Dans son entretien à Forbes, Emmanuel Macron explique que ses choix économiques sont déterminés par sa volonté de coller aux intérêts des investisseurs. Il ne se contente pas d’annoncer la fin de l’exit tax, il présente une vision du monde faite de soumission à la volonté des plus riches.
« Mon travail n’est pas de regarder la télé et de faire des commentaires d’actualité, j’ai autre chose à faire », a martelé Emmanuel Macron concernant sa présence en Australie le jour de la fête du travail. Et pour enfoncer le clou sur cette indifférence à l’égard du 1er Mai, Forbes, le magazine étasunien préféré des hommes d’affaires de la planète, a publié un entretien avec le président de la République qui révèle sa conception des rapports économiques et sociaux comme aucun autre auparavant.
La défense des intérêts du secteur privé
L’hôte de l’Élysée y est dans son élément, il assure faire partie du monde des lecteurs de Forbes. « Je pense que je comprends les entrepreneurs et les preneurs de risque plutôt bien », revendique-t-il avant d’appuyer : « Pour moi, c’est important. J’ai cette compréhension directe de ce que sont leurs intérêts. » Cette perception est élevée au rang de mode de gouvernement. « Avoir des contacts directs avec le secteur privé, avoir cette expérience de ce secteur et être capable de comprendre les déterminants clés du choix d’un investissement sont les meilleures façons de comprendre et de prendre la bonne décision », explique le président de la République.
Emmanuel Macron ne cache donc pas qu’il détermine ses choix par sa volonté de coller le plus possible aux intérêts des investisseurs, ce qu’il appelle une « approche favorable aux affaires » (« business friendly approach »). Or, ces intérêts sont financiers et les choix seront donc ceux qui accroîtront la rentabilité de ces investisseurs. D’où les généreux cadeaux fiscaux qui ont été accordés et qui le sont encore, on le verra. On le sait, Emmanuel Macron rejette le titre de président des riches, mais il revendique celui de « président des investisseurs ». De fait, Emmanuel Macron truffe ses réponses à Forbes de termes managériaux. Il se met en scène dans cette interview comme dirigeant d’entreprises, conseillant EDF, par exemple, sur la nécessité de s’allier aux start-up.
Dès lors, la vision économique du président s’explique clairement : le chef de l’État est là pour favoriser ce besoin de rendement des investisseurs, leurs « esprits animaux », comme aurait dit Keynes. « Si vous créez les meilleures conditions possibles [pour investir de l’argent, comme il l’indique auparavant – ndlr], vous pouvez mener une révolution et créer des emplois », explique ainsi le président français. Pour lui, dans sa vision naïvement smithienne, l’intérêt général n’est donc que la somme des intérêts particuliers.
C’est, du reste, un point sur lequel il est d’accord avec Donald Trump et le président français souligne cet accord dans l’entretien. Les lecteurs de Forbes, qui ont grandement bénéficié des largesses fiscales du président des États-Unis, apprécieront la remarque, qui n’est pas fortuite puisque Emmanuel Macron explique plus loin qu’il est un des rares à comprendre son homologue étasunien. Pourquoi ? Parce qu’il a, comme lui, une expérience privée et qu’il le voit comme un « dealmaker », un faiseur d’affaires. Le compliment pourrait d’ailleurs sans doute lui être renvoyé. Et entre hommes d’affaires, on finit toujours par se comprendre.
En tout cas, on comprend mieux pourquoi les politiques fiscales en France comme aux États-Unis ont visé les plus riches : la pensée économique de la Maison Blanche et celle de l’Élysée puisent à la même source. La politique économique se résume alors à créer des incitations fiscales pour attirer des investisseurs guidés par l’appât d’un gain sûr et facile. « Plus vous êtes clair avec ce que vous avez l’intention de faire, plus vous êtes efficace avec la communauté d’affaires », explique le président français. Et il est on ne peut plus clair.
Ce que dit la suppression de l’exit tax
De ce point de vue, l’annonce principale de cet entretien, la suppression de l’exit tax, est hautement significative. Cette taxe mise en place par Nicolas Sarkozy en 2012 frappe les personnes qui décident de changer leur domicile fiscal. Son rendement est de 800 millions d’euros. Emmanuel Macron annonce qu’elle sera supprimée en 2019. Le journaliste de Forbes n’en croit pas ses oreilles, il demande s’il parle bien d’une « suppression » ou d’une « réduction ». Et il s’agit bien d’une suppression. La justification d’Emmanuel Macron confirme ce qu’il avait déjà laissé percer lors de son entretien avec Jean-Pierre Pernaut le 12 avril (date également, du reste, de l’entretien accordé à Forbes) où il affirmait que les « riches n’ont pas besoin de président ». Pour lui, le lien entre les entrepreneurs et le territoire où ils investissent s’apparente à un mariage. C’est donc simple : vous vous mariez, vous pouvez divorcer. « Si vous voulez vous marier, vous ne devez pas expliquer à votre partenaire que “si tu te maries avec moi, tu ne pourras pas être libre de divorcer” (…) alors moi, je suis pour qu’on soit libre de se marier et libre de divorcer », explique Emmanuel Macron. Dès lors, « les gens sont libres d’investir où ils veulent ».
