
Les bénéfices des sociétés de l’indice phare ne riment pas forcément avec embauches. Un tiers d’entre elles, ultrarentables, sont engagées dans des destructions de postes, certaines profitant des facilités des ordonnances Macron.
Quinze mille postes supprimés ou menacés à court ou moyen terme chez les entreprises du CAC 40. C’est, a minima, le recensement effectué par l’Humanité pour les 34 sociétés sur 40 qui ont publié à ce jour leurs comptes semestriels. Ceux-ci sont au beau fixe : plus de 47 milliards de profits sur les six premiers mois de l’année. Tous ces groupes sont bénéficiaires, à l’exception de Carrefour. Pourtant, un tiers d’entre eux ont annoncé ou procèdent à des coupes dans leurs effectifs en France (Airbus, 470 postes ; Axa, 160 ; BNP Paribas, 5 000 ; Engie, 2 500 ; Michelin, 1 500 ; PSA, 2 200 ; Sanofi, 657 ; Schneider Electric, 150 ; Société générale, 2 135 ; Solvay, 160 ; Veolia, 572).
Certaines de ces sociétés affichent même des profits en forte hausse, comme PSA (+ 18 %), Veolia (+ 13 %), la Société générale (+ 11 %) ou Michelin (+ 6 %). Pour Nasser Mansouri-Guilani, ces pratiques sont la preuve que « le discours libéral selon lequel il faut que les profits s’améliorent pour que l’on crée des emplois est infondé. C’est un discours idéologique, constate l’économiste et syndicaliste à la CGT (lire notre entretien page 6). Depuis au moins trois décennies, la part des profits monte sans que l’investissement et encore moins l’emploi n’augmentent nécessairement. Il n’y a pas de mystère : si ça augmente pour le capital, ça baisse pour le travail ».
Certains plans de suppression de postes sont officiels et s’étalent parfois sur plusieurs années, d’autres, comme la délocalisation du service clientèle chez Engie, s’apparentent à des « plans sociaux déguisés », estime l’expert d’un cabinet spécialisé. Selon cette source, « de plus en plus d’entreprises brouillent les pistes en jouant la carte de la transformation permanente : vente de filiales, départs forcés et, désormais, rupture conventionnelle collective (RCC), conséquence des ordonnances Macron ».
Jusqu’alors, les sociétés ne manquaient pas de solutions pour éviter de passer par la case licenciements, mais cela nécessitait le plus souvent la mise en œuvre d’un plan dit de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou de départs volontaires (PDV). À l’instar de ce qui s’est passé chez Total, à La Mède (Bouches-du-Rhône), où le PSE qui court toujours permet à la direction de « jouer sur les mots, puisque la destruction de 182 postes s’est traduite non par des licenciements mais par des retraites anticipées, des mutations, des démissions », indique Fabien Cros, secrétaire CGT du comité d’entreprise. « Ce qui est nouveau, ce sont en effet les ordonnances Macron, qui donnent plus de facilité aux patrons pour réduire le “coût du travail” en se débarrassant des travailleurs dont ils ne veulent plus », souligne Nasser Mansouri-Guilani.
De grandes entreprises du CAC 40 n’hésitent pas à y recourir : à la Société générale, un accord de RCC a été signé dans le cadre de la suppression de 2 135 postes. Idem chez PSA, qui prévoit 1 300 départs via une RCC, sur un total de 2 200. Sans que les embauches annoncées en regard ne viennent compenser ces destructions.
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MICHELIN. LES PROFITS GONFLENT, PAS LES EFFECTIFS (Loan Nguyen)
Profits au 1er semestre : 917 millions d’euros. Emplois supprimés : 1 500 (2017-2021).
Le géant du pneu a décidé en 2017 de se séparer de 1 500 de ses salariés français, dont 970 dans son berceau historique de Clermont-Ferrand. Pourtant, la marque au Bibendum avait enregistré des profits en hausse de 43 % l’année précédente, avec 1,66 milliard d’euros de bénéfices. Une tendance confirmée en 2017 avec un résultat net de 1,7 milliard d’euros sur l’année, et qui s’est poursuivie au premier semestre : près de 1 milliard d’euros de bénéfices. Fidèle à son image paternaliste, Michelin a souligné que ces suppressions d’emplois se feraient par le biais d’un plan de départs volontaires. Une stratégie loin d’être indolore, néanmoins, pour les centaines de salariés restants, qui voient leur charge de travail s’alourdir. L. N.
