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7 août 2018 2 07 /08 /août /2018 06:59

 

Le privé n’a pas le monopole de la précarité. La fonction publique est un piètre employeur. Le gouvernement veut encore amplifier le recours au contrat au détriment du statut.

Aurélie est depuis dix ans une précaire de la fonction publique. Loin, très loin de l’image d’Épinal du fonctionnaire bardé de protections, la jeune femme enchaîne les contrats à durée déterminée en tant qu’accompagnante d’enfants en situation de handicap (AESH) au sein de l’Éducation nationale. Un peu moins de 700 euros par mois pour un peu plus de 20 heures de travail par semaine.

Impossible de compléter par un autre emploi à cause des horaires à trous imposés par l’Éducation nationale. Impossible de faire une pause pour chercher autre chose, car un non-renouvellement de CDD vaut démission, ce qui annulerait son droit à des indemnités chômage. « Nous sommes pris au piège. Quand j’entends les ministres parler d’emploi pérenne, c’est une blague… » se désole Aurélie.

La professionnelle expérimente depuis des années la « constellation des relations de travail » qu’offre la fonction publique, comme le souligne la chercheuse Émilie Biland-Curinier, alors même que le gouvernement plaide pour un recours encore accru aux contractuels afin d’offrir à la fonction publique « l’efficacité, la rapidité et l’agilité » dont elle aurait besoin, selon les mots du premier ministre Édouard Philippe.

Aurélie peut être dubitative : elle est passée au cours de sa « carrière » de contrats d’auxiliaire de vie scolaire (AVS), par le biais d’emplois aidés, à des CDD de droit commun en étant AESH. Le même travail, mais pour 70 euros mensuels en moins sur sa fiche de paie… Elle espère désormais, au bout d’une décennie de galère, toucher le jackpot, un CDI. « Je ne serai pas à l’abri d’un licenciement, ce n’est pas un statut », avertit la jeune femme. Son sort est partagé par une flopée d’agents en emplois aidés œuvrant aux quatre coins de la fonction publique, alors qu’un fonctionnaire sur cinq est contractuel, en CDD ou en CDI.

Le président Emmanuel Macron avait pourtant plutôt joué mezzo pendant sa campagne, cajolant les professeurs, promettant une augmentation du pouvoir d’achat pour tous les fonctionnaires et réaffirmant haut et fort son attachement au service public, dont il est issu. L’annonce, en février, d’une réforme des trois versants de la fonction publique (d’État, territoriale et hospitalière) a fait voler en éclats ce début d’entente cordiale.

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Ces derniers mois, dans le cadre de concertations avec les syndicats, Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, avec le concours d’Olivier Dussopt, a précisé les intentions du gouvernement : un « recours accru » au contrat (CDD ou CDI), au détriment du statut dans les ministères, à l’hôpital et dans les collectivités, ainsi que la création d’un « contrat spécifique de projet » pour la fonction publique, sorte de CDI à durée limitée au temps d’une mission, à l’image des « CDI de chantiers » étendus dans le privé à la faveur des ordonnances.

Début juillet 2018, le secrétaire d’État Olivier Dussopt a sorti de son chapeau de quoi achever d’affoler les organisations syndicales. Par le biais des amendements au projet de loi sur la « liberté de choisir son avenir professionnel », le gouvernement envisage d’ouvrir à des contractuels 8 000 postes supplémentaires dans la haute administration publique. Jusqu’ici, seuls les directeurs d’administration centrale pouvaient être recrutés à la discrétion du gouvernement, sans concours. Demain, de simples chefs de service, des chefs d’hôpitaux ou des directeurs d’établissements pourront être embauchés « de gré à gré ». Une disposition qui vient s’ajouter à un autre amendement permettant à un agent public en disponibilité dans le privé de conserver ses droits à l’avancement, une proposition critiquée par certains comme une aide au « pantouflage », ces allers et retours entre sphère publique et privée que pratiquent déjà allégrement un certain nombre de hauts fonctionnaires.

