
Comptes en suisse et sociétés au Panama… la liste Falciani a démonté l’écheveau. Fin de partie et des conseils entre amis pour un redressement de 8,2 millions d’euros.
L’homme est soulagé à la fin du procès Ricci. Relaxé, il échappe à la condamnation pour complicité de fraude fiscale à laquelle aurait pu le conduire son bon cœur. Bertrand-Charles Leary voulait rendre service à une dame pour laquelle il avait éprouvé de doux sentiments. Le PDG du troisième groupe meunier français, Les Grands Moulins de Strasbourg, également propriétaire de malteries, croyait avoir soldé ses comptes avec la justice après le redressement de 8,2 millions d’euros que Bercy lui avait infligé. Une paille alors qu’il avait mis à l’ombre 88 millions d’euros chez HSBC, selon le Monde.
Comme nombre de fortunés bien installés, Bertrand-Charles Leary était devenu un spécialiste des circuits longs, des parcours tortueux où on perd la trace des pactoles. L’un de ses terrains de jeu favoris était le Panama, trou noir de l’évitement fiscal. Il y avait créé de multiples sociétés dans les années 1990-2000 : Karsis Industries, Challow, Nestor Investment… Au charme des Caraïbes, s’ajoutaient une quinzaine de comptes numérotés en Suisse, un pays sérieux. Il était même devenu un honorable correspondant de HSBC, administrateur en France de HSBC Private Bank et savait dispenser des conseils avisés aux amis. Dans la malheureuse affaire Ricci, il s’était ainsi rendu deux fois à Genève pour suivre l’état de ses comptes et surveiller ceux de son amie Arlette Ricci. Une manière de mandataire expert, désigné sous le pseudonyme de Nestor… La traditionnelle discrétion helvétique avait fait un émule.
UNE EXISTENCE SCANDÉE PAR LES RACHATS DE MOULINS EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
Tout aurait pu suivre son cours, une vie d’honorabilité et de compétences, une existence scandée par les rachats de moulins un peu partout en France et en Allemagne, par des négociations serrées avec la grande distribution pour mettre en avant ses marques – Gruau d’Or, le Pain Boulanger, Toonuts – ou les plans stratégiques pour placer sa farine aux boulangers désireux de cuire les fameuses Banette Tradition. Bien vu, fort connu, pas pris.
Et voilà qu’une liste a gâché la trajectoire. En 2009, le ministre français de l’Économie annonce qu’il dispose d’une liste de 3 000 Français titulaires de comptes en Suisse pour un montant total de quelque 3 milliards d’euros. Claquements de dents sur les cuillères en argent. L’inquiétude gagne les fortunes. Puis, tout s’emballe autour d’un personnage, Hervé Falciani. Chargé de réorganiser la base de données de la filiale suisse de HSBC, il a, deux ans durant, recueilli les preuves de fraude fiscale potentielle d’un système qui, dira-t-il plus tard, constitue « une violation systématique des droits fondamentaux des citoyens par le retranchement de fonds qui devraient être affectés à l’intérêt général ». La justice suisse, alertée, ne veut rien voir, ni rien entendre, et lance même un mandat d’arrêt international contre lui, demandant à la France une perquisition chez ses parents à Castellar (Alpes-Maritimes) et la saisie de son ordinateur portable.
Las, le procureur de Nice, Éric de Montgolfier, ouvre sa propre enquête. Hervé Falciani est traqué, puis reçoit une protection financée par l’ONU. Le personnage a des zones d’ombre, mais il a ouvert une boîte de Pandore d’où surgiront les SwissLeaks : 187 000 comptes bancaires de 79 000 personnes de 180 nationalités, dont 8 231 Français. Le secret bancaire suisse résiste plus difficilement…
Bertrand-Charles Leary choisit alors de négocier le redressement. Il invoque l’histoire familiale tourmentée, la confiscation de l’entreprise par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Sans doute utilise-t-il désormais de plus légales stratégies d’évitement fiscal. Nestor a vécu...
______________________________________________________________________
Le guide touristique de la fraude
La City de Londres
Chapeau melon et parapluies... L’uniforme de la célèbre place financière anglaise dissimule la plus gigantesque toile d’araignée de l’évasion fiscale. Sur les bords, les minuscules territoires d’outre-mer restant de l’empire et qui accueillent les évadés : 110 000 comptes rien qu’aux Îles Vierges. En intermédiaires, une galaxie de firmes spécialisées dans la fiscalité (optimisée) et la comptabilité (arrangée). Les fonds déménagent, mais reviennent aussi, notamment sous la couverture d’actifs britanniques qui prospèrent dans le très spéculatif marché londonien de l’immobilier. De luxueuses propriétés s’achètent via des sociétés offshore. Le président des Émirats arabes unis s’est fait pincer dans l’un de ces montages. Les raisons de l’établissement à Londres de 40 % des sièges sociaux des 250 premières multinationales se comprennent mieux. La City est le carrefour de l’argent, sa lessiveuse mondiale. Le Brexit l’inquiète et la rassure à la fois. En s’allégeant des contraintes et des régulations fiscales communautaires, elle pourrait accentuer son rôle d’aspirateur des flux financiers gris. D’autres parient sur un affaiblissement : Paris convoite une part du marché et promet à ceux qui rejoindraient la France... des allégements fiscaux.
commenter cet article …