ENGIE. DUMPING SOCIAL ET CASSE DE L’EMPLOI (Marion d'Allard)
Profits au 1er semestre : 938 millions d’euros. Emplois menacés : 2 500 (2016-2019).
De cessions en restructurations, « la politique de réduction des coûts installe une baisse constante des effectifs », explique Éric Buttazzoni, coordinateur CGT chez Engie. En 2016-2017, 1 400 postes ont été supprimés et de nouvelles coupes sont à prévoir. Comme dans la branche commerce, où 600 emplois sont menacés d’ici à 2019. En parallèle, une nouvelle restructuration du siège de la Défense – la 5e depuis 2010 – prévoit la suppression de 500 postes. « Le plan Lean 2018 prévoyait une économie de 3 milliards d’euros sur trois ans. La direction cherche à réduire les coûts sur tout et généralise le dumping social en externalisant au maximum », déplore la CGT. M. d’A.
AIRBUS. DES DIVIDENDES TOUJOURS EN HAUSSE (Marion d'Allard)
Profits au 1er semestre : 496 millions d’euros. Emplois supprimés : 470 en France.
En tout, le groupe aéronautique a annoncé au printemps la suppression de 3 700 postes dans le monde, dont 470 en France. Une baisse d’effectifs qui correspond, selon la direction, à des ajustements nécessaires, consécutifs aux baisses de cadence sur les programmes A380 et A400M. Le groupe affiche pourtant un carnet de commandes à près de 1 milliard d’euros et cumule, pour l’exercice 2017, 2,9 milliards d’euros de bénéfice net. « La direction a profité de l’annonce de ces résultats pour proposer une nouvelle hausse de 11 % pour le dividende versé aux actionnaires, soit une augmentation de plus de 500 % en sept ans », dénonce la CGT.
SCHNEIDER ELECTRIC. LICENCIEMENTS TRÈS PROFITABLES (Loan Nguyen)
Profits au 1er semestre : 1,02 milliard d’euros. Emplois supprimés : 150 sur deux sites.
Le groupe spécialisé dans la gestion de l’énergie et l’automatisation a annoncé la fermeture de deux de ses usines à Fabrègues (Hérault) et Beynost (Ain) début 2018, supprimant au passage 150 emplois, alors même que Schneider Electric avait réalisé des profits record en 2017. Avec une hausse de 23 % entre 2016 et 2017, les bénéfices ont atteint 2,15 milliards d’euros. Une dynamique qui se confirme début 2018 : le groupe a engrangé un résultat net de 1 milliard au premier semestre. Pour supprimer ces emplois, l’électricien a même eu recours à des PSE censés s’appuyer sur un motif économique justifiant les licenciements.
SANOFI. UN POIDS LOURD QUI ALLÈGE LE PERSONNEL (Loan Nguyen)
Profits au 1er semestre : 1,77 milliard d’euros. Emplois supprimés : 657 (2016-2018).
Cas d’école, le mastodonte pharmaceutique enchaîne PSE et suppressions de postes depuis des années, malgré des profits florissants. En 2015, Sanofi a par exemple récolté 7,37 milliards d’euros de bénéfices et versé des dividendes aux actionnaires en hausse pour la 22e année consécutive. Des performances qui n’ont pas empêché la direction d’annoncer 657 suppressions d’emplois sur les trois années suivantes. Jugées pas assez rentables, les divisions santé animale et génériques ont ainsi été cédées. Si le premier semestre 2018 – avec « seulement » 1,77 milliard d’euros de bénéfices – peut sembler très décevant sur le papier, ces résultats sont en grande partie dus à des amortissements d’actifs, des coûts de restructuration et l’impact des taux de change. L. N.
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