De la cave au grenier, le gouvernement Philippe veut donc frapper fort. Or, contrairement aux idées reçues, les agents publics sont déjà tout aussi précaires que les salariés du privé (encore à plus de 80 % en CDI). Sur les 5,1 millions d’agents que comptent l’administration, l’Éducation nationale, les hôpitaux ou encore la police, 1,2 million d’agents sont contractuels, avec un recours massif aux contrats à durée déterminée. Plus d’un fonctionnaire sur cinq échappe donc au statut. Le plus gros contingent se trouve toujours dans la fonction publique territoriale (les mairies, les intercommunalités, les régions, etc.), peu à peu rattrapée par l’État (les ministères ainsi que les services déconcentrés) et l’hospitalier. Chercheurs, chargés de mission, archivistes, cantiniers, animateurs, techniciens, informaticiens, ils forment la « part variable » de l’emploi public.

> DANS LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE, BASTION HISTORIQUE DES AGENTS CONTRACTUELS

En cinq ans d’expérience professionnelle, Manon Van De Velde, 23 ans, n’a jamais connu autre chose que la précarité. Cette agente territoriale spécialisé des écoles maternelles (Atsem) assiste les professeurs dans les classes des écoles de Savigny-le-Temple, en Seine-et-Marne. « On m’avait engagée pour trois mois, puis je suis passée sur un contrat de remplacement de longue maladie. Depuis, tous les trois mois, ils me renouvellent », explique la jeune femme.

La personne titulaire en longue maladie qu’elle remplace est toujours en poste, impossible d’en ouvrir un autre, selon sa collectivité. Manon Van De Velde en paie le prix. « Je ne peux pas acheter un appartement ou une voiture, résultat, je suis toujours chez mes parents, je ne peux pas vivre ma vie. » Si elle travaille depuis le début dans des écoles difficiles, elle n’a pas le droit, en tant qu’Atsem contractuelle, à la prime qui va avec. « C’est injuste », constate-t-elle.

« Il n’y a pas d’explosion de la précarité dans la fonction publique territoriale, tempère Émilie Biland-Curinier, maîtresse de conférences en science politique à l’université Rennes 2 et spécialiste de ces questions. Mais elle existe et représente une portion non négligeable des effectifs. La flexibilisation de la relation d’emploi n’a cependant jamais été si généralisée à tous les niveaux ; elle gagne à présent la fonction publique d’État. Donc, il y a un risque. Sans compter que la fonction publique territoriale, par son histoire, son cadre juridique, est plus fragile, plus sensible à ces évolutions. »

Aujourd’hui, on trouve déjà parmi les contractuels de la fonction publique territoriale beaucoup de femmes, et beaucoup de « temps incomplet », ce temps partiel subi, pour les personnels les moins qualifiés, souvent en horaires atypiques. Les plus gourmands en petits CDD à répétition sont les établissements scolaires, les crèches, les services d’animation, les bibliothèques ou encore les services des sports.

« Les collectivités territoriales, c’est pire que l’intérim dans le privé, remarque Didier Potiron, à Nantes, en charge de l’animation du collectif précarité pour la CGT Fonction publique. On utilise un fichier de gens corvéables à merci, qui parfois sont appelés pour une journée. » Selon le syndicaliste, 600 personnes travaillent tous les jours pour la ville de Nantes sans jamais aboutir à un mois complet : « J’ai vu en crèche une agente avec un bulletin de paie qui affichait 65 euros… Et des exemples de ce type, on en a des dizaines. »

Les catégories B et A sont en général moins touchées par le turnover, et le CDI peut représenter une alternative au CDD permanent et à la titularisation par le biais d’un concours. « Il n’empêche que les agents, même cadres, vont parfois enchaîner les CDD pendant plus de cinq ans et être mis dehors par la collectivité juste avant le couperet des six ans, date à laquelle le CDI devient obligatoire », détaille Didier Potiron.

Enfin, le CDI n’est pas aussi protecteur que le statut de fonctionnaire : « L’agent n’est pas rattaché à un grade mais à un poste, c’est un simple contrat de droit public, rappelle Olivier Treneul, du syndicat Sud. Et comme les mesures d’austérité budgétaire se multiplient, le poste peut être supprimé en cas de suppression de la mission. Des cas commencent à remonter à mesure que les budgets des collectivités rapetissent. »

« La fonction publique territoriale a longtemps été un refuge contre la précarité du marché du travail, notamment chez les agents de catégorie C qui entrent parfois dans les collectivités après un long parcours instable dans le privé, analyse Émilie Biland-Curinier. Il s’agissait d’une forme de stabilisation possible pour des personnes relativement peu qualifiées, appartenant aux classes populaires,  même si, bien sûr, il s’agissait de personnes néanmoins un peu plus scolarisées que les autres, plus souvent “blanches”, disposant d’un capital local ou citoyen à exploiter… » En contractualisant davantage ou en allongeant la durée et la fréquence des CDD avant la titularisation, « on accentuera encore la précarisation des classes populaires », prédit la chercheuse.

