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14 août 2018 2 14 /08 /août /2018 05:49
Rupture dans la continuité - Manuel Valls prépare la prise de Barcelone par la droite (Ludovic Lamant, Médiapart - 13 août 2018)
Manuel Valls prépare la prise de Barcelone par la droite
 PAR 

L’ex-premier ministre s’est entouré de conseillers et multiplie les dîners à Barcelone, en vue des municipales de mai 2019. Face aux indépendantistes, Manuel Valls veut être le « candidat de l’ordre ». Mais il retarde sa décision, conscient du risque d’échec. Issu de la droite dure, l’un de ses conseillers crispe.

 

Barcelone (Espagne), envoyé spécial.– Il répète qu’il n’a pas pris sa décision. « Je me donne encore quelques semaines de réflexion », a fait savoir Manuel Valls au quotidien El País le 19 juillet. L’ancien premier ministre français a prévu de dire, en septembre ou octobre, s’il se lançait dans la course à la mairie de Barcelone, en vue des élections du 26 mai 2019.

Il est en tout cas très « motivé », selon le mot d’Inés Arrimadas, la figure montante de Ciudadanos en Catalogne. Ce parti de la droite libérale, allié de LREM en France, a proposé à l’ancien premier ministre d’être son candidat pour Barcelone. « Il doit prendre la décision, qui n’est pas seulement politique mais personnelle, de se lancer dans une aventure qui serait fantastique et inédite », s’est enthousiasmée Arrimadas mi-juillet.

Durant l’été, Valls consulte à tout-va. L’ancien socialiste enchaîne les dîners dans la capitale catalane, rencontre des chefs de parti, des patrons de presse et des entrepreneurs. Avec un groupe d’une quinzaine de conseillers qui militent pour sa candidature et l’alimentent en fiches, Valls tente d’ébaucher une stratégie pour remporter la deuxième ville d’Espagne, où il est né en 1962 avant d’emménager, très jeune, en France.

À peine lâchée l’hypothèse d’un parachutage Valls, des figures de la politique locale se sont préparées à la bataille. « Certains ont l’air désespéré au point de chercher des noms de célébrités », a ironisé la maire de Barcelone, Ada Colau, une ancienne activiste pour le droit au logement. Elle a aussi critiqué les positions « réactionnaires » de Manuel Valls sur les questions migratoires, ajoutant : « Ce qui m’interpelle, c’est qu’il ne vit pas à Barcelone. » Le candidat socialiste, Jaume Collboni, a lancé quant à lui : « Barcelone ne peut pas être un simple prix de consolidation pour les carrières politiques empêchées. »

Du côté du monde indépendantiste, le ton est plus rude, face à ce qu’on appelle dans le football espagnol un « fichaje galáctico », un « transfert phénoménal ». Pour le conservateur Xavier Trias, ancien maire de la ville (de 2011 à 2015), Valls est tout simplement « un facho », en référence à sa défense arc-boutée de « l’unité de l’Espagne ». Quant à Alfred Bosch, candidat à la mairie pour l’ERC, la gauche républicaine indépendantiste, il déclare : « Barcelone n’est pas une piste d’atterrissage pour parachutés. »

Cet accueil glacial n’a semble-t-il pas découragé le Franco-Espagnol. Citant des sources internes à Ciudadanos, La Vanguardia, le quotidien le plus influent de Barcelone, donnait début juillet Valls partant à « 96 % ». Dans les QG des partis catalans, qui préparent déjà la campagne de l’an prochain, les spéculations vont bon train. « J’ai l’impression qu’il sera candidat, il multiplie les prises de contact avec des gens de premier rang, dans de nombreux secteurs, son agenda est très étudié », assure à Mediapart Ramón Luque, un dirigeant écolo-communiste qui travaille à la réélection d’Ada Colau.

« Il a franchi un certain nombre d’étapes précises qui me donnent l’impression qu’il va se présenter », renchérit Carlos Prieto, le directeur de campagne du PSC, les socialistes catalans. « En mai dernier, il avait 80 % de chances de l’emporter. Maintenant, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir à Madrid, cela s’annonce plus difficile », tempère, sous le sceau de l’anonymat, un politique catalan qui a proposé ses services à Valls.« Cela me semblait plus probable il y a trois mois qu’aujourd’hui », évalue de son côté l’éditorialiste vedette de La Vanguardia, Enric Juliana.