Pour l’hôte de l’Élysée, les entrepreneurs ou les investisseurs (la confusion s’opère souvent entre les deux) sont donc des êtres hors de toute communauté nationale. Ils choisissent leurs pays librement en fonction de leurs goûts et surtout de leurs intérêts. Et s’ils se sentent contraints à quoi que ce soit, alors ils ne viennent pas. Ce sont des petites choses fragiles dont il faut donc prendre soin. Si l’on veut être choisi, il faut être le plus beau, surtout sur le plan fiscal. Point. D’où non seulement la suppression de l’impôt sur la fortune pour le capital non immobilier, mais aussi le prélèvement forfaitaire unique pour les revenus de ce capital ou la conversion du CICE en baisses de cotisation, mais encore la fin de cette exit tax.
Le président affirme que la taxe n’est pas rentable avec seulement 70 millions d'euros de rendement. Mais comme l'a souligné Marianne, le patrimoine concerné pourrait induire un rendement de 800 millions d’euros. Surtout, si elle rapporte peu, c’est peut-être aussi parce que sa fonction répressive fonctionne bien… Supprimer cette taxe est donc un choix qui vise à en finir avec cette fonction. D’ailleurs, si elle était si inutile qu’on le dit, pourquoi la supprimer ?
Emmanuel Macron mérite bien le titre de « leader of the free markets » (« leader des marchés libres ») que lui accorde Forbes en une. Pour lui, pas question de contraindre la liberté des investisseurs, c’est aux États de se faire beaux pour leur plaire. « Si vous êtes capable d’attirer, c’est bon pour vous ; mais si ce n’est pas le cas, on doit pouvoir divorcer », explique-t-il. D’où cette idée que c’est le pays qui doit se plier aux investisseurs, pas l’inverse.
Jusqu’où va cette liberté ? Très loin puisque l’exit tax n’est pas une taxe frappant la simple réalisation d’une prise de bénéfice, c’est une taxe contre l’optimisation fiscale qui frappe ceux qui souhaitent transférer leurs foyers fiscaux dans un pays fiscalement plus intéressant. Nicolas Sarkozy l’avait d’ailleurs présenté comme une taxe contre l’évasion fiscale et elle ne concernait que les participations de plus de 1,3 million d’euros. Bref, cette taxe souhaitait compenser les futures pertes de recettes fiscales liées aux pratiques fiscales agressives de certains pays. Contrairement à ce que prétend Emmanuel Macron, il ne s’agissait pas d’empêcher le divorce, mais simplement de demander une indemnité à celui qui décidait de rompre le mariage (tout en en conservant certains avantages, comme la jouissance des services publics, par exemple). Depuis quand les pensions alimentaires, par exemple, empêchent-elles la liberté de divorcer ?
La soumission à l’ordre économique existant
En réalité, dans la vision du monde d’Emmanuel Macron l’optimisation fiscale fait partie de la normalité. La seule façon de la combattre, c’est d’être de plus en plus fiscalement compétitif. Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement hésite à lever le verrou de Bercy, invente le « plaider-coupable » en matière fiscale et crée un « droit à l’erreur » dans le même domaine. Le président vante d’ailleurs cette mesure dans Forbes. Tout cela rend plutôt circonspect quant à la réalité de la volonté de lutter contre l’évasion fiscale affichée par l’exécutif.
Le président de la République prétend dans cette interview faire la « révolution » et « transformer » la France, mais il n’est pas l’acteur de cette transformation. Il la subit et l’accompagne. Cette transformation est menée par les investisseurs internationaux, ceux qui, pour Emmanuel Macron, disposent de la réalité du pouvoir (et c’est pourquoi il veut tant faire partie de leur monde). Ce cours des événements dictés par les « esprits animaux » des plus riches s’impose à tous. Et tout ce que les politiques ont à faire est de s’y conformer et de le faire accepter par leur population. « La meilleure protection, ce n’est pas de dire : “nous résisterons” », explique le président français. Il faut donc se soumettre à ce jeu imposé par les puissants de l’époque. Du reste, Emmanuel Macron répète deux fois dans cet entretien qu’« il n’y a pas d’autres choix », ce qui rappelle évidemment le fameux « il n’y a pas d’alternative » de feu Margaret Thatcher. Il y a un aspect métaphysique, presque religieux, dans cette approche, selon laquelle il existerait un ordre économique transcendant et immuable qui apporterait le bien à qui l’accepte sans ciller.
Derrière ses oripeaux monarchiques, la vision d’Emmanuel Macron est celle d’une soumission du politique à cet ordre, celui des intérêts particuliers des plus riches. Il n'y a pas d'autre intérêt général. En cela, le président français est profondément un conservateur à l’ancienne, un défenseur de l’ordre établi. La suppression de l’exit tax est, ici, fort parlante car l’optimisation fiscale, en affaiblissant les ressources des États, est une des sources principales du chantage au moins-disant fiscal qui ronge nos sociétés. En faisant croire qu’on réduirait l’exil fiscal en levant les rares contraintes qui l’entourent, il conduit à désarmer encore la puissance publique. Il est ensuite plus aisé, il est vrai, de présenter son impuissance comme une évidence.
Quant à croire que cette soumission apportera la prospérité, cela fait évidemment abstraction des deux crises de 2007 et 2010 ainsi que de leurs conséquences politiques, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Bercy avait reconnu en 2017 que la défiscalisation du capital n'aurait pas d'impact économique. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra compenser les pertes liées à l’exit tax, comme celles des autres cadeaux fiscaux. Et que la course au moins-disant fiscal, dans laquelle s'engage le président français la fleur au fusil, est mortifère et perdue d'avance. Mais les voies de l’idéologie sont impénétrables. Cette interview accordée à Forbes affine donc le portrait économique d’Emmanuel Macron, faux révolutionnaire et vrai croyant.
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