surtout mettre hors de combat Lula qui était donné à 40% au premier tour et gagnant au second en l’emprisonnant sous un prétexte fallacieux. Pour finir, en déclenchant une campagne raciste, homophobe, revancharde, fascisante en direction de l’électorat traditionnel de la droite et de son extrême et populiste pour attirer ceux qui sortis de la misère sont retombés dans la précarité. L’oubli des sauvageries du passé, l’invitation aux plus basses pulsions, la corruption, l’insécurité, les fautes commises par des proches du Parti des Travailleurs et enfin le retournement des bénéficiaires hier d’une politique progressiste et aujourd’hui victimes de la crise ont alimenté l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Avec, dans les coulisses, le soutien des gouvernants états-uniens.
Rabah Bahloul. Avant de poursuivre notre entretien je souhaite diffuser à l’antenne une réaction d’un grand artiste brésilien. Et, c’est, Martine, la programmatrice musicale de Radio Arts-Mada qui nous rejoint. Nous t’écoutons Martine.
Arnaldo Antunes est poète, chanteur, musicien et compositeur. C’est une figure emblématique de la musique populaire au Brésil. Voici son cri d’alarme sur le risque de naufrage de sa patrie. Il exprime ce que ressentent aujourd'hui des dizaines de millions de Brésiliens.
Ecoutons ce qu’écrit Arnaldo Antunes. Je le cite :
« Ceci n’est pas un poème, juste un cri du cœur que je ne pouvais pas ne pas lancer et que je ne pouvais exprimer autrement qu’en découpant les phrases dans l’espace.
« J’ai vu, terrifié, le chanteur et compositeur Moa do Katendé assassiné de douze coups de couteau dans le dos pour avoir exprimé son soutien au candidat de la gauche dans un bar de Bahia.
« J’ai entendu, Luiz Melodia, lui aussi noir et compositeur, arborant la même crinière rasta que Moa do Katendé, chanter :
« C’est au cœur du Brésil que j’essaie de sentir encore palpiter entre la lumière et les ténèbres de ce trou obscur qui ne bat plus dans la poitrine de Moa do Katendé. »
Et Arnaldo Antunes de poursuivre :
« Il n’y a plus d’amour à Sao Paulo, il n’y a plus d’amour au Brésil fracturé en ces jours affreux de bottes brutales qui frappent au visage quiconque aime l’art, la culture, l’éducation, la liberté d’expression, la diversité, la citoyenneté, la solidarité, la démocratie. »
« Allons-nous tous continuer à marcher docilement vers l’abîme dans cette folie collective où le Brésil nie tout Brésil possible, aveugle tout futur possible.
Si il n’y a ni droit, ni respect, ni instruction, ni dignité, rien que l’horreur et la haine, la haine et l’horreur, les mots perdent leur clarté, les valeurs perdent leur valeur, la vie perd sa valeur.
« Pas un pouce de terre pour les indiens, pas une goutte de droits civiques ou de droits humains et le retour de la censure et de la haine pour étouffer une fois pour toute le rêve d’une nation qui a l’opportunité de donner au monde sa contribution originale désormais vouée à répéter ce qu’il y a eu de pire dans l’histoire. Plus d’histoire désormais. » Fin de citation.
J’ai choisi ce soir une chanson
d’Arnaldo Antunes. Il interprète « Naturalmente ». Ecoutons.
Rabah Bahloul. L’élection d’un extrémiste, d’un fasciste aura obligatoirement des retombées sur le continent latino-américain ?
José Fort
Oui, bien entendu, et vois-tu Rabah les vautours sont lâchés depuis un certain temps.
Le maintien à la tête de plusieurs pays des gouvernements progressistes et le développement des structures d’intégration économique et politique dans la région ont suscité la haine. A Washington, une feuille de route a été adaptée il y a déjà plusieurs années dotée d’énormes moyens financiers avec pour objectif d’aider les « oppositions dans les pays non amis ». Vous avez bien entendu « pays non amis ». Plusieurs hypothèses de « travail » ont été mises au point. Elles vont depuis l’aide matérielle à la subversion jusqu’à l’étranglement économique, ou encore depuis les actes de terrorisme jusqu’aux campagnes de propagande largement relayées en Europe. L’heure est à l’affrontement de classes aigu dans cette région du monde.
Il y a eu les coups d’Etat « institutionnels » au Paraguay, au Honduras et au Brésil. Il y a des opérations ciblées visant le Venezuela, la Bolivie, le Salvador, le Nicaragua et, depuis plus de 50 ans, Cuba.