« Il existe une certaine attente, dans une partie du monde entrepreneurial et dans l’establishment. Ces secteurs sont orphelins de l’ancien parti Convergència [le parti de Jordi Pujol, longtemps majoritaire – ndlr], qui s’est radicalisé ces dernières années dans sa défense de l’indépendance. Il y a là un électorat déçu à reconquérir et Valls a les moyens d’occuper cet espace politique de l’ordre, analyse le journaliste Roger Palà, du site d’enquête catalan El Crític. Ici, on aime les choses pittoresques. Qu’un Français, ancien premier ministre, et qui en plus parle catalan, débarque, ça nous occupe. Après, c’est autre chose de savoir si cela va fonctionner… »

Valls, candidat de « l’ordre », face à la « populiste de gauche » Ada Colau ? Le député français s’est imposé dans le débat public espagnol en pleine tempête indépendantiste. Il est devenu, en décembre 2017, l’une des voix les plus fermes à l’encontre du « Procès » (vers l’indépendance) de Carles Puigdemont et de ses alliés. Ses interventions musclées en défense de « l’unité de l’Espagne » ont marqué les esprits, dans une émission télé très suivie (l’Espejo Público de Susanna Griso), dans des conférences avec des élus, de gauche comme de droite, ou encore des meetings organisés par la Societat Civil Catalana (SCC), une plateforme qui rassemble les adversaires de l’indépendantisme catalan.

Point d’orgue de cette Blitzkrieg menée contre les partis indépendantistes – et qui n’apas fonctionné dans les urnes –, Valls est intervenu devant une salle comble, le 16 décembre, aux côtés d’Albert Rivera, le leader de Ciudadanos ou encore de Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature aux positions très conservatrices (vidéo ci-dessous). D’après un article d’El Mundo, des responsables de la SCC approchent Valls dès ce 16 décembre pour lui parler d’une éventuelle candidature à la mairie. À l’époque, « il les regarde bouche bée et rejette l’offre ».

« Je doute de la compétitivité de Valls dans un contexte municipal »

En mars 2018, son état d’esprit a évolué. En marge d’une « marche constitutionnaliste » dans les rues de Barcelone – pour la défense de la Constitution espagnole –, Valls se fait cette fois courtiser par Albert Rivera, qui se trouve à l’époque très haut dans les sondages. Rivera sait que son parti manque de personnalités de premier plan.

Son alliée Inés Arrimadas est la chef de file de Ciudadanos pour la Catalogne. Mais au niveau de la ville de Barcelone, il n’y a que des seconds couteaux – en l’occurrence, une ancienne députée régionale du Parti populaire (PP), Carina Mejías – pour les municipales à venir. « Le banc de Ciudadanos est si pauvre qu’ils n’ont même pas un candidat sur place », ironise Ramón Luque, pour le camp d’Ada Colau.

Valls, depuis, hésite manifestement à se lancer. En délicatesse sur la scène française, éclipsé par le surgissement d’Emmanuel Macron, l’ancien maire d’Évry sait que Barcelone, ville-monde, serait une formidable occasion pour lui de se relancer. À ses yeux, ce serait « un engagement dans un autre pays, au nom de l’idéal européen », bref, une manière de « symboliser l’Europe par la preuve ». Mais il est aussi conscient qu’un échec en Espagne, après la victoire poussive – et largement contestée – dans sa circonscription d’Évry aux législatives de 2017, compliquerait un peu plus la suite de sa carrière politique.

Sur la route de la mairie, deux obstacles sérieux se dressent. D’abord, Valls est très identifié au débat sur « l’unité de l’Espagne ». Mais le scrutin de 2019 pourrait bien se jouer sur d’autres enjeux. « Les municipales ont toujours été dominées à Barcelone par des débats locaux. Quels travaux lancer, quelle ligne de métro creuser ? Les élections à venir ne seront donc pas forcément marquées par le Procès. En tout cas, rien ne dit à ce stade que ce sera le dossier décisif. Et je doute de la compétitivité de Valls dans ce contexte », avance le journaliste Roger Palà.

Valls s’est déjà fait piéger dans un entretien à la radio catalane – mené par un journaliste qui ne cache pas ses convictions indépendantistes –, lorsqu’il s’est trouvé incapable de dire combien Barcelone comptait de quartiers, ou lequel de ces quartiers affichait le revenu par habitant le plus faible. Depuis, l’image d’un Français qui ne connaît rien à la ville lui colle à la peau.

