
Championne de la délocalisation, la multinationale est aussi experte en optimisation fiscale. Les documents fournis par les Paradise Papers montrent un schéma complexe lui permettant d’alléger son imposition de plus de 100 millions par an.
Whirlpool, multinationale américaine, numéro un mondial de l’électroménager et aussi championne de l’optimisation fiscale. Pour éviter de payer ses impôts et accroître au maximum ses bénéfices, le groupe ne recule devant rien. Les 278 ouvriers de l’usine d’Amiens, ville natale d’Emmanuel Macron, en ont fait les frais. En janvier 2017, en pleine campagne présidentielle, ceux-ci ont appris la fermeture prochaine de leur usine. Leur production se fera dorénavant à Lodz, en Pologne. Très rapidement, le site amiénois devient le théâtre d’une lutte politique entre Emmanuel Macron et la candidate du Front national, Marine Le Pen, lorsque cette dernière décide de se rendre sur le parking de l’usine au moment même où le candidat d’En marche ! rencontre les syndicalistes à la chambre de commerce et d’industrie. Au final, l’épisode ne changera rien à la délocalisation prévue. L’usine est vendue pour un euro symbolique à une entreprise locale fondée par Nicolas Decayeux, abandonnant cent emplois. Quant aux ex-Whirlpool, ils se verront proposer un lave-vaisselle en guise de cadeau de licenciement…
Au rayon de l’optimisation fiscale, Whirlpool trône aux côtés de Nike, Apple, Total, dans la liste des Paradise Papers, publiée en novembre 2017. Comme beaucoup d’entreprises, la toile tissée par la multinationale, et révélée en France par le Monde, suit un schéma complexe pour « faire circuler des centaines de millions d’euros de cash entre des sociétés boîtes aux lettres dans des paradis fiscaux », explique le quotidien. Et ce, en toute légalité.
En clair, les recettes des filiales de par le monde ne vont pas directement dans les caisses de la maison mère américaine, dont le siège historique se trouve dans le Michigan. Outre la remontée des dividendes versés par les filiales aux sociétés actionnaires, du cash circule sous forme de prêts et de remboursements internes, vidant les entreprises de leurs résultats imposables, dans une multitude de holdings financières qui sont autant de coquilles vides, basées dans un paradis fiscal où cet argent sera exonéré d’impôts sur les intérêts reçus. Des structures basées au Delaware, cet État prisé des plus grosses entreprises américaines, mais également aux Bermudes, où le groupe dispose d’au moins trois filiales. Reste que la multinationale ne se limite pas aux seuls pays inscrits sur les listes noires des paradis fiscaux. En Belgique, par exemple, où la législation est favorable aux entreprises y installant des « centres de coordination » qui permettent le financement d’investissements internes au groupe, Whirlpool a placé des sortes de « banques ».Pour réaliser son circuit, la multinationale a pu compter sur le savoir-faire de plusieurs cabinets d’affaires, dont l’un des plus connus est le cabinet Appleby. Au service de clients soucieux de cacher leurs fortunes, il est présent dans sept « juridictions clés » du monde offshore : les Bermudes, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, Jersey, Guernesey, l’île de Man, Maurice et les Seychelles. Une pieuvre mondiale, au point qu’il est impossible de localiser le véritable siège social de l’entreprise.
Ce système a permis à Whirlpool de ne payer que 209 millions de dollars d’impôts sur un peu plus de 1 milliard de dollars de bénéfices en 2015, soit un gain de plus de 100 millions de dollars pour la multinationale si le taux d’imposition sur les sociétés de 35 % en vigueur outre-Atlantique avait été appliqué. « Ce sont des activités d’optimisation fiscale et financière normales. (…) Whirlpool respecte toutes les lois et régulations applicables dans les pays où nous opérons », se défend le groupe. Business as usual.
Les paradis de la fraude : Irlande
En République d’Irlande, l’impôt sur les sociétés est parmi les plus bas d’Europe, à 12,5 %, contre 33,3 % en France. Et les arrangements au cas par cas avec des entreprises y sont nombreux. À tel point que les géants de l’Internet, comme Apple ou Google, ont fait du pays de la Guinness leur terre promise européenne. De 2003 à 2014, Apple a été ainsi imposée à seulement 0,005 %. En août 2016, la Commission européenne a sanctionné l’Irlande, qualifiant d’aides d’État illégales le régime fiscal accordé à l’entreprise américaine, et en la sommant de récupérer auprès de la multinationale 13 milliards d’euros d’avantages indus. Un premier versement de 1,5 milliard d’euros a été effectué en milieu d’année, mais Dublin rechigne à récupérer le pécule. Car l’Irlande vit du dumping fiscal. Pour rappel, en 2015, compte tenu du chiffre d’affaires enregistré par les multinationales installées en Irlande, le PIB du pays avait bondi officiellement de 26,3 %. Un taux incroyable qui avait poussé les autorités, non à réviser leur niveau d’imposition, mais à plancher sur un indicateur plus ou moins sensible aux variations des recettes engrangées par les firmes étrangères, en préférant au PIB le revenu national ajusté.
Clotilde Mathieu
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