 

> L’ÉDUCATION NATIONALE, DU PROF VACATAIRE AU CHERCHEUR EN GALÈRE

Durant l’année scolaire 2016-2017, ils étaient 203 000 agents de l’Éducation nationale à bénéficier d’un contrat de vacataire, soit près de 20 % des effectifs, pour un coût de 3,7 milliards d’euros, d’après les estimations de la Cour des comptes. Selon l’institution, le phénomène est « désormais structurel » (lire ici l’étude dans son intégralité). Dans ce vivier, figurent en majorité des enseignants, mais aussi des assistants d’éducation, des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des contrats aidés.

Les académies de Versailles, de Créteil et de Lille sont particulièrement touchées, notamment parce qu’elles nécessitent des remplaçants. Sans compter que le métier souffre d’un manque d’attractivité, particulièrement visible dans certaines disciplines, comme les mathématiques ou les langues vivantes.

Sabina enseigne depuis trois ans l’anglais en Seine-Saint Denis. À 26 ans, la jeune femme appartient à cette cohorte de contractuels. Elle se destinait à l’interprétariat ou la traduction. Mais, faute de trouver du travail dans ce domaine, elle entame un master 1 en métiers de l’enseignement. Confrontée à des problèmes personnels, elle interrompt son cursus de préparation au concours. Il est urgent pour elle de pouvoir payer son loyer, car elle n’a pas de famille en métropole qui pourrait l’aider. Elle postule en ligne auprès de l’académie de Créteil et, quinze jours plus tard, passe un entretien avant d’être affectée dans un collège pour un mois, en remplacement d’un professeur en arrêt-maladie.

La jeune prof bénéficie jusqu’ici de contrats à l’année, ce qui limite le stress de devoir enchaîner des missions ponctuelles, avec toute l’incertitude que cela crée. Sabina porte un regard « mitigé » sur son statut. « Dans la vie de tous les jours, c’est plus compliqué. Je ne peux pas contracter de prêt car je suis en CDD. Si je voulais acheter une voiture ou un appartement, je ne pourrais pas le faire. » Contractuelle, mais néanmoins professeur principale, elle a le droit à une prime, qui s’ajoute à celle prévue pour les enseignants qui exercent dans les zones d’enseignement prioritaire. Sa fiche de paie oscille donc « entre 1 800 ou 1 900 euros net mensuels ». Sabina s’estime « bien payée ».

Seulement, être contractuelle peut parfois être mal vu par des titulaires en salle des professeurs. Sabina explique que le sujet est « tabou », mais que, d’un lieu à l’autre, la considération varie. « Parfois, il y a des gens géniaux, qui considèrent que nous sommes tous égaux, peu importe notre statut. D’autres nous regardent différemment. » raconte-t-elle. « Je ne peux pas rester comme ça éternellement », explique encore Sabina, qui compte passer cette année, en interne, le concours du Capes.

Nadine Krantz, secrétaire nationale pour les non-titulaires au Snes-FSU, est elle-même contractuelle depuis 2002. Elle reçoit les doléances de précaires « recrutés à l’indice minimum, avec un traitement de 1 100 euros, payés deux ou trois mois après, qui alternent période de chômage et missions ponctuelles à 100 kilomètres de chez eux, qui doivent jongler entre deux ou trois établissements », souvent en déficit de formation ou de soutien. Elle pense aussi aux femmes enceintes qui ont peu de chance de voir renouveler leur contrat.

À l’université, des centaines de chercheurs, même excellents, jonglent quant à eux entre « la thèse, les cours, la vente de lingerie ou le MacDo », résume Bastien Pereira, membre du collectif local des doctorants et non-titulaires à l’université de Lyon II. Pour nombre de doctorants, le seul moyen de survivre à cette période est de devenir « attaché temporaire vacataire », soit 96 heures de travail par an maximum, dans un ou plusieurs établissements, pour un salaire annuel plafonné à 4 000 euros, pendant parfois plusieurs années. L’université française, mauvais employeur notoire, paie à l’issue du semestre seulement son personnel précaire, reste à eux de boucher les trous en se bricolant un deuxième emploi.