L’autre difficulté est plus structurelle. En quelques mois, le paysage politique espagnol a totalement changé. Le socialiste Pedro Sánchez a pris la place de Mariano Rajoy à la Moncloa, et dirige un gouvernement qui cherche à se montrer plus conciliant sur la question catalane. Aussi fragiles soient-ils, les sondages, scrutés de près par les équipes politiques, esquissent un tassement de Ciudadanos en Catalogne, au profit du PSC, les socialistes catalans.

Quant à Rajoy, il a cédé sa place à la tête du PP, le parti populaire, au jeune loup Pablo Casado, aux positions tout aussi intransigeantes qu’Albert Rivera sur la Catalogne. Bref, les beaux jours de Ciudadanos, qui caracolait en tête dans les sondages au printemps, après sa victoire en trompe-l’œil aux régionales de décembre 2017, semblent passés. « Le scénario n’est plus du tout celui d’il y a trois mois, résume Enric Juliana. Le PSOE est au gouvernement, le PP cherche à se revitaliser comme force d’opposition, avec un profil jeune. Pour Ciudadanos, le scénario a totalement changé. »

Conscient de cette double difficulté, Valls a mis au point, avec son entourage, une stratégie inattendue. Il veut apparaître moins clivant sur la question de l’indépendance, en intégrant parmi ses soutiens ceux que l’on appelle des « catalanistes ». Des citoyens qui, sans être indépendantistes, reconnaissent les spécificités d’une histoire et d’une identité catalanes. « J’aurai le soutien de Ciudadanos [si je suis candidat], mais je ne veux pas être le candidat d’un seul parti », a-t-il déjà expliqué.

En clair, il rêve d’une plateforme transversale, qui aille de la droite dure « espagnoliste » (PP inclus) à un centre-gauche « catalaniste » occupé, notamment, par les socialistes du PSC. « S’il est seulement le candidat des anti-indepe [les adversaires de l’indépendantisme – ndlr], il ne pourra pas gagner Barcelone. Il doit faire campagne en faisant l’éloge de la grande métropole européenne », résume ce politique catalan conservateur cité plus haut, qui lui a proposé ses services.

C’est pourquoi Valls s’est dépêché de rencontrer au printemps le chef du PSC catalan, Miquel Iceta, et son candidat pour 2019, Jaume Collboni. Sans surprise, ils ont refusé son offre d’une alliance avant les élections, convaincus que le PSC a les moyens de reprendre seul la mairie à Ada Colau.

« Nous voulons une campagne qui parle des problèmes des citoyens, du logement, de la propreté des rues, de la cohabitation à l’échelle des quartiers », avance Carlos Prieto. Le directeur de campagne insiste : « Nous avons l’impression que Valls ne connaît pas si bien la ville, et surtout, son entrée en matière dans la politique locale nous laisse penser qu’il ne va pas parler de Barcelone, mais de bien d’autres choses. C’est légitime, mais ce n’est pas notre position. »

Josep Ramon Bosch, le conseiller controversé

Après cet échec, Valls cherche désormais à séduire des partis catalanistes plutôt confidentiels, à l’instar de Lliures (« Libres »). Avec, à ce stade, peu de résultats. Au-delà des liens avec le monde économique, il a aussi cherché, ces dernières semaines, à gagner les sympathies du monde culturel. Il a dîné avec les écrivains Nuria Amat et Javier Cercas, ou encore l’architecte Oscar Tusquets.

Mais ces prises de contact ne doivent pas cacher l’essentiel : Valls s’appuie avant tout sur des réseaux de droite – et même de la droite dure – pour échafauder son plan. « Valls va construire un récit autour d'une Barcelone néolibérale, contre la “populiste” Ada Colau... Il va personnaliser la bataille, comme étant le seul capable de battre Ada Colau. Ce qui va re-polariser les enjeux autour d'un axe droite-gauche plus traditionnel, loin des débats sur l'indépendance : ce seront les néolibéraux avec Valls contre la gauche de Colau », prévoit l'écolo-communiste Ramón Luque, qui se frotte les mains par avance.

Manuel Valls s’est rapproché d’un groupe d’entrepreneurs trentenaires, Twenty50, où l’on retrouve notamment Xavier Cima, un ancien élu de Convergència parti dans le privé, également connu à Barcelone pour être marié à Inés Arrimadas, de Ciudadanos. Valls travaille aussi avec des réseaux du Parti populaire, même si le PP catalan a obtenu à peine plus de 4 % aux élections de 2017.

