Jean-Claude Caro, 1er mai 2018 place Allende à Morlaix: présentation de l'excellent livre auquel il a collaboré "Citroën par ceux qui l'ont fait: un siècle de travail et de luttes" (édition de l'atelier, Alain Malherbe, Roger Gauvrit, Jean-Yves Masson, avec le concours d'Alexandre Courban, docteur en histoire, 28€, 2013)
Témoignage de Jean-Claude CARO : MAI-JUIN 1968 CITROEN PARIS 15e
Embauché à 17 ans en septembre 1966 à BALARD comme ajusteur à l'outillage carrosserie 550.
Je me syndique à la CGT en MARS 1967 et adhère au PCF en MAI 1968 où je deviens membre du bureau de la cellule de l'atelier du 550.
Le vendredi 17 MAI 1968, la CGT et la CFDT distribuent des tracts pour appeler à la grève le lundi 20 MAI, devant les usines CITROEN PARIS 15e et PARIS 13e (Ex PANHARD), NANTERRE – LEVALLOIS – ASNIERES – GENNEVILLERS -SAINT-OUEN - SAINT-DENIS pour notamment :
-L'augmentation des salaires de 10% avec un seuil minimum pour tous de 1000 francs par mois,
- Réduction du temps de travail sans perte de salaire.
- Le respect des libertés syndicales et individuelles.
-La reconnaissance de la section syndicale d'atelier et de bureau.
A RENNES une tentative d'occupation échoue. La direction ferme l'usine de la JANAIS, à la BARRE-THOMAS : des ouvriers et militants bloquent l'entrée de l'usine mais sont délogés par des commandos CFT venus de la JANAIS.
A PARIS, c'est au 82 rue BALARD, la plus grande entreprise du groupe où siège la direction quai André CITROEN que s'est joué de 5h du matin à 9h, le devenir de l'occupation de l'usine principale (20 000 salariés dans le 15e ) où étaient assemblés la DS et le véhicule utilitaire H .
À la porte d'entrée de l'usine ouverte, la direction avec la CFT, appellent les salariés à entrer pour se rendre à leurs postes de travail. Devant les hésitations des ouvriers à l'extérieur et pour débloquer ce face à face, grévistes-direction, les dirigeants de la CGT décident d'organiser une manifestation du quai ANDRE CITROEN pour rejoindre la rue BALARD avec comme mots d'ordre « Nos 100 000 francs ! La retraite à 60 ans ! »
Nous sommes entrés en force, en tête Henri DERRIEN, secrétaire de la section PCF de CITROEN 15e, Lionel PLANCHON animateur culture du Comité d’Entreprise et moi-même repoussant les gardiens surpris. Nous nous trouvèrent face à 2 à 300 cadres, chefs d’équipes, et quelques salariés non-grévistes. Après un moment d'hésitation, ils se replièrent vers leur bureau : ce fut un moment déterminant de l'occupation de l'usine-mère composé à 60% d'immigrés où l'on parlait 25 langues, notamment Espagnol, Portugais, Grec, période où sévissaient les dictatures avec le général FRANCO en Espagne, SALAZAR au Portugal et «les colonels» en Grèce.
La conscience de classe Français-Immigrés a permis 5 semaines durant, de mener dans l'unité un combat de haut niveau, de former sur le tas des milliers de militants notamment de jeunes. Ce fut des jours heureux où les travailleurs Français Immigrés retrouvèrent leur dignité, relevèrent la tête pour ne plus subir le mépris, le flicage, méthode de management de CITROEN. 5 Semaines durant où chaque matin, réunis en assemblée, les grévistes votent la poursuite de la grève et manifestent dans les rues du 15e arrondissement de PARIS. L'après-midi, la culture rentrait dans l’usine avec Théâtre, concerts avec un groupe de musiciens du conservatoire de PARIS jouant BACH, MOZART… devant les ouvriers dans leur usine. C’est ainsi que notamment Ivry GITLIZ violoniste, Catherine SAUVAGE, Georges MOUSTAKI et de nombreux artistes eux aussi apportent leur solidarité en donnant des concerts gratuitement. ,
Le 27 MAI syndicats, Patronat, Gouvernement signent le constat de GRENELLE qui reconnait l'essentiel de la plate-forme revendicative des salarié-es, notamment le SMIC qui augmente de 35%.