Bastien Pereira a de la chance, sa recherche est financée à hauteur de 35 heures par semaine pendant trois ans. Il rentre dans la catégorie des « chargés d’enseignement vacataires ». Un peu mieux rémunéré que les autres, mais pour 47 heures de travail au total par semaine.

Et quand les doctorants deviennent docteurs, la galère n’est pas terminée. Avant d’être titularisés, ils enchaînent, parfois pendant une petite décennie, les contrats postdoctoraux, des CDD plus ou moins longs, plus ou moins bien payés. « Si les contrats précaires répondaient initialement à des besoins exceptionnels, ils sont aujourd’hui la norme, déplore Bastien Pereira. Dans l’enseignement, le nombre d’enseignants titulaires n’a pas suivi l’augmentation du nombre d’étudiants, ce qui a eu pour conséquence la généralisation des postes de contractuels et de vacataires. »

> L’HÔPITAL, MALADE DE SA PRÉCARITÉ

L’hôpital fonctionne déjà, en temps normal, avec un quart de son personnel hors statut, sans même parler du personnel intérimaire, autorisé depuis 2009. Là encore, ce sont souvent les agents de catégorie C, personnel de ménage, de la logistique, ouvriers professionnels, qui pâtissent de ce fonctionnariat de seconde zone. Mais les infirmiers, un temps épargnés par la vague contractuelle en raison de leur rareté, ne font désormais plus exception. « Ces infirmiers, à la différence de leurs collègues sous statut, n’ont pas de prime de service, note Patrick Bourdillon, du bureau fédéral santé de la CGT, issu du centre hospitalier général d’Avignon. Si vous avez une centaine de personnes dans ce cas dans un établissement, ça commence à faire une sacrée économie ! »

L’enjeu est donc comptable, mais également managérial, les contractuels étant par nature « plus malléables, plus corvéables », estime Patrick Bourdillon. La chose peut avoir son importance dans un secteur hospitalier en crise profonde, aux conditions de travail devenues critiques, avec des rappels incessants, des horaires à rallonge et une dégradation de la prise en charge des soignants. « Ce sont des gens sur qui on peut mettre un peu plus de pression, ils acceptent plus de choses, ne sachant jamais vraiment si leur contrat va être renouvelé, raconte Bruno Lamy, secrétaire général adjoint de la fédération Santé-Sociaux de la CFDT. Vu le taux de chômage, le rapport des forces est défavorable. »

Un recours massif au contrat pose, de manière aiguë, à l’hôpital la question de la qualité du service. « Le discours dans l’air est la souplesse, analyse André Grimaldi, diabétologue à La Pitié-Salpêtrière, à Paris. La souplesse, dans la bouche du gouvernement, cela veut dire plus de contractuels. Cela veut dire la logique de marché, le mercato, la concurrence. C’en sera fini du travail d’équipe. Or la force de l’hôpital, c’est ce travail d’équipe, qui permet d’avoir des équipes stables, une grande liberté, des programmes, des projets. C’est aussi ce qui permet de supporter les contraintes, le travail posté. »

Le médecin met en garde sur les effets pervers d’une telle logique, qui contamine les strates les plus élevées de la hiérarchie médicale, sans forcément appeler les économies. « Ce système aboutit à créer des mercenaires. Des médecins démissionnent de leur poste pour se faire embaucher comme intérimaires mieux payés. Comme la concurrence est organisée entre les hôpitaux, les directeurs sont prêts à payer très cher pour s’offrir un médecin ou un chirurgien. »

> LES FORTERESSES MINISTÉRIELLES ATTAQUÉES

Le recrutement au concours reste très majoritaire dans l’administration centrale, soit au sein du personnel des ministères, ainsi que dans les services déconcentrés qui assurent sur le terrain les services de l’État. Mais même l’administration reine n’échappe pas à la tendance. Selon le rapport annuel 2017 sur l’état de la fonction publique, l’augmentation du nombre de contractuels est particulièrement notable au sein de l’État. La part des contractuels a ainsi progressé de 4,6 points en dix ans.