Au cours des dernières années, ces pays ont enregistré des avancées sociales importantes et construit des politiques indépendantes et souveraines débarrassées de la main mise des multinationales. Ils ont travaillé à renforcer l’intégration régionale avec notamment la Communauté des Etats latinos américains. Un nouveau paysage politique s’était installé dans ce continent qui était autrefois le « pré carré » des Etats-Unis. Pour l’impérialisme nord-américain, ses banques, ses multinationales et ses terroristes protégés au plus haut niveau de l’Etat US et pour les oligarchies locales un coup d’arrêt s’imposait. Les fautes et les erreurs des gouvernants progressistes ont facilité le travail de destruction. Il faut s’attendre à des événements graves dans cette région du monde.
Déjà au Venezuela, les milieux liés à la grande bourgeoisie et à la mafia ont déclenché une guerre de rue, pour le moment apaisée, et un sabotage économique contre le gouvernement du président Maduro.
En Bolivie, des contrats ont été placés sur la tête du président Evo Morales. Au Salvador et au Nicaragua, les droites les plus extrêmes, avec la complicité des hiérarchies de l’église catholique et des évangélistes tentent de déstabiliser les gouvernements en place. Quant aux Cubains, ils doivent encore et encore affronter menaces et chantages, calomnies et mensonges.
A la Havane, cela fait plus d’un demi siècle que cela dure. Cette fois, avec Trump, l’embargo criminel contre la Grande Ile est renforcé.
Sur tout le continent latino-américain, l’impérialisme US et ses relais européens montrent les dents.
Au Brésil, un ancien capitaine qui veut privatiser les cent plus importantes entreprises nationales, qui annonce l’arrivée de cinq généraux au gouvernement, qui a noyé le pays sous les fausses nouvelles, qui a refusé tout débat public conscient de sa faiblesse congénitale, un véritable pantin aux mains de la grande bourgeoisie et des multinationales va présider le plus grand pays latino, une des dix premières puissances mondiales.
Hier soir, les candidats de la gauche Fernando Hadadd et Manuela D’Avila assurait, pour le premier, à ses 48 millions d’électeurs qu’ils pouvaient « compter sur lui pour garantir la défense de leurs droits et la démocratie » tandis que la seconde assurait que « la tristesse doit rapidement se transformer en résistance ».
Nos amis brésiliens, nos amis latinos, plus que jamais, ont besoin de notre solidarité.
J’ai choisi une dernière illustration musicale. Elle est dure mais correspond pleinement à la situation.
Ecoutons Jean Ferrat interpréter « Le bruit des bottes »
Rabah Bahloul. L’élection d’un extrémiste, d’un fasciste aura obligatoirement des retombées sur le continent latino-américain ?
José Fort
Oui, bien entendu, et vois-tu Rabah les vautours sont lâchés depuis un certain temps.
Le maintien à la tête de plusieurs pays des gouvernements progressistes et le développement des structures d’intégration économique et politique dans la région ont suscité la haine. A Washington, une feuille de route a été adaptée il y a déjà plusieurs années dotée d’énormes moyens financiers avec pour objectif d’aider les « oppositions dans les pays non amis ». Vous avez bien entendu « pays non amis ». Plusieurs hypothèses de « travail » ont été mises au point. Elles vont depuis l’aide matérielle à la subversion jusqu’à l’étranglement économique, ou encore depuis les actes de terrorisme jusqu’aux campagnes de propagande largement relayées en Europe. L’heure est à l’affrontement de classes aigu dans cette région du monde.
Il y a eu les coups d’Etat « institutionnels » au Paraguay, au Honduras et au Brésil. Il y a des opérations ciblées visant le Venezuela, la Bolivie, le Salvador, le Nicaragua et, depuis plus de 50 ans, Cuba.
Au cours des dernières années, ces pays ont enregistré des avancées sociales importantes et construit des politiques indépendantes et souveraines débarrassées de la main mise des multinationales. Ils ont travaillé à renforcer l’intégration régionale avec notamment la Communauté des Etats latinos américains. Un nouveau paysage politique s’était installé dans ce continent qui était autrefois le « pré carré » des Etats-Unis. Pour l’impérialisme nord-américain, ses banques, ses multinationales et ses terroristes protégés au plus haut niveau de l’Etat US et pour les oligarchies locales un coup d’arrêt s’imposait. Les fautes et les erreurs des gouvernants progressistes ont facilité le travail de destruction. Il faut s’attendre à des événements graves dans cette région du monde.
Déjà au Venezuela, les milieux liés à la grande bourgeoisie et à la mafia ont déclenché une guerre de rue, pour le moment apaisée, et un sabotage économique contre le gouvernement du président Maduro.
En Bolivie, des contrats ont été placés sur la tête du président Evo Morales. Au Salvador et au Nicaragua, les droites les plus extrêmes, avec la complicité des hiérarchies de l’église catholique et des évangélistes tentent de déstabiliser les gouvernements en place. Quant aux Cubains, ils doivent encore et encore affronter menaces et chantages, calomnies et mensonges.
A la Havane, cela fait plus d’un demi siècle que cela dure. Cette fois, avec Trump, l’embargo criminel contre la Grande Ile est renforcé.