Le 1er JUIN, RENAULT, PEUGEOT, BERLIET concluent eux aussi des accords satisfaisant la plus grande partie des revendications des grévistes.
Le 3 JUIN, de retour du week-end de Pentecôte, la direction organise une opération pour reprendre l'usine occupée. Devant l'organisation et la détermination des grévistes. Cette tentative échoua malgré l' appel aux forces de l'ordre basées à 2km, à l'héliport de la porte de Versailles. Après les morts à RENAULT-FLINS et à PEUGEOT SOCHAUX suite à l'intervention de la police, le gouvernement prend la mesure de l'enjeu qu'une telle opération menée à PARIS produirait.
Le 21 JUIN, CITROEN après 35 jours de grève, signe un accord pour :
- L'augmentation des salaires de 13% pour les OS à 10% pour les mensuels
- Le temps de travail réduit sans perte de salaires,
- Le paiement des jours de grève.
- La reconnaissance de la section syndicale au sein de l'entreprise,
- Un constat de fin d'occupation, La reprise normale de la production dont l'entretien des machines avaient été assuré par les grévistes
- de mémoire 50 ans après les grèves de 1936, jamais un tel succès n'avait été obtenu :
- 1936 : 25/% de grévistes de la population active
- 1968 : 59% de grévistes de la population active soit 10 millions de grévistes
Le 23 JUIN, avant le vote de la reprise, Henri KRASUKI conclut dans son intervention :
"Vous avez su rester unis tout au long sans faiblir durant cinq semaines dans cette usine ou l'on parle 25 langues ou la direction a toujours cherché à dresser les travailleurs les uns contre les autres selon leurs nationalité, vous avez montré ce qu'est la solidarité internationale des travailleurs, nous saluons les travailleurs immigrés qui ont tenu comme un seul homme : c'était plus dur pour eux, ils l'ont fait ! Vous pouvez être fiers de cette fraternité entre ouvriers Français et Immigrés qui a été sans doute votre plus grande force...! Salut, la victoire des ouvriers de chez CITROEN ! vive l'unité de la classe ouvrière!"
Le 23 JUIN, malgré l'appel de la CFDT à poursuivre le mouvement, la reprise est votée par 75% des grévistes.
LA CGT enregistre 4000 adhésions, la section syndicale d'atelier est reconnue il n' y a plus qu'à mettre en pratique les nouveaux droits !
Nous sommes rentrés unis, en défilant dans l'usine avant de reprendre le travail et remettre au chef d'atelier de l'outillage-carrosserie, le cahier de revendications discuté par les syndiqués et qui élisent leur bureau. Je deviens à 19 ans, membre du bureau et secrétaire-adjoint de la section d’atelier. (L’âge pour élire un délégué étant 21 ans.)
1968 a permis à des milliers de salariés, notamment de jeunes, de s'engager syndicalement et politiquement.50 ans après, tirons l'expérience du passé en poursuivant le combat engagé pour un monde de justice, de liberté et de paix.
SAINT-BRIEUC, le 20 Avril 2018
Jean-Claude CARO
Conflit social à Citroën - mai-juin 1968: Henri Krasucki et la direction de la CGT au côté des grévistes (La Vie Ouvrière)
25 juin 1968. Reprise du travail à Citröen. Après 35 jours de grève, les travailleurs, fiers de leur lutte, font le tour des ateliers avant de rejoindre leur poste. Désormais, le syndicat a droit de cité dans l'entreprise. Jean-Claude Caro, futur dirigeant du PCF des Côtes d'Armor, nouveau militant du PCF, se tient au milieu, avec derrière lui Maurice Nevet, ainsi que Roger Fromage, secrétaire du CE (Citröen par ceux qui l'ont fait. Un siècle de travail et de luttes. Les éditions de l'atelier, 2013)
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