Certains ministères sont évidemment beaucoup plus exposés que d’autres. La culture, notamment, est particulièrement exposée, avec un fort roulement de saisonniers dans les établissements culturels pendant les vacances. Ainsi, dans les musées, sur près de 12 000 agents, plus de 8 000 personnes sont contractuelles. Au Louvre, la moitié du personnel contractuel est en catégorie C.

Les gouvernements successifs n’ont pas cessé de plaider pour une ouverture au contrat plus généralisée, en raison des spécificités grandissantes des métiers, dans l’informatique notamment, ce qui appellerait des profils en dehors des radars des concours. « Nous ne sommes pas des ânes, répond Jean-Marc Canon. Nous n’allons pas réclamer la création du corps pour les 50 mathématiciens qui calculent pour le régime additionnel des retraites la valeur du point… Mais de là à en faire un mode de recrutement, il y a un pas à franchir. »

« Ouvrir encore davantage les directions dans la fonction publique à des gens du privé est porteur de conflit d’intérêts », met en garde Gaëlle Martinez, syndicaliste pour Sud dans la fonction publique d’État, en réaction à l’amendement proposé par le gouvernement pour augmenter le recours aux contractuels dans la haute fonction publique. « Les grosses boîtes de conseil, comme Ernst & Young ou PWC, qui obtiennent déjà des marchés tous azimuts pour mener des réformes, n’auront-elles pas tout intérêt à envoyer du personnel dans les ministères ? »

L’annonce, qui concernerait les trois fonctions publiques, ne fait pas seulement grincer les dents des syndicats, elle ulcère même le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Philippe Laurent, cité dans La Gazette des communes, qui y voit « un danger immense de déstructuration de la fonction publique territoriale et un risque de dérive des compétences ».

Dans les réunions de concertation sur le statut des fonctionnaires, lancées au printemps, le gouvernement a maintenu un brouillard épais sur ce qu’il souhaitait réellement réformer dans les trois fonctions publiques. Il a seulement promis de préserver l’article 3 du statut de fonctionnaire, qui inscrit noir sur blanc l’obligation de réserver les emplois permanents de l’État, des régions, des départements, des communes et des établissements publics aux titulaires d’un concours.

« Encore ne faut-il ne pas vider cet article de son sens, a grincé la FSU, syndicat de la fonction publique, à l’issue d’une table ronde organisée par Olivier Dussopt mi-juillet. Le contrat est déjà une voie quasi normale de recrutement dans la fonction publique, à la place du concours [qui] banalise le recours à la précarité. »

Dans ce contexte, le rapport Action publique 2022 (que Mediapart a publié en intégralité dans cet article de Romaric Godin) ne peut que renforcer la méfiance des fonctionnaires et leurs représentants. Les experts mandatés par le premier ministre plaident pour une thérapie de choc, censée casser les « rigidités » des ressources humaines publiques, vieille antienne de la droite traditionnelle : fin du pilotage de la masse salariale par le point d’indice pour les trois fonctions publiques (et donc une gestion au « cas par cas », dans l’État, la territoriale et la fonction publique hospitalière) et fin de la prépondérance du statut sur le contrat. Mais aussi transfert à de nouvelles agences d’une partie de la mission de service public comme le recouvrement de l’impôt et le contrôle, le conseil aux entreprises, les statistiques, les études économiques, les douanes, etc. De quoi alimenter la crainte que la contractualisation ne soit qu’un prélude à la privatisation.

Même si les positions ne sont pas homogènes, une partie des employeurs publics, maires, présidents de communautés de communes, directeurs d’hôpitaux, insistent depuis des lustres pour avoir davantage la main sur leur masse salariale. « Les élus locaux, notamment, veulent avoir les coudées franches sur le recrutement et donc le licenciement, remarque Olivier Treneul, chez Sud. Or la plupart des élus locaux sont députés. Qui légifère sur les questions liées à l’emploi public ? L’Assemblée nationale… »

À l’occasion de la conférence des maires, en juillet 2017, Emmanuel Macron, fraîchement élu, a annoncé des coupes sérieuses sur le budget de fonctionnement des collectivités territoriales. « Il s’est fait huer, rappelle le syndicaliste. En échange, il a promis des compensations. Les voilà. »