Sur tout le continent latino-américain, l’impérialisme US et ses relais européens montrent les dents.
Au Brésil, un ancien capitaine qui veut privatiser les cent plus importantes entreprises nationales, qui annonce l’arrivée de cinq généraux au gouvernement, qui a noyé le pays sous les fausses nouvelles, qui a refusé tout débat public conscient de sa faiblesse congénitale, un véritable pantin aux mains de la grande bourgeoisie et des multinationales va présider le plus grand pays latino, une des dix premières puissances mondiales.
Hier soir, les candidats de la gauche Fernando Hadadd et Manuela D’Avila assurait, pour le premier, à ses 48 millions d’électeurs qu’ils pouvaient « compter sur lui pour garantir la défense de leurs droits et la démocratie » tandis que la seconde assurait que « la tristesse doit rapidement se transformer en résistance ».
Nos amis brésiliens, nos amis latinos, plus que jamais, ont besoin de notre solidarité.
J’ai choisi une dernière illustration musicale. Elle est dure mais correspond pleinement à la situation.
Ecoutons Jean Ferrat interpréter « Le bruit des bottes »
COMMUNIQUÉ de PRESSE du BUREAU CONFÉDÉRAL DE LA CGT
Bolsonaro devient président, des temps difficiles s’annoncent pour les travailleurs.
Le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro a été élu dimanche président du Brésil, avec 55,3% des voix.
Près de 150 millions de Brésilien-ne-s étaient appelés aux urnes à l’issue d’une campagne qui s’est déroulée dans un environnement des plus délétères, méconnu depuis la fin de la dictature des militaires.
Un tel résultat de scrutin, dans le pays le plus important de ce continent et dont les relations commerciales, culturelles et diplomatiques au plan international sont de premier ordre, aura des conséquences importantes en terme géopolitique, tant au niveau continental qu’international.
Ce scrutin au Brésil fait grossir la liste des pays où droite radicale et extrême droite profitent d’une forme de rejet des institutions et des politiques traditionnels, cela se multiplie dans le monde : États-Unis, Brésil, Italie, France, Hongrie, Suède, Allemagne, Autriche…
Dans un pays taraudé par des phénomènes de violences dramatiques, des difficultés économiques catastrophiques, une corruption récurrente et une crise de confiance dans la classe politique, le candidat d’extrême droite est parvenu, avec des discours conjuguant populisme, démagogie et xénophobie, à apparaître comme l’homme providentiel dont le Brésil aurait besoin.
Défenseur de la « famille traditionnelle » et d’une société patriarcale, il a reçu le soutien crucial des puissantes églises évangéliques, tout comme son projet de politique économique ultra-libéral a reçu le soutien des forces patronales et du monde de la finance.
Le bond des marchés financiers lors de ce scrutin démontre, s’il en est besoin, que le monde des affaires se satisfait d’un tel Président. Il promet de privatiser à grande échelle, de réduire les dépenses publiques, de transformer le système de retraite, d’assouplir le « marché » du travail… rien de bon pour le monde du travail !
L’état de corruption qui mine le pays et le manque de perspectives économiques anéanties par les politiques récentes ont joué aussi un rôle majeur dans ce résultat.
Les Brésilien-ne-s ont donc été sensibles au discours démagogique, de moralisation de la vie politique et ultra sécuritaire de Bolsonaro.
Le niveau de la corruption politique et les récentes condamnations d’anciens présidents, relevant souvent de conspirations, font que l’on peut parler aussi de désintégration de l’État.
Son agenda est clairement libéral, ses positions radicales, ses prises de positions en faveur de la libéralisation des armes semblent avoir trouvé un écho dans une société conservatrice et profondément inégalitaire. L’ordre fort a séduit également un public modeste épuisé par la précarité et la violence récurrente qu’il subit.
Néanmoins, les classes urbaines aisées demeurent le socle de son électorat, sous influence des évangélistes, des forces de l’argent, qui plébiscitent un projet économique ultralibéral.
Certains affirment que : « Cette élection est un cirque au milieu du carnaval tragique qui se joue en Amérique latine avec le retour en force des gouvernements réactionnaires. » Une politique dont rêvait la droite brésilienne pour briser les acquis sociaux, avec en complément et non des moindres, une attaque en règle contre la démocratie.
Bolsonaro est un grand adepte de discours haineux à l’égard des militants de gauche, des syndicalistes, des noirs, des homosexuels, des femmes… Autant de repères idéologiques du fascisme qui font craindre des moments difficiles pour tous les progressistes de ce pays.
La CGT exprime toute sa solidarité aux travailleurs-euses, aux syndicalistes et aux forces de progrès du Brésil et à tous ceux, porteurs d’une société fraternelle, plus juste et émancipatrice. Ils vont devoir résister et combattre dans ce contexte politique et social particulièrement inquiétant.
Montreuil, le 29 octobre 2018
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