Adjoint à la mairie de Paris chargé du Logement depuis 2014, Ian Brossat a été confronté à l’explosion des plateformes de location meublée de courte durée dans la capitale, première destination mondiale d’Airbnb depuis 2015. Dans son livre Airbnb, la ville ubérisée (1), celui qui a été désigné cet été tête de file des communistes aux prochaines élections européennes analyse les effets de la plateforme californienne sur les villes, et raconte son action pour réguler cette nouvelle activité, très lucrative pour certains.

Deux ans après l’ouverture de son bureau parisien, la croissance d’Airbnb dans la capitale est vertigineuse : entre 2013 et 2016, le nombre de nuitées facturées a bondi de 4 à 37 millions sur l’ensemble de son activité. Non sans conséquences, souvent désastreuses, que l’élu parisien dénonce dans son livre.

Logements saccagés

Au premier rang desquelles, l’aggravation d’un phénomène déjà ancien : la désertification des centres-villes, qui deviennent des musées habités essentiellement par les touristes. Avec un lot de nouvelles nuisances pour ceux qui y vivent encore : vacarme constant des valises, fêtards, incivisme des locataires, etc. Parfois, c’est pire : comme l’inscription sur Airbnb ne demande presque pas de vérifications ou de documents, certains propriétaires ont vu leur logement saccagé par des locataires, qui se sont par la suite volatilisés.

Cas plus extrême : une Parisienne, qui s’est confiée à Brossat, raconte avoir été réveillée un matin par la police. Son appartement avait été loué à un proxénète qui l’utilisait pour prostituer des mineures. Face à cette affaire, l’attitude de la plateforme avait été pour le moins surprenante : toutes les conversations entre la propriétaire et le locataire proxénète ont été effacées. «Une belle façon pour Airbnb de s’assurer que l’histoire ne donnera pas lieu à des articles de presse…» note l’élu parisien.

«Economie de la prédation»

Le livre de Brossat décrit une réalité assez loin de l’image sympa que cherche à se donner la firme californienne. Plutôt qu’une économie du partage, il dénonce une véritable «économie de la prédation». Et une volonté, chez la plateforme domiciliée à San Francisco, de ne pas se soumettre aux lois qui encadrent et régulent son juteux business. Petit rappel : depuis la loi ALUR de 2014, seules les résidences principales peuvent être louées sur les plateformes, et ce dans la limite de 120 nuitées par an. Légalement, Airbnb peut donc constituer un complément de revenus pour des particuliers – qui louent leur logement pendant leurs vacances –, mais pas une activité commerciale pour des professionnels.

Or la mairie de Paris estime qu’au moins 20 000 logements parisiens sont loués via Airbnb par des investisseurs immobiliers, qui les transforment en machines à cash, en toute illégalité. Elu du XVIIIe arrondissement, Ian Brossat évoque l’existence à Montmartre, quartier ultra-touristique, d'«immeubles entiers transformés en hôtels clandestins par des multipropriétaires présents sur les plateformes.»

Sursaut citoyen

Et pour cause : la location meublée de courte durée est bien plus rentable que la location classique, plus encadrée et régulée. Un simple deux-pièces dans un quartier recherché peut rapporter jusqu’à 4000 euros par mois. Ian Brossat raconte dans son livre comment il a dû batailler contre Airbnb et ses lobbys pour faire appliquer la loi : mise en place d’un numéro d’enregistrement obligatoire pour les annonces, renforcement des équipes de contrôleurs et des opérations «coups de poing» pour traquer les locations illégales, doublement des amendes encourues…

Le livre est autant un réquisitoire contre Airbnb qu’un plaidoyer pro domo pour «une mandature décisive dans la lutte contre l’ubérisation de la ville lumière». Et un appel à un sursaut citoyen face à la tendance des géants du numérique à se substituer aux Etats. Alors que le chiffre d’affaires des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dépasse le PIB d’Etats comme le Portugal, Ian Brossat en est convaincu : l’Union européenne est l’échelon qui peut répondre aux géants du numérique. Encore faut-il que l’UE change d’orientation, estime la tête de liste du Parti communiste aux élections européennes de mai prochain. Nul doute qu’il portera ce débat au cours de la campagne.

(1) AirbnB, la ville ubérisée (éd. La ville Brûle). Sortie en librairies le 6 septembre.

Nicolas Massol