« La position majoritaire dans les associations d’élus est de défendre le principe de la “libre administration”, pour revendiquer notamment plus de pouvoir sur la gestion du personnel, décrypte Émilie Biland-Curinier. Depuis 2014 et la réduction des finances pour les collectivités locales, c’est un leitmotiv : l’État imposerait aux employeurs locaux des décisions qui accroissent leur masse salariale. Les élus cherchent en fait des marges de manœuvre, alors qu’ils sont engagés dans des bras de fer budgétaires. Dans la conjoncture actuelle, l'une de ces marges de manœuvre peut résider dans la maîtrise de ressources humaines. »

Dans la fonction publique territoriale notamment, le statut de fonctionnaire a été conçu pour éviter une trop grande politisation de l’emploi public, voire une forme de clientélisme. « Pourquoi c’est important un statut ? rappelle Jean-Marc Canon. Pas pour le pré carré ou les privilèges… Le statut a comme avantage fondamental de mettre l’agent public un peu à l’abri des moyens de pression de son employeur, pour éventuellement refuser d’appliquer des ordres illégaux ou contraires à l’égalité de traitement des citoyens. »

Le risque existe, confirme la chercheuse Émilie Biland-Curiner, qui a mené, il y a quelques années, une recherche sur le sujet dans une commune de taille moyenne soumise à une alternance politique. « Sans la sécurité de l’emploi, on va davantage dépendre de celui ou de celle qui va renouveler notre contrat. Et cela peut être un facteur de politisation, car ce sont les élus qui signent les contrats. Même si les cadres portent en réalité une grande part des décisions de renouvellement et que la question financière pèse aussi lourdement. L’autre enjeu, ce sont les alternances politiques, avec une partie du personnel qui peut être amenée à changer, en fonction des couleurs politiques et de la politique salariale affichée. »

Prôner frontalement la fin du statut présente également un risque politique majeur, dans un pays où quatre millions d’actifs en bénéficient encore. C’est s’exposer en 2019, grossièrement, à une deuxième mobilisation de type cheminote. Pas sûr que le gouvernement veuille prendre les fonctionnaires de front. D’où la volonté sans doute de détricoter le statut fil à fil.

Là encore sans vraiment innover. Depuis 1983, quatre plans de titularisation ont été appliqués, dont le dernier porte le nom de Sauvadet, ministre sous Sarkozy. « Et pourtant, il y a toujours au moins autant de non-titulaires qu’au début de chaque plan, ironise Jean-Marc Canon. C’est le tonneau des Danaïdes, cette affaire. Pourquoi ? Parce que nous n’avons eu de cesse d’accroître le nombre de dérogations. »

Pour Nadine Krantz, une réforme ne changerait rien à un système déjà bien installé. « L’Éducation nationale maintient certains contractuels dans une précarité volontaire. Beaucoup pâtissent des problèmes de gestion de ressources humaines, d’où le retard dans les payes. » La responsable des contractuels au SNES participe aux concertations avec le ministère de la fonction publique. Elle estime qu’« il n’y a pas grand-chose à attendre du gouvernement. Ils veulent de la souplesse, recruter quand ils veulent, par qui ils veulent, c’est tout. Cette souplesse existe déjà dans les textes. »

Des champs de négociations sont néanmoins possibles, pour une fonction publique dont il est possible de lister les défauts : un manque de transparence dans les mutations, des concours très axés sur les savoirs académiques, excluant une partie de la population, des difficultés de mobilité interne, des conditions de travail et de service dégradées, des inégalités selon les territoires. À tel point que le statut ne suffit plus, parfois, à attirer les candidats. « Plus d’agilité, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour verser dans l’idéologie, prévient Bruno Lamy, à la CFDT. On peut avoir envie d’aller voir ailleurs, mais on doit aussi pouvoir garder ses droits. Les précaires de la fonction publique vivent, eux, dans une insécurité permanente. »

Aurélie, au quotidien, confirme ce sentiment, alors qu’elle accompagne des enfants autistes depuis huit ans pour l’Éducation nationale. « Nous sommes un peu invisibles. On n’a pas accès à la formation, on ne nous appelle pas toujours quand il y a des réunions, on ne doit pas faire de bruit. Certains enfants changent d’AVS trois ou quatre fois par an. Ce n’est bon pour personne. » Emmanuel Macron avait parlé, avant la présidentielle, d’une « mise au statut » des AVS et AESH, se souvient la jeune femme, qui milite dans un collectif pour des conditions de travail et d’emploi décentes. C’était une jolie promesse de la campagne, plus vraiment dans l’air du temps.

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