Cette opération séduction ne se fait pas sans accrocs. Comme lors de ce dîner organisé fin mai au domicile barcelonais de l’entrepreneur Marian Puig, qui dirige l’un des lobbies patronaux les plus influents de la ville, en compagnie d’autres patrons, dont Màrius Carol, le directeur de La Vanguardia.

 

Agacé par des remarques de certains invités, qui s’étaient montrés critiques de la gestion de la crise catalane par Madrid, Valls a lancé, furieux, selon le compte-rendupublié dans le quotidien de droite ABC : « Tout est de votre faute [...]. Vous vous plaignez tout le temps, mais vous n’avez rien fait. Vous êtes la bourgeoisie catalane, l’élite du pays, et vous n’avez rien fait. Une bourgeoisie qui ne montre pas le chemin n’est pas une bourgeoisie : c’est seulement un club d’insolents et de riches. »

Outre le soutien de Ciudadanos, Valls compte surtout sur la machine de guerre de la SCC, la Societat Civil Catalana. Là encore, c’est un pari risqué, tant cet attelage est hétéroclite. Sous couvert d’opposition à l’indépendance, la SCC brasse large, depuis l’extrême droite « espagnoliste » et nostalgique de Franco à des composants conservateurs plus modérés, déstabilisés par le virage indépendantiste de la Catalogne ces dernières années.

Le quotidien madrilène El Mundo a présenté le premier président de la SCC, Josep Ramon Bosch, comme le cerveau de « l’opération Valls ». À en croire le journal, c’est Bosch qui construit l’agenda de Valls à Barcelone depuis avril, lui fait rencontrer entrepreneurs et journalistes, et tente de le convaincre de se lancer. Or Josep Ramon Bosch est loin d’être un inconnu à Barcelone. Avant de présider la SCC, Bosch, dont le père militait au Frente Nacional, le principal parti d’extrême droite en Espagne après la mort de Franco, a cofondé en 2011 Somatemps, un collectif d’extrême droite qui défend« l’identité hispanique de la Catalogne » et qui fut l’un des membres fondateurs, des années plus tard, de la SCC.

« Les origines de la SCC, du temps où c’était une plateforme très minoritaire, sont clairement liées à l’extrême droite. C’est de là que vient Josep Ramon Bosch », résume le photojournaliste Jordi Borràs. Connu pour ses convictions indépendantistes, Borràs est l’auteur d’une enquête à charge contre la SCC, qui met en évidence les liens entre cette dernière et l’extrême droite (éditions Saldonar, 2017). « Bosch incarne une version du nationalisme espagnol issu du carlisme, insiste-t-il, en référence à ce courant politique très réactionnaire du XIXe siècle espagnol. C’est un type d’extrême droite, qui parie, pour des raisons tactiques, pour un nationalisme espagnol transversal. »

Rupture dans la continuité - Manuel Valls prépare la prise de Barcelone par la droite (Ludovic Lamant, Médiapart - 13 août 2018)

Borràs est à l’origine de la démission de Bosch de la présidence de la SCC, en 2015. Dans un article de Borràs publié en pleine campagne électorale en 2015, Bosch, qui a aussi milité au PP un temps, est accusé d’avoir insulté et diffamé plusieurs figures de l’indépendantisme catalan, sous couvert d’une fausse page Facebook. Lui a toujours nié ses accusations, mais le dépôt d’une plainte – qui n’a pas abouti en raison de la prescription – l’a obligé à quitter ses fonctions. Valls connaissait-il en détail le pedigree de son conseiller, avant de travailler avec lui ? Sollicité par Mediapart pour répondre à nos questions, Manuel Valls n’avait pas donné suite, à l’heure où nous publions cet article.

Le cas Bosch n’est peut-être pas la seule faille de la candidature Valls. En décembre dernier, le site El Nacional avait révélé qu’un lobby patronal avait sollicité plusieurs entreprises membres de l’IBEX 35 (l’équivalent du CAC 40 en Espagne) pour couvrir les frais de la tournée de Valls – estimés à quelque 40 000 euros –, lors de l’un de ses déplacements en campagne contre l’indépendantisme. Alors qu’il a pris l’habitude de séjourner dans le très chic hôtel Alma du quartier de l’Eixample lors de ses très fréquentes venues à Barcelone – il devra emménager pour de bon dans la ville s’il se décide à être candidat –, la question de la transparence du financement de la pré-campagne de Valls, par ailleurs député à l’Assemblée nationale, s’annonce elle aussi sensible.

Rupture dans la continuité - Manuel Valls prépare la prise de Barcelone par la droite (Ludovic Lamant, Médiapart - 13 août